À 12h30, c’est un appel de ma mère qui me réveille. C’est vraiment rare que ma mère m’appelle. En fait, n’importe quelle interaction avec ma famille est plutôt rare.

— Allo, maman ?

— Oui Antoine, On va voir ta sœur là, du coup je me demandais, tu penses lui rendre visite quand, toi ?

Ça doit bien faire un ou deux mois que je n'ai pas pris de nouvelles d'Alice. Je ne me rappelle plus trop la dernière fois qu’on s’est vus… L'été chez les parents, c'était celui-là ou l'an dernier ? Fichue mémoire en carton. Je me concentre… oui, c'était bien cet été. Début juillet. J'ai l'impression que ça fait des années.

— Je ne savais pas que vous alliez à Paris, elle ne m'en a pas parlé. Vous allez la voir combien de temps ? Il faudrait que je l'appelle pour qu'on discute d'une date…

— Mais, Antoine enfin ! Tu n'es pas au courant ? Elle est à l’hôpital depuis lundi !

Effectivement, personne n'a pensé à me prévenir. Comme d'habitude, en vérité. J'arrive toujours à être le dernier au courant de quoi que ce soit dans cette famille. On est au moins mercredi… jeudi même ! Ils abusent.

— Je... Non, je ne savais pas. Que s'est-il passé ?

— Un accident de voiture, elle est encore dans le coma.

Je digère l’information sans rien dire pendant quelques secondes.

Alice est sans doute celle avec qui je suis le plus proche dans ma famille. Nos mémoires d’enfance ne sont pourtant pas très nombreuses avec sept ans d’écart d’âge. Quelques moments, comme d’innombrables heures de voiture en famille, lors de voyages au Brésil et en Australie, quelques images d'Aubusson, des batailles d’eau, un feu de joie à base de canapés, des cueillettes de champignons...

— Antoine ?

— Oui ?

— Tu ne m’as pas répondu, tu passes quand ?

— Heuuu, je ne sais pas… Sans doute à la fin de la semaine du coup. Elle ne va pas bouger de toute façon.

— Oui, non, c’est sûr. Les médecins ont bien fait leur travail, c’est pas beau à voir mais sa vie n’est pas en danger pour l’instant. Avec ton père on va sans doute rentrer bientôt en attendant que ça évolue. Ariane est aussi montée sur Paris, je ne sais pas trop ce qu’elle a prévu.

— Ah, bah rentrez bien, merci de m’avoir prévenu. Elle ne va pas s’en remettre rapidement du coup ?

Je sais très bien que le coma peut durer des années, avec toutes sortes d’effets secondaires. J’ai peut-être perdu ma sœur... Des histoires de gens qui ont passé des décennies dans le coma me traversent l’esprit, alors que ma mère répond :

— On ne sait vraiment pas, mais les médecins sont optimistes. Il arrive que le bon stimuli externe fasse émerger les gens, c’est pour ça qu’il faut essayer de lui parler si tu vas la voir.

— Je vois, je ferai de mon mieux. Bisous maman, passe le bonjour à papa.

Ma voix ne s’est pas cassée mais je me sens confusément mal tout à coup, très mal.

— Oui, bisous !

Elle hésite quelques instants avant d’ajouter :

— Appelle-nous si ça va pas !

— D’acc’… La fin de la phrase me reste dans la gorge, ça n’a pas dû s’entendre.

Je raccroche. Je ne pense à rien en fixant le plafond, encore allongé sur mon lit. Je n’ai pas vraiment envie d’aller la voir, à quoi pourrais-je servir ? Chris sera certainement là, je dormirai sans doute chez eux. J’aime bien Chris. On n’est pas particulièrement proches, mais il s’y connaît en jeux vidéos et moi aussi. J’espère qu’il tient le coup sans trop déprimer. J’hésite à l’appeler, qu’est-ce que je pourrais lui dire ?

Est-ce que ça va ? Non, évidemment.

Tu tiens le choc ? Est-ce que ça ira ? Comment c’est arrivé ? Il y en a pour longtemps ?

J’écarte encore quelques scénarios de discussion avant de laisser tomber l’idée, je n’arrive pas à imaginer un cas où je le réconforte.