62. Alice
J’assiste à l’atterrissage d’un avion à Rio. Je me vois suivre mes parents en trainant des pieds dans les couloirs bondés de l’aéroport. Mon petit frère Antoine trottine aux côtés de ma mère. Ariane et Adrien sont restés en France, ils ont quitté le foyer familial depuis longtemps pour faire leurs études… J’envie leur liberté. J’avance l’échine courbée, le regard triste et la mine blasée. Je me laisse porter sans volonté, comme une veuve endeuillée, amputée d’une portion d’elle-même.
On récupère les valises, on passe la douane et on est accueillis par le directeur adjoint du lycée français. On monte dans son 4x4 pour rejoindre le centre-ville. Bien que les vitres teintées soient fermées, une odeur pestilentielle vient titiller mon nez alors que je suis assise à l’arrière de la voiture climatisée. Ma mère s’exclame :
— Eh ben ça sent pas bien bon par ici !
Le directeur adjoint gonfle ses narines d’un air peiné, se retourne furtivement vers elle et répond :
— Oui, c’est la favela. Elle s’étend sur des kilomètres de chaque côté de la route. Regardez, ajoute-t-il en agitant sa main de droite à gauche, il y a des ordures partout. Vu qu’il fait chaud, ça sent pas très bon. Il y a souvent des attaques ici d’ailleurs.
— Quel type d’attaque ? demande mon père.
— Des bandes armées qui viennent de la favela, elles arrêtent les voitures qui vont de l’aéroport au centre-ville. Ils prennent tout ce qu’ils trouvent sur les touristes et dans leurs valises. Vu que la favela est juste à côté, ils peuvent s’enfuir en courant avant que la police ait le temps d’intervenir.
— Ah, bah c’est rassurant ! plaisante ma mère.
— Oh ne vous inquiétez pas, ça ne va pas nous arriver. Ils attaquent surtout la nuit. Mais si on se fait arrêter, donnez tout sans résister.
Prenant l’air le plus détaché possible pour dissimuler mon anxiété, je demande :
— Est-ce qu’ils tuent aussi en plein jour ?
— C’est plus rare, mais ça arrive. C’est pour ça qu’il vaut mieux pas résister ! Le premier conseil que je peux vous donner, c’est de toujours avoir de l’argent sur vous quand vous sortez dans la rue. Cinq reals ça suffit. En général, c’est quand on n’a rien à donner qu’ils s’énervent, et là ça peut vraiment mal tourner.
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