26. Bain de cent conflits
Sarah
Je crois que je n’ai jamais autant apprécié ma chambre que depuis ce matin. Je m’y suis enfermée avec grand plaisir pour échapper à l’ambiance familiale imposée par nos parents respectifs. Je pense n’en avoir jamais autant voulu à ma mère que depuis qu’elle m’a annoncé que les envahisseurs débarquaient, et cela s’est encore accru avec son foutu brunch dominical. D’autant plus qu’elle s’amuse à balancer ma vie comme ça, comme si c’était normal de tout déballer.
Bon sang, en plus il fallait que ça tombe sur Liam. J’y crois pas. Et plus j’y réfléchis, plus je me monte le bourrichon. J’ai envie de l’étriper de m’avoir rendue accro à lui. Et encore plus envie de lui arracher les testicules de déjà parler de ramener une nouvelle gonzesse sous mon toit. Je jure qu’il finit castré comme le chien du voisin si je l’entends en faire jouir une autre, je ne le supporterais pas. Et il est où, le respect, là-dedans ? Me jeter hier ne lui a pas suffi ? Il veut m’humilier encore davantage ?
— Sarah, dit ma mère en entrant sans même frapper à la porte. On va se baigner avec Judith, tu viens ?
— Non merci, soupiré-je en pianotant sur mon clavier un air qui ne ressemble à rien.
— C’est non négociable, jeune fille. Ce n’est pas en restant cloîtrée dans ta tour d’ivoire que vous allez créer des liens.
Wow, si tu savais qu’on les a déjà créés, les liens, Maman ! Pas ceux que tu espères, c’est clair, mais tu les as fracassés avec ton plan de merde de coucher avec Jim et de les faire emménager ici.
— J’ai mes règles, je ne peux pas me baigner.
— Sarah, ne me prends pas pour une imbécile, je te connais quand tu les as, et bien que tu sois vraiment désagréable, je sais que ce n’est pas la raison.
Je marmonne un “j’arrive” et l’entends aller frapper à la porte de Liam, sans doute pour l’inviter et l’obliger à faire de même. C’est à ce moment-là que mon cerveau vrille une nouvelle fois. Je me précipite vers mon dressing et pars à la recherche de mon bikini le plus sexy, celui que ma mère n’a jamais dû voir et que j’ai mis l’an dernier, en vacances. Je me dépêche de l’enfiler et me regarde dans le miroir, satisfaite du rendu. Si Liam veut s’éclater avec des poufiasses sous mon toit, je ne me gênerai pas pour lui rappeler qu’il a touché, caressé, embrassé, embrasé et fait jouir ce corps à de nombreuses reprises. L’effet Push-up du haut est presque trop prononcé étant donné que j’ai déjà un bon bonnet. Et le bas est plutôt minuscule. Franchement, je n’aurais jamais pensé mettre un jour ça devant ma mère, mais j’ai très envie de voir la tête du basketteur lorsqu’il me verra.
J’attends d’ailleurs de l’entendre sortir de sa chambre pour en faire de même, et m’attache les cheveux alors que je vois son regard parcourir mon corps sans vergogne.
— Tu as besoin d’une serviette ? Il y en a dans la salle de bain, si tu veux.
— D’accord, tu veux que je t’en prenne une ? Même si je n’ai pas trop envie que tu te couvres, je peux t’en ramener une, si tu veux.
— Je veux bien, oui. Ou non, j’y vais, attends, je sais où ça se trouve.
Je lui passe devant et tente de gérer ma démarche pour la rendre aussi naturelle que sensuelle. Je file à la salle de bain et ouvre le grand placard à côté des vasques, avant de me mettre sur la pointe des pieds pour récupérer les draps de bain, satisfaite de voir qu’il m’a suivie.
— C’est bon, tu es bien installé ? lui demandé-je. Je vais vous faire de la place ici, j’ai totalement oublié.
— Monsieur l’emmerdeur va bien, tu n’as pas à t’inquiéter. Tu as vraiment un corps de rêve, tu sais ? C’est dommage que je ne puisse plus en profiter.
— Eh oui, il va maintenant falloir que tu prennes le temps de découvrir mon esprit, plutôt que de ne t’attarder que sur mon corps. C’est con, hein ? dis-je en lui collant une serviette dans les bras.
— J’ai l’impression que ton esprit est en mode Warrior. On fait une trêve au moins devant les autres ? Sinon, ta mère et mon père vont déprimer, c’est sûr.
— Je m’en fous qu’ils dépriment, Liam. Tu vois ce qu’ils nous imposent ? Donc, quoi, tu la boucles et tu obéis bien sagement à ton Daddy ? Désolée, mais voir ton père débarquer là, ma mère faire des chèques par amour, moi, ça ne me convient pas.
— Tu veux dire quoi par là ? Que mon père n’est là que pour les chèques ? Tu crois que nous, les pauvres, tout ce qui nous intéresse, c’est un joli cul et du fric ? Ou alors, c’est parce qu’on est black que tu penses ça ? Moi, ce que je veux, c’est que mon père soit heureux, un point, c’est tout !
— Ce que je veux dire, c’est que tout ça est très rapide, et qu’il a bien de la chance d’être tombé sur ma mère, toute douce et gentille, le cœur sur la main. Mets-toi à ma place, tu ne te poserais pas de questions ? A moins que tu ne sois dans le coup, toi aussi, Liam ? C’était quoi, l’objectif, se taper la mère et la fille et voir laquelle flancherait en premier ? le provoqué-je.
— Tu es horrible, Sarah, me répond-il, blessé. Je peux comprendre que tu ne voulais pas qu’on débarque dans ta vie, mais là, tu dépasses les limites. Va faire la pute avec ton petit maillot de bain, moi, je vais prendre l’air. Ca pue le racisme et la condescendance ici. Et pour information, ton fric, j’en veux pas, ta charité non plus. Je te laisse expliquer à ta mère pourquoi j’ai préféré aller faire du basket dehors qu’aller à la piscine avec vous. Salut !
— Excuse-moi, mais s’il y a une pute ici, ce n’est certainement pas moi, grondé-je alors qu’il fait déjà demi-tour. Personne n’a remboursé mes dettes, à moi !
Il s’arrête net suite à ce que je viens de lui dire, puis se retourne lentement et son beau regard sombre se fixe sur moi.
— Je te promets une chose, Sarah. La dette de mon père, je vais te la rembourser. Au centime près. Avec des intérêts si tu veux. Mais je t’interdis de dire que mon père ou moi, on est ici pour l’argent. Au centime près, ajoute-t-il en dévalant les escaliers.
Il m’a traitée de pute. J’y crois pas ! Pour qui il se prend, ce con ? J’ai quand même un minimum de légitimité à me poser des questions sur la relation entre nos parents, non ? Dans le sens contraire, je suis certaine qu’il aurait déjà crié au scandale, en plus !
Je n’ai aucune envie d’aller me baigner avec cette charmante petite famille, sincèrement, et je mets un temps fou à me décider à descendre. J’ai failli changer de maillot, mais je me suis dit que si Liam rentrait alors que nous étions encore dans la piscine, il serait trop satisfait de voir que sa réplique pourrie a fait effet, alors je descends, mon paréo sur les hanches, et traverse la cour pour rejoindre une Judith qui trempe déjà dans l’eau, tout sourire.
— Je ne reste pas trop longtemps, j’ai du boulot pour les cours à finir, marmonné-je à ma mère en entrant dans l’eau.
— C’est quoi ce bikini ? Tu sors avec ça, maintenant ? me demande-t-elle, un peu choquée.
— T’es trop belle, Sarah ! l’interrompt Judith en se rapprochant de moi et en me serrant contre elle, toute fraîche.
— Toi aussi, tu es toute jolie, Princesse, souris-je en la prenant dans mes bras pour l’entraîner plus loin dans l’eau avec moi sans répondre à ma mère. Tu es contente d’être là, Judith ? Tu te plais, ici ?
— Oui, c’est trop bien, Daddy est trop content ici. Il n’y a que Liam qui pleurait tout à l’heure. Mais il va s’habituer. Il est trop fort, mon frère.
— Liam pleurait ? lui demandé-je, surprise. Il t’a dit pourquoi ? C’est… Mince, le pauvre.
— Je sais pas, je jouais avec ma poupée et je suis pas entrée dans la chambre. Tu as des poupées, toi ?
— Non, Chérie, tu sais, je suis grande maintenant, je n’ai plus de poupées, souris-je. Mais on pourra jouer avec les tiennes si tu veux de temps en temps.
— Moi, même quand je serai vieille comme toi, j’aurai toujours mes poupées. J’en ai trois, tu sais, et elles sont toutes belles comme toi. On joue quand alors ? C’est trop bien d’avoir une grande sœur ! Liam, il joue pas aux poupées, lui.
Je ne peux retenir ma grimace, et je ne sais pas si c’est davantage dû au côté grande sœur ou au fait qu’elle parle de Liam. J’essaie de me détacher un peu de ce contexte de merde qui ne me plait guère en jouant avec Judith. Au moins, avec elle, pas de faux semblant. Quand je fais une tête bizarre après avoir bu la tasse, elle se moque de moi, quand on rigole toutes les deux, elle me dit qu’elle est contente. C’est naturel et sincère, aucun doute là-dessus. Un sur trois, la moyenne est améliorable. Mais je n’ai plus confiance qu’en elle. Surtout quand je vois Jim se pavaner au bord de la piscine, rouler une pelle à ma mère comme si nous n’étions pas là, et plonger dans l’eau tel le nouveau maître des lieux.
— Doucement, Daddy, tu nous as éclaboussées ! rit Judith en s’essuyant le visage.
— C’est ce qu’on fait dans une piscine, Jude, on plonge, on nage, on s’amuse et on oublie tous les problèmes ! Ça va, Sarah ? Tu t’amuses bien avec Jude ?
J’ai envie de lui répondre que oui, mais que je m’amusais davantage avec son fils avant qu’ils ne nous fichent tous les deux dans la merde avec leur lubie, mais je me retiens.
— Oui, super, dis-je platement en évitant son regard.
— Super ! répond-il beaucoup plus enthousiaste que moi. Et Liam, il ne joue pas avec vous ? Il boude encore ?
— Il n’est pas venu, Daddy, répond-elle innocemment en éclaboussant son père.
— Il fait sa vie, bien loin des obligations que ma mère nous donne, apparemment, ajouté-je. Comme quoi, il semblerait que les règles divergent déjà et que la jolie famille peine à se retrouver. Ça promet.
— Je parlerai avec lui, Sarah. Il faut l’excuser, tu sais, ce n’est pas facile pour lui. Il est parti faire du basket, je suppose ? C’est sa façon à lui de réfléchir et de trouver des solutions… Il fait ça depuis qu’il est gamin… Mais c’est un bon garçon, tu verras, ça va s’améliorer, j’en suis convaincu.
— Vous me semblez bien sûr de vous, tous les deux, marmonné-je, mais vous n’en savez rien, vous êtes dans votre petite bulle, là, et il faut qu’on s’adapte à votre choix. Désolée, mais je n’ai pas la même confiance. Tu crois quoi, que parce que vous vivez ici, on va être la parfaite petite famille américaine en un claquement de doigts ? Pour ça, il aurait fallu qu’on soit inclus dans le projet, pas mis devant le fait accompli.
Je sors de la piscine rapidement et m’enroule dans ma serviette. Je m’en fous de ce que peut bien faire Liam. Et si Jim croit qu’il n’y a que le basket qui lui permet de s’évader, il se fourre le doigt dans l'œil. Si ça ce trouve, ce con est parti tirer son coup ailleurs, pendant que je me tape le petit après-midi en famille. Bon garçon ou pas, j’ai l’impression que toute ma vie vient de partir en ruines et qu’il faut que je reconstruise chaque pan de mur en fonction de personnes que je connais à peine, de choix que ma mère a faits sans se préoccuper de sa propre fille, et d’un homme en qui je n’ai aucune confiance, qui peut très bien nous ruiner en usant de je ne sais quel stratagème incluant du cul pour endormir le cerveau de ma mère. Super, la nouvelle famille. Ça fait envie, tout ça.
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