4 février - Le jour où je suis morte

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C'était un matin d'hiver. J'avais passé la nuit a veillé mon père dans les services d'urgence de l'hôpital de ma région. C'était la fin. Nous le savions tous. Il avait été placé dans le coma depuis la veille, pour nous laisser le temps de lui dire au-revoir, et pour que tous ses enfants éparpillés en France aient le temps d'arriver.

J'étais à son chevet depuis vingt-et-une heures la veille. Je lui avais murmuré à l'oreille tous les mots d'amour que je n'avais pas osé lui dire pendant ma vie. Je le voyais inerte, les machines bipaient régulièrement, mais je le sentais présent, attentif à ce qui l'entourait. J'étais sensible à sa présence au-delà même des contours de son corps, comme s'il flottait autour de son enveloppe, prêt à partir. J'ai tenu sa main droite pendant des heures, je la sentais parfois me serrer, parfois jouer du morse dans le creux de mes mains. Je me suis endormie, la tête posée sur sa cuisse, mais il m'a attendu, et il n'est pas parti pendant mon sommeil.

Au lever du jour, l'équipe médicale a dit des choses gentilles et des formules protocolaires. Je n'écoutais pas, je savais, c'était le moment de débrancher mon père.

Les membres de ma famille étaient debout autour de papa, lui disant un dernier adieu pendant que les machines s'éteignaient les unes après les autres. J'étais à genoux au pied du lit, tenant toujours sa main, vidant mon coeur en larmes.

Les heures qui ont suivi sont embrumées dans ma mémoire, parce que mon corps bougeait et parlait, conduisait la voiture, téléphonait. Mais moi, je n'y étais pas. Je laissais mon enveloppe corporelle faire ces actions qui n'avaient plus aucun sens, pendant que mon esprit, ou le parfum de mon être vivait d'autres choses. Je ne sais comment appeler ce que j'ai vécu. Mais à la mort de mon père, il y eut un avant et un après.

Je l'ai vu léger, passer une porte et rejoindre un groupe de personnes qui l'attendaient. Cela me semblait naturel, je ne me suis pas posée de questions, j'ai glissé mon pied dans l'entrebaillement de la porte pour le regarder s'éloigner. Il se redressait, devenait plus grand, plus jeune, plus heureux. Il s'est alors retourné vers moi et m'a souri. Il ne m'a rien dit, mais j'ai entendu sa voix en moi qui me rassurait.

"Comment est-ce là-bas ? Est-ce comme dans les films ? Ou comme dans les livres religieux ?

- C'est au-delà de ça ! C'est au-delà de ça...

- Comment es-tu ?

- Je suis. Nous sommes un."

Jamais je ne pourrais oublier ces mots, jamais je ne pourrais effacer de ma mémoire son efferverscence de découvrir enfin par lui-même ce qu'il a tant cherché durant sa vie.

J'ai laissé mon pied dans l'entrebaillement, et la porte ne s'est pas refermée.

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