J’ai souvent peur. Notamment le matin, en allant à l’école, quand je monte l’escalier des Quatre-vingt, bien connu à Tulle pour le nombre de ses marches. C’est un escalier sombre et étroit où une espèce de mousse verte et visqueuse pousse par endroits. Encadré de hauts murs décrépis, cet escalier me semble infini vu d’en bas. L’escalier s’élargit au bout d’une vingtaine de marches, et c’est toujours là que j’ai peur. Derrière la maison qui borde l’escalier sur la droite, il y a un recoin sombre où quelqu’un peut facilement se cacher sans qu’on l’aperçoive d’en bas.

Je reste à gauche de la rampe en fer rouillé qui sépare l’escalier en deux, ma petite main glisse sur la peinture qui s’écaille sous mes doigts. Je ralentis le pas et je retiens mon souffle pour ne pas faire de bruit. Je suis prête à descendre l’escalier quatre-à-quatre s’il le faut. Je n’ai que cinq ans mais je peux aller très vite, le soir je m’entraine à descendre le plus vite possible en rentrant à la maison. J’arrive à la hauteur du recoin en imaginant les traits de l’homme terrifiant qui m’attend sûrement, tapi dans l’ombre. Je regarde prudemment… Personne. Je reprends ma respiration et je monte les dernière marches le plus rapidement possible, en jetant un coup d’œil en arrière de temps en temps.

En revoyant ces escaliers, mon omniscience retrouvée me permet de percevoir la présence d’âmes qui ont peuplé ces lieux à différentes époques. L’une d’elle luit d’un éclat curieux. C’est l’âme d’un homme en costume brun, il porte un haut de forme et semble sorti d’une gravure de mode du XIXème siècle. Il a l’apparence d’un honnête homme, il quitte la maison située juste en haut des escaliers. C’est le bourreau de Tulle qui sort de chez lui.