Chapitre 20
Léana
- Je t’aime, murmure-t-il à mon oreille alors que son souffle ralentit.
Oh mon dieu, est-ce qu’il a vraiment dit ça ? Je ferme les yeux pour m’endormir à mon tour quand tout à coup une image se grave dans mon esprit. Je suis assaillie par l’euphorie d’un je t’aime lancé par Matt il y a de cela plusieurs mois.
****
Je rejoins Matt sur notre terrasse couverte après avoir pris une douche. Nous avons pu profiter de la maison tout l’après-midi en tête-à-tête, Paul étant parti en ville retrouver un ami d’enfance de passage. Autant dire que cela n’arrive pas souvent de disposer des lieux sans avoir à se cacher puisque nous sommes sur le même roulement que lui à la caserne. Alors, Matt et moi en avons profité pour fricoter tous les deux. Mon amant est installé sur l’un des transats, uniquement vêtu d’un short, un café entre les mains. Je lui souris alors qu’il se décale pour me faire une place.
- Où est Paul ? dis-je en nouant mes cheveux à la va-vite.
- Il est parti se coucher, il était crevé. Allez, viens.
Je descends les quelques marches de la terrasse et vais vérifier que la fenêtre de notre colocataire n’est pas ouverte. On ne sait jamais ! Satisfaite de la voir close, je remonte sur la terrasse et me glisse à ses côtés sur le transat. Je pose ma tête sur son torse et passe une jambe au-dessus de la sienne, me nouant autour de lui alors qu’il m’enlace d’un bras et me serre contre son corps.
- Tu ne devrais pas te promener en si petite tenue devant mes yeux ma douce, je ne suis pas sûr de pouvoir me conduire comme un gentleman, dit-il en glissant la main sous le tissu de mon haut.
Je ris en caressant son torse et viens embrasser la constellation de grains de beauté sur son épaule puis remonte lentement jusqu’à son cou. Je porte un débardeur et un petit short en jeans, rien d’extraordinaire et pourtant, comme souvent, il sous-entend qu’il me trouve sexy et a envie de moi. Matt tire sur l’élastique dans mes cheveux puis passe sa main dedans paresseusement.
- A deux minutes près on se faisait griller par Paul, il faut qu’on fasse attention, murmuré-je.
Je venais tout juste d’entrer dans la salle de bain après avoir fait lamour avec Matt sur le canapé quand j’ai entendu Paul le saluer dans la cuisine. Il aurait pu nous trouver en pleine partie de jambes en l’air s’il était rentré plus tôt. Mais il aurait également pu nous griller nous douchant ensemble s’il était rentré quelques minutes plus tard car sans un appel téléphonique d’un de ses amis, Matt m’aurait sans doute accompagné dans la salle de bain.
- Je sais, soupire-t-il. Pas facile de se cacher d’absolument tout le monde, partout. J’ai envie de te kidnapper et de partir loin pour pouvoir te tenir la main, t’enlacer et t’embrasser quand j’en ai envie et pouvoir te faire l’amour partout sans craindre de me faire prendre.
- Sauf que prendre des congés en même temps serait suspect… Comment on va faire si cela devient vraiment sérieux ? murmuré-je, hésitante.
- Léa…
Matt se redresse et m’attire sur lui. Je me retrouve à califourchon sur son corps peu habillé comme il y a à peine une heure sur le canapé, face à son beau visage qui me paraît tout à coup contrarié. Je caresse du bout du doigt la ride qui s’est formée entre ses sourcils comme si je pouvais l’effacer. Il ferme les yeux un instant avant de plonger à nouveau son regard dans le mien.
- C’est déjà sérieux pour moi. C’est tout ce qu’il y a de plus sérieux même. Pas pour toi ?
- Je… Si, évidemment, bafouillé-je partagée entre malaise et euphorie.
- Parle-moi, qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien… C’est juste que… J’avais peur que le côté sérieux et impliqué ne soit pas partagé alors… Disons que je n’osais pas vraiment y penser. On n’en a jamais vraiment parlé après tout et on est ensemble depuis à peine trois mois.
- Bon sang Léa, je ne suis pas un enfoiré non plus. On a dit qu’on voyait où ça nous menait mais jamais nous n’avons parlé de plan cul ou de relation sans attache, si ?
- Non… Non tu as raison.
- Fais-moi confiance je t’en prie, et fais-nous confiance.
J’acquiesce silencieusement et colle mon corps contre le sien en déposant de petits baisers sur ses lèvres. Matt a raison. Il ne m’a jamais fait croire à une relation sans lendemain et il n’agit pas comme un sex-friend ou un mec qui ne s’impliquerait pas. Mais ce n’est pas facile pour moi de croire en tout ça quand les nanas défilaient à la maison avant que lui et moi ne couchions ensemble. Il a raison, on ne fait pas que baiser, il y a plus que cela entre nous. Tout est si simple malgré les conditions qui ne le sont pas, elles. Il est juste parfait compte tenu de notre situation qui s’avère être des plus complexes.
- Léa, tu ne l’as donc pas encore compris ? soupire-t-il en glissant ses mains sur mes joues.
- Compris quoi Matt ?
Il me sourit doucement, caressant mes pommettes de ses pouces. Son regard tendre me fait fondre. Je suis clairement foutue et le pire c’est que j’ai le sentiment d’être totalement à ma place dans cette relation dans laquelle je m’épanouie.
- Je t’aime Léa, je t’aime comme un fou.
****
Alors j’avais raison. Matt et moi étions plus que des colocataires et amis. Oh mon dieu, tout me revient comme un foutu boomerang. C’est violent, j’ai l’impression de suffoquer alors que mes souvenirs refont surface de manière totalement brutale et désordonnée. C’est un fouillis sans nom dans ma tête. Je me dégage aussi doucement que possible de son étreinte chaleureuse malgré la panique qui me gagne et me lève alors qu’il bougonne dans son sommeil. Après m’être rhabillée en vitesse, je sors prendre l’air. Je titube quasiment, encore assaillie par des images. J’ai l’impression de revivre ces trois années d’amnésie en accéléré, en quelques secondes. J’ai la tête qui tourne et le souffle court alors que je m’assieds sur les marches à l’entrée de la cabane.
J’ai retrouvé la mémoire. J’ai enfin retrouvé la mémoire ! Je devrais me réjouir de ce fait et pourtant, la colère monte en moi, mêlée à de la déception. Matthew me ment depuis le début en m’affirmant qu’il n’y a rien eu entre nous. Paul est au courant et il ne m’a rien dit non plus. Je me sens trahie par mes amis, par mon homme. Oh mon dieu, je me fige en constatant qu’il y a pire encore. La honte me submerge et se joint à tout ce méli-mélo de sentiments quand je réalise que j’ai trompé Matt avec Romain quasiment sous ses yeux ! Je comprends mieux la réaction de mes colocataires suite à cette nuit-là.
Mon corps se contracte, je me mets à trembler. Bon sang, pas d’attaque de panique, cela fait des années que je n’en ai plus eu, du moins je crois. Je tente de respirer correctement mais plus j’essaie et plus c’est difficile. J’étouffe dans mon corps, l’esprit embrouillé par des dizaines de pensées.
- Léa ?
Oh non, non je ne peux pas le voir maintenant. Il faut que je me reprenne. Je me penche en avant pour mettre la tête sur mes genoux et tenter de reprendre contenance quand j’entends la porte du cabanon s’ouvrir.
- Hey Chouquette, qu’est-ce que tu fais là ?
Je n’arrive pas à bouger, la sensation de suffoquer ne me quitte pas et j’inspire difficilement. Matt descend brusquement les marches en entendant ma respiration hachée et s’accroupit, en boxer, devant moi.
- Tu vas bien ? Mon dieu qu’est-ce qui se passe ?
J’agrippe les mains qu’il pose sur mes cuisses et détourne le regard. Je n’arrive pas à me reprendre. Matt se redresse et vient se poster derrière moi. Il m’enlace, pose ses mains sur mon ventre et sa joue contre la mienne.
- Respire, respire doucement ma belle. Inspire…Bloque… Expire… Voilà, encore. Cale-toi sur mon souffle. Tout va bien, je suis là.
Il reste silencieux un moment, respirant lentement mais bruyamment alors que je tente de suivre son rythme. Son étreinte est rassurante même si je tremble encore de tous mes membres. Je me calme petit à petit, mais plutôt difficilement. La présence de Matt derrière et contre moi est apaisante, cependant lorsque je repense à ce que j’ai fait et ce qu’il m’a caché, je repars dans mes travers et la crise reprend de plus belle.
- Léa, chérie je t’en prie, respire doucement. Tu me fais flipper. Est-ce que… Est-ce que tu veux que je t’emmène aux urgences ?
Je fais non de la tête et me tourne légèrement sur le côté pour poser ma joue contre son torse. Matt caresse mes cheveux et je tente à nouveau de respirer calmement. Après ce qui me semble être une éternité, ma respiration est à peu près apaisée et mes pensées moins brouillonnes. La crise est enfin passée, je reprends contenance, mon corps se détend et je retrouve mes esprits.
- Je ne sais pas ce qui s’est passé, dis-je d’une voix tremblante après ce qui me semble être une éternité. Je crois que j’ai eu… Beaucoup trop d’émotions aujourd’hui, mon cerveau a vrillé.
Je ne suis pas prête à parler de tout cela, je refuse de lui dire que j’ai retrouvé la mémoire. Je retrouve toutes les sensations perdues au contact de Matt, du moins sont-elles décuplées par rapport à ce que je pouvais ressentir ces dernières semaines. J’aime profondément Matt et mes sentiments sont forts, leur retour brutal. Pourtant, le sentiment de trahison est aussi présent. Comment a-t-il pu me laisser ainsi dans l’ignorance ? Et comment a-t-il pu me laisser coucher avec un autre homme ? Mon dieu… Je n’arrive pas à croire que j’ai pu le tromper. Bien que ce soit involontaire, j’ai trahi Matt et je ne me le pardonnerai jamais.
- Je vois. Tu es sûre que ça va mieux ?
- Oui oui, beaucoup mieux. Il faut que je rentre à la maison.
- Pourquoi ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de prendre la route après ta crise.
- Ça va aller, dis-je en réfléchissant rapidement à une excuse. J’ai promis à Sophia de l’accompagner chez son frère. Tu sais comme leur relation est compliquée.
- Dis-lui d’annuler, reste avec moi Léa… Tu n’es pas en état de conduire et… On est bien là tous les deux non ?
- Je… Oui, mais je ne peux pas Matt, une promesse…
- Est une promesse, je sais, me coupe-t-il en soupirant.
Je me lève lentement pour éviter un nouvel étourdissement. Je suis mal à l’aise, ne sachant pas trop comment clôturer ce moment. J’ai envie de rester dans son étreinte rassurante, de lui dire que je me souviens de tout, que mon cœur bat à tout rompre en sa présence, que je l’aime. Je comprends à présent son attitude depuis ma perte de mémoire, son côté protecteur, tactile, notre promiscuité. Tout s’explique. Mais je n’ose même pas le regarder dans les yeux tant je suis mal.
Matt agrippe ma main et m’attire à lui alors que je descends les marches.
- Ne pars pas comme ça Chouquette.
Je plonge mes yeux dans les siens, emplis d’inquiétude. Ma main remonte vers son visage avant que je n’aie réfléchi, pour se poser sur sa joue.
- Laisse-moi t’embrasser Léa. On ne fait rien de mal, ne fais pas machine arrière…
- Matt… soupiré-je.
Ses lèvres caressent les miennes tendrement avant qu’il n’appuie davantage son baiser. C’est doux et je lutte contre mes larmes. Je ne mérite pas ça, je ne suis pas prête à vivre tout ça. Je presse mes lèvres contre les siennes un instant puis recule.
- On se voit à la coloc ?
- Oui, acquiescé-je avec un clin d’œil que j’espère convaincant. Tu rentres bientôt ?
- Je vais tout ranger et fermer puis rentrer. Enfin, je m’arrêterai en route pour voir un vieil ami de mon grand-père.
- D’accord. A plus tard alors.
- Fais attention à la route… Et Léa ?
- Oui ?
- Faudra qu’on parle de… tout ça, de nous.
J’acquiesce avec le plus d’assurance que je peux et lui souris avant de tourner les talons pour rejoindre ma voiture sous le regard de Matt. Ça me crève le cœur de partir, mais j’ai besoin de me poser et de mettre de l’ordre dans mes idées. Je suis épuisée après ma garde et la route pour le rejoindre, j’ai besoin de temps, de repos et d’espace pour digérer tout ça. Je démarre sans un regard en arrière pour éviter de craquer. Je ne me fais absolument pas confiance.
Je fais plusieurs arrêts rapides sur la route pour prendre l’air et me dégourdir les jambes. Je suis épuisée, Matt avait raison quand il disait que je n’étais pas en état de prendre la route. Cependant, je dois passer à la coloc avant qu’il ne rentre et prier pour que Paul n’y soit pas.
Sa voiture est garée devant l’entrée lorsque j’arrive mais je suis soulagée de constater qu’il est dans sa chambre. Vu l’absence de bruit, il doit dormir. Normal après une garde et plusieurs jours à s’inquiéter pour son meilleur ami. Je file dans ma chambre faire un sac rapidement, passe par la salle de bain et laisse un petit mot à mes colocs avant de reprendre la route. Je ne sais pas où je vais, mais je roule vers la mer avec un besoin impérieux de calme. C’est mon tour d’avoir besoin de solitude.
Annotations