17. Chris
Il est minuit, je ne peux plus attendre, il faut que j’aille à la station de métro. Alice s’est peut-être faite agresser sur le chemin. Je marche vite, il pleut, la rue est déserte. Non. Un homme. Un homme vient de tourner à l’angle de la rue piétonne entre l’école et le parc. Qu’est-ce qu’il fout là ? J’accélère le pas pour ne pas le perdre de vue. Il est là de nouveau, il marche rapidement, il a l’air de savoir où il va. Il se dirige vers le métro lui aussi. Je continue de le suivre. Un couple arrive à sa hauteur et le croise sans sourciller. Il descend les escaliers du métro et se dirige tranquillement vers le quai. Il a l’air normal tout compte fait, sans importance. Je l’ai déjà oublié. Je ne vois plus que l’absence d’Alice sur ce quai.
Je la cherche partout et ne la vois nulle part. La panique me guette, dans chaque recoin où je me heurte au vide, à chaque métro qui arrive, au coin de chaque rue où je me hâte en vain.
Je répète les aller-retours entre le métro et l’appartement. Il est une heure du matin et la pluie tombe de plus en plus dru, je suis trempé. J’hésite à appeler la police mais j’ai peur qu’ils se pointent chez moi. Un mélange de dégoût et de crainte m’envahit à l’idée de voir des flics débarquer, leur esprit vicié obnubilé par l’odeur de marijuana. Le commissariat est à trois cent mètres du métro, je décide de m’y rendre à pied.
Je regrette déjà ma décision en franchissant la porte, mais la femme assise à l’accueil a levé la tête dans ma direction. Je suis pris au piège :
— Bonsoir monsieur, me lance-t-elle d’un air assoupi.
Je sens que j’ai perturbé sa veille somnolente mais je ne peux plus reculer :
— Bonsoir madame. Excusez-moi de vous déranger mais…
— Que puis-je faire pour vous ? me répond-elle machinalement.
— Je… Je viens vous voir parce que ma…
Je ne trouve pas les mots. J’ai envie de lui crier de bouger son cul, de lancer l’alerte, d’aller chercher le psychopathe qui retient Alice sous un pont de Paris ou pire, chez lui... Mais mon instinct m’arrête. Au mieux ils me jettent, au pire ils me gardent. Je tente à tout prix d’avoir l’air calme. Je cherche des mots convenus, des mots utiles, des mots que les gens disent dans ces cas-là :
— Ce serait pour signaler une personne disparue. Savoir si vous pourriez m’aider à la retrouv…
— Majeure ou mineure ? me coupe-t-elle.
— Majeure.
— Hum, d’accord. Dans ce cas je vais vous demander de patienter quelques instants. Mon collègue va prendre votre déposition.
— Ah ? Ok, merci.
Une déposition ? Ce mot sonne comme un glas dont l’écho se perd dans le gouffre de mon angoisse grandissante. La fliquette m’invite à aller m’asseoir. Les pensées se bousculent sur la mer déchaînée de mes peurs, mon cœur chavire. J’échoue sur le banc de métal qu’elle me désigne d’une main molle. Je ne sais plus ce que je fais là. L’ambiance froide du commissariat a quelque chose d’inhumain, tout y est affreusement fonctionnel. La trotteuse de l’horloge en plexiglas égrène les secondes de son tempo régulier, infatigable trotteuse qui poursuit à chaque heure sa ronde, comme un nouveau tour du monde. Son tic-tac entêtant résonne dans le vide tandis que les minutes s’étendent à l’infini.
Mon impuissance me rend fou. Je sens la colère monter en moi à mesure que les secondes s’écoulent, dérisoire tentative de mon inconscient pour écoper mes peurs. Mais qu’est-ce que j’attends, au juste ? Qu’ils partent à sa recherche pendant que je reste là, assis bien sagement ? Mettre son sort entre leurs mains et puis patienter, encore… Jusqu’à quand ? Jusqu’à quoi ?
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