Prologue
Sarah
Je tire sur ma robe et m’assieds dans l’un des seuls fauteuils libres du grand salon où nous nous trouvons. Je ne suis pas très fan de ces soirées étudiantes, mais, de temps en temps, j’accompagne Rebecca et Evan, mes meilleurs amis. Je suis plutôt du genre à me poser tranquillement dans ma chambre pour lire, ou sous le porche, au café que nous fréquentons, ou à la bibliothèque. Non, je ne suis pas une coincée du bulbe, juste une jeune femme de vingt-et-un ans plutôt réservée avec les inconnus, du genre casanière. Autant dire que la musique à fond, l’alcool qui coule à flot et les roulages de galoches dans les coins sombres, ou tout simplement sur le canapé face à moi, ce n’est pas trop mon truc.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Ah, non merci, ris-je. Hors de question de boire leur truc, Becca, je risque les aigreurs d’estomac.
— Pauvre petite chatte, se moque Evan, tu n’as pas ramené ta bouteille de vin français ?
Je lui sers une grimace alors qu’ils m’abandonnent tous les deux pour aller se chercher à boire. J’en profite pour détailler un peu les personnes présentes à cette soirée et soupire en voyant dans quel état sont déjà certains. C’est fou de vouloir se mettre mal à ce point. Quel est l’intérêt ? Si ma mère me voyait dans cet état, elle me priverait d’argent de poche et de sortie pour le reste de ma vie, c’est sûr. Évidemment, j’ai déjà été saoule, mais je ne cherche pas l’ivresse à tout prix. Je préfère effectivement déguster un petit verre de Bordeaux de temps en temps.
Un brouhaha supplémentaire s’ajoute à cette ambiance festive et je tourne les yeux vers la source de cette agitation. L’équipe de basket de l’université vient de faire une entrée remarquée après sa victoire de la veille. Forcément, les mecs font les fiers et se la jouent outre mesure. Il y a de quoi, certes, ils ont battu l’une des meilleures équipes du championnat, mais tout de même. Et puis, on sait très bien pourquoi ils sont là. Chacun d’eux va essayer de se trouver une conquête pour la soirée, une petite groupie simplement prête à ouvrir les cuisses pour avoir la fierté de dire qu’elle a couché avec un membre de l’équipe. Non, je ne suis pas aigrie, je me suis juste faite avoir par l’un des joueurs lors de ma première année. Enfin, techniquement, nous sommes restés ensemble quelques semaines, mais j’étais le petit trophée qu’il amenait en soirée avant de me laisser seule pour aller s’éclater avec ses potes jusqu’à pas d’heure, et quand on rentrait dans sa chambre, sur le campus, j’avais enfin de l’attention puisqu’il voulait tirer son coup. Bref, je crois avoir cerné le caractère de nos basketteurs et j’évite leurs regards autant que possible.
Je ne suis pour autant pas insensible aux charmes de certains. J’avoue que le nouveau capitaine est plutôt pas mal, et nous avons déjà eu l’occasion de discuter ensemble lors d’une soirée où je devais, peut-être, être sa proie. Manque de chance pour lui, je crois que j’ai suffisamment donné avec les basketteurs. En parlant de lui, il a forcément fallu que nos regards se croisent quand il est passé dans la pièce, et je pressens que je suis bonne pour une nouvelle conversation une fois qu’il aura récupéré à boire. En soi, difficile de ne pas être attirée par ce jeune black bien baraqué. Vive le basket. Résister est un sport également, et vu comme il approche avec assurance, je sens que c’est mon tour de faire le match de ma vie, ce soir.
— Salut, Babe, content de te revoir. Tu veux que je te ramène une bière ?
Babe ? Oh, bon sang… Summum de la lourdeur, le gars.
— Non merci, je ne suis pas fan de la bière, dis-je laconiquement.
— Je peux m’asseoir à côté de toi ? demande-t-il en prenant la place sans attendre mon accord. Tu as vu le match, hier ?
Il sent bon et je me contrôle pour ne pas approcher mon nez de son tee-shirt pour essayer de déterminer les accents de son parfum.
— Oui, j’étais au match. Jolie prestation. Dommage pour ton lancer franc manqué dans le deuxième quart-temps. En même temps, tu devais être plutôt sonné après la bousculade.
Il me regarde, un peu surpris de voir que je puisse mentionner un tel détail.
— Eh bien, je ne croyais pas que toi, l’intello, tu aimais le basket. Mais c’est vrai qu’il faut être solide quand on joue à ce sport. Si tu veux, Babe, au prochain match, je t’offre une place VIP, ajoute-t-il en passant son bras autour de mes épaules.
— On voit mieux d’en haut, tu sais ? ris-je sans le repousser. Et puis, je n’ai pas très envie de me prendre un basketteur ou un ballon en pleine face. Mais, merci pour la proposition.
— C’est quoi ton nom, déjà ? Tu me l’as dit mais je ne m’en souviens plus.
Je lève les yeux au ciel en soupirant. Il semblerait que si je fais figure d’intello, lui soit le stéréotype même du sportif.
— Je m’appelle Clara, dis-je en masquant le sourire qui naît sur mes lèvres, curieuse de voir s’il va quand même comprendre qu’un truc cloche.
— Ah ouais, Clara, c’est ça. Tu veux aller danser un peu, jolie Clara ? J’ai un déhanché de ouf, je te jure !
Je me lève et le gratifie d’un sourire poli en tirant sur cette fichue robe trop courte que Rebecca m’a prêtée.
— Je te remercie pour l’invitation, mais je ne suis pas intéressée. Peut-être que quand tu seras capable de retenir le prénom de la nana que tu veux mettre dans ton lit, on pourra en reparler, Liam. Je ne sais pas qui est cette Clara, mais ce n’est pas mon prénom. Je te souhaite une bonne soirée.
Je lui tourne le dos et traverse le salon pour aller prendre l’air, à défaut de trouver mes amis. Je ne sais pas où ils sont barrés, mais on peut dire que si nous venons ensemble, chacun fait sa petite vie une fois sur place. Et la leur semble plus festive que la mienne.
Je m’éloigne un peu dans la cour et évite le groupe des footballeurs pour aller me poser sur un banc. Il faut vraiment que j’arrête de venir à ces soirées, je pourrais être au calme, sous la couette, devant un film, plutôt que toute seule comme une dinde. Ou harcelée par le capitaine de l’équipe de basket qui vient à nouveau s’asseoir à mes côtés.
— Désolé, Sarah, on recommence à zéro ? J’ai raté mon premier lancer franc avec toi, mais j’ai réussi à récupérer ton prénom, ça mérite un deuxième lancer, non ? Et puis, je n’allais pas te laisser à la merci de ces footballeurs qui doivent tous te trouver super canon, parce que tu l’es !
Il me gratifie d’un magnifique sourire et me tend une bouteille de Perrier en signe de trêve. Il est vraiment magnifique, difficile de le nier.
— Merci. Je peux te poser une question ? lui demandé-je en récupérant la bouteille. Avec qui est-ce que tu as parié que ce soir, tu te tapais l’intello qui a l’air de se faire chier à cette soirée, dis-moi ?
— N’importe quoi. Je ne fais pas des paris stupides avec mes potes. Je sais juste que je suis canon, que tu es canon et que j’ai envie de finir la soirée avec toi. Je suis sûr que toi aussi, tu en as envie. On est jeunes, on ne se pose pas de question et on en profite, non ?
— Tu ne manques pas de confiance en toi, en tous cas, ris-je. La proposition est tentante, mais tu viens d’arriver, non ? Tu ne comptes pas profiter de la soirée avant de tirer ton coup ?
— Je ne veux pas tirer mon coup, je veux te faire l’amour. Et tu sais, tu es la nana qui sauve cette soirée parce, clairement, cette fête est nulle et j’ai envie de toi. Alors, si tu veux, on se casse. Mais si tu préfères rester et profiter de l’ambiance, sourit-il alors qu’un de ses potes passe devant nous, la chemise ouverte et une bière à la main, on peut rester. Tu viens, Babe ?
Il se lève et me tend la main, me laissant le choix de décider du cours de notre soirée. Je ne doute pas qu’il se trouvera une autre proie si je l’envoie balader, mais la proposition est trop tentante et l’envie pressante.
— J’ai bien envie de découvrir ce déhanché apparemment de ouf, souris-je en posant ma main dans la sienne. Mais je ne te suis que si tu arrêtes avec ce surnom horrible. On a un deal ?
— Deal, Chérie, répond-il en insistant lourdement sur le nouveau surnom qu’il a choisi de me donner. En route, alors.
Je lève les yeux au ciel et le suis jusqu’à l’intérieur, où la fête bat son plein. Je ne sais pas si c’était une très bonne idée de lui proposer de danser, peut-être aurions-nous mieux fait de partir directement pour éviter d’alimenter les rumeurs dans les couloirs de l’université. Cependant, mon cerveau se déconnecte rapidement alors que nous nous retrouvons collés-serrés à danser sur un zouk. C’est chaud, torride, brûlant même, et je ne sais pas ce qui est le plus agréable entre sa main chaude posée sur mes reins et sa cuisse entre mes jambes qui a le don de réveiller chaque centimètre carré de ma peau pour la couvrir d‘envie.
Il est doué, et il le sait en plus, cet enfoiré, parce que son sourire satisfait fait son apparition, craquant, aussi excitant qu’agaçant. Nous enchaînons deux, puis trois danses, et je finis par craquer. Je glisse ma main sur sa nuque et pose mes lèvres contre son oreille.
— On s’en va ?
— On va chez toi ou chez moi ? J’habite chez mon père, je te préviens, dit-il en souriant.
— Je vis chez ma mère, et je doute qu’elle apprécie de voir un inconnu débouler chez elle, ris-je. Ça ne dérangera pas ton père ?
— Non, si on est discret, il ne saura même pas qu’on était là. Il bosse beaucoup et le soir, il est crevé.
J’acquiesce et le suis alors qu’il attrape ma main et m’entraîne à l’extérieur de la maison. J’ouvre grand les yeux en le voyant me tendre un casque et les baisse sur ma robe. Bon sang, il va vraiment me faire monter sur sa moto ?
— Heu… Je… Tu comptes vraiment m’embarquer là-dessus ?
— Ben, j’habite pas sur le campus, c’est plus pratique que d’y aller à pied, non ? Et puis, elle marche bien ma bécane. J’en prends grand soin, dit-il en en parlant comme s’il évoquait un petit bébé.
— Je n’en doute pas, mais… Enfin, soupiré-je en mettant le casque. Si tu pouvais prendre grand soin de mes jambes et de ma vie aussi, ce serait cool.
— Je te promets que je vais prendre soin de chaque centimètre de ta peau, Sarah. Tu n’auras pas à te plaindre !
Je lève les yeux au ciel avec un sourire en coin et le regarde monter sur sa vieille moto bien entretenue, puis grimpe derrière lui en lui tenant la main. J’ai l’impression d’être à poil avec cette robe qui me remonte sur les cuisses, et je me presse dans son dos en glissant mes bras autour de lui.
Liam démarre avec précaution et je m’agrippe plus fort à lui alors qu’il prend de la vitesse. C’est fou la sensation qui m’assaille en sentant le vent sur mes cuisses, qui fait voler mes cheveux et s’engouffre dans l’ouverture du casque. J’ai l’impression d’être libre comme rarement, loin de l’image que je laisse voir, loin de toute contrainte. Et j’ai cette impression, je ne sais pas pourquoi, que cette soirée va bouleverser tout mon monde.
Annotations