27. Pas dans son assiette
Liam
Lorsque j’ouvre les yeux, il me faut un instant pour me rappeler où je suis. C’est la toile de William, le père de Sarah, qui me ramène à la réalité de ma situation. Je suis dans le lit de la maison de Belle Maman. Et ma journée va être bien loin de ce dont j’ai rêvé et qui m’a donné une trique d’enfer. Franchement, ce maillot de bain, c’était une tuerie. Pourquoi je n’arrive pas à me le retirer de la tête? Pourquoi est-ce que je bande autant pour une femme que je n’ai plus le droit de mettre dans mon lit ? Et qui n’a plus envie, clairement. Malgré tout, je referme les yeux et je saisis mon sexe entre mes doigts. Le plaisir arrive si vite que je n’ai même pas eu le temps d’en profiter. Et je ne suis pas vraiment calmé. Encore une journée qui s’annonce difficile…
Je sors de ma chambre et profite que la salle de bain soit libre pour aller me prendre une douche rapide. Quand je veux sortir, je me rends compte que j’ai oublié de prendre mes habits et me contente de passer la serviette autour de ma taille avant d’ouvrir la porte. Le nez sur mon portable, je bute sur Sarah qui arrive à ce moment-là, l’air pas réveillé et habillée d’un pyjama fleuri pas très sexy et loin de ce qu’elle pouvait porter quand on passait les nuits ensemble. Le pire, c’est que même comme ça, elle est bandante.
— Oh, bonjour Sarah. Désolé, je ne t’ai pas vue arriver.
— Oh bon sang… J’avais espoir d’avoir fait un mauvais rêve, grimace-t-elle en reculant, tout en se passant la main dans les cheveux comme si elle voulait s’assurer qu’ils sont à peu près disciplinés. Mais tu ne sors pas de mon lit, donc… On est bien dans la même galère.
— M’en parle pas, Sweetie. On est mal barrés, là. Bref, bonne journée et à plus tard.
— Liam ? Je… Enfin… Désolée pour hier, mais tout ça, c’est beaucoup d’un coup. Tu veux que ton père soit heureux, je veux que ma mère le soit aussi, mais… C‘est trop rapide, ça me fait flipper.
— Toi au moins, personne ne t’accuse de profiter du système ou de n’être ici que pour l’argent. Tu vas avoir le temps de te remettre, rétorqué-je en retenant de justesse ma serviette qui glisse. Au centime près, je te le répète.
— Je m’en fous, de l’argent, mais tu comprends pas… Y a une société, des biens, des… Enfin, mon père s’est assuré de nous mettre à l’abri, en fait, donc ouais, j’avoue, un coup de foudre, un emménagement si rapide, ça me fait peur. Mais… Je n’aurais pas dû t’accuser, jamais tu n’as cherché à profiter d’autre chose que de mon corps, après tout…
— Si je comprends bien, tu penses que mon père n’est qu’un gigolo. Je ne t’en veux pas pour ça, je l’ai pensé aussi. Mais je crois qu’il est vraiment amoureux, j’en suis de plus en plus convaincu. Quant à ton corps, franchement, j’ai rarement vu une nana aussi bien gaulée que toi. Ne m’en veux pas si j’en ai profité, mais ce serait à refaire, je replonge direct.
— Merci pour ta considération, marmonne Sarah en soufflant. Ton père a oublié le respect des femmes dans ton éducation, il semblerait. Remarque, de la part d’un type qui me traite de pute, je me demande bien ce que je pouvais attendre d’autre. Bonne journée, Liam.
Je me morigène intérieurement d’être encore revenu à ce genre de propos, mais j’ai l’impression que c’est un peu le seul moyen que j’ai de maintenir la distance entre nous. J’étais encore à deux doigts de tout laisser tomber, même la serviette, juste pour le plaisir de la serrer à nouveau dans mes bras, de renouer cette relation qui n’a fait que débuter avant de se clasher contre le mur de la réalité. Je file à la salle de sport où j’ai mon entraînement toute la matinée.
Le trajet en moto me fait beaucoup de bien, mais, avec cette nouvelle adresse, le trajet est beaucoup plus court et j’arrive un peu frustré à la salle, et surtout bien en avance. J’en profite pour prendre un ballon et faire des lancers-francs. Mon objectif, c’est dix à la suite, et sans faire de rebond contre la planche. Rien de tel qu’un exercice comme ça pour se concentrer sur autre chose que ses problèmes quotidiens. Mais aujourd’hui, ça ne veut pas rentrer. Dès que j’aligne quatre ou cinq paniers, j’ai l’image de Sarah qui s’interpose entre moi et le panier et je rate la cible à chaque fois. Faut dire que j’y suis allé fort avec mes insultes. Elle a tellement raison de m’en vouloir…
Mes coéquipiers arrivent enfin et nous commençons l’échauffement avant même que le coach ne nous rejoigne. On a tous envie de jouer au ballon et on sait que si on ne fait pas tout ce qui est musculation et renforcement musculaire, on n’aura pas l’occasion de jouer. Parce que le basket, c’est ça avant tout, un jeu qui en vaut la chandelle. Certes, il faut aussi travailler la force, l’agressivité et l’endurance, mais le principal, c’est quand même de mettre la main sur le ballon et réussir à mettre des paniers. Chacun d’entre nous se donne à fond. Nous avons tous l’espoir qu’à la fin de notre scolarité, nous serons repérés par les franchises de la NBA afin de passer professionnel. Il y a cependant beaucoup de candidats et peu d’élus, mais on y croit tous un peu au fond de nous.
Le coach donne enfin le signal pour débuter une petite opposition. A chaque fois, il modifie les équipes pour que nous créions des automatismes avec l’ensemble de nos partenaires. Je me retrouve avec Jo, contre Abdul et Ryan. Au coup de sifflet du coach, je m’élance et c’est parti pour trente minutes de courses, parades, sauts. Quand je suis ici d’habitude, je me sens redevenir moi-même et j’oublie tout le reste. Sauf qu’aujourd’hui, je me fais surprendre à plusieurs reprises par Abdul qui me met à défaut et me contraint soit à concéder le panier, soit à faire une faute. A la fin de l’opposition, alors que je me dirige vers la douche, en colère contre moi-même, Abdul attrape mon bras et me tire sur le côté.
— Tu me veux quoi ? Il y a un souci ? demandé-je un peu agressivement.
— Calmos, Frérot. J’aimerais bien comprendre ce qu’il t’arrive, surtout. T’as joué le match les yeux fermés ou quoi ?
— Ouais, c’était pas un match, là, normal de pas toujours être concentré, non ? Et puis, on dirait que tu t’es reposé tout le weekend, toi. Le déménagement ne t’a pas crevé ?
— Crois-moi, j’aurais pas dit non à être plus crevé que ça si c’était ta nouvelle frangine qui m’avait occupé pour le reste de la journée, ricane-t-il.
Tout de suite, le sentiment de jalousie que je ressens est fort et intense. Et bien loin du sentiment de protection fraternelle que j’aimerais avoir.
— Eh pas touche à la famille, Bro, d’accord ? En tous cas, pas sans mon accord. Je croyais que c’était sa copine Becca que tu kiffais ?
— Becca est à fond sur toi, je crois pas avoir mes chances. Et ça va, c’est pas vraiment ta sœur, respire mec. Tu serais pas d’accord ? Promis, je serai gentil avec elle.
— C’est pas toi qui parlais de défoncer le cul de ta dernière meuf ? C’est ça, être gentil ?
— Oh ça va, t’as jamais parlé comme ça, toi, peut-être ? Je te jure que je serais le mec parfait pour dévergonder la petite bourge avec politesse et respect.
— Politesse et respect pour un dévergondage ? pouffé-je. T’es un fou, mec. De toute façon, tu fais bien ce que tu veux avec elle, c’est la guerre depuis que j’ai emménagé chez elle. On peut pas se piffrer. Tu imagines la galère ?
— C’est si terrible que ça ? Tu vis dans une villa de fou, ça pue le fric à plein nez, ça doit être cool quand même !
— Ouais, c’est cool, mais quand on te reproche à longueur de journée que tu es là juste pour ça, que tu ne penses qu’au fric, je te jure, c’est fatiguant à la fin. En plus, la frangine, elle croit vraiment que mon père, c’est juste un gigolo qui n’en veut qu’à la fortune de sa mère. Vas-y la relation, mon frère. L’argent, ça corrompt tout, tu sais ?
— J’imagine bien, mais t’as qu’à la charmer et la mettre dans ton lit, une pipe et elle ne pourra plus l’ouvrir, rit-il en mimant une fellation.
— T’es con, tu sais bien qu’une fille, ça peut faire deux trucs à la fois ! dis-je alors qu’il éclate de rire. Et puis, on couche pas avec la famille, quand même, ce serait dégoûtant, non ?
— Oh, ça va, elle est blanche, toi noir, vous n’avez aucun lien de parenté, vos parents sont pas mariés… Je vois pas où est le mal. Et puis, au moins, t’aurais une chatte à deux mètres toutes les nuits si besoin !
— Ouais, ben la chatte, je te la laisse, parce que je peux te dire que ce qui sort de sa bouche, ça ne fait pas fantasmer ! T’inquiète pas pour moi, Abdul, ça va aller. Je serai plus concentré au prochain entraînement. Allons à la douche !
— Tu pourras me donner son téléphone ? Je tenterai ma chance. C’est comme au loto, tu sais. Cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance !
Je soupire et l’entraîne à la douche où nous sommes bien évidemment les derniers. Le Coach nous fait signe de nous dépêcher, mais je fais en sorte qu’Abdul soit déjà sorti pour quitter le gymnase à mon tour. Si je peux gagner un peu de temps avant de lui remettre ce numéro, c’est pas plus mal.
— Ah, te voilà enfin. Tu vas bien, Capitaine ?
Je me retourne pour voir qui s’adresse à moi comme ça. Je dévisage le jeune asiatique qui vient de s’adresser à moi. Il sait qui je suis, mais moi, je n’ai aucune idée de qui il est.
— On se connaît ? Tu me veux quoi ?
— Moi ? Oh rien. Tu sais, je ne fais que suivre les ordres, moi. Je vais là où on me dit d’aller, je fais ce qu’on veut que je fasse…
— OK, bon alors, là, tu vas aller chez ta mère et lui dire qu’elle devrait mieux t’éduquer et pas embêter les gens, d’accord ?
— Fais pas le malin, Liam. Tu sais, on ne plaisante pas avec le Mexicain. Et ton père, il l’a pas mal énervé quand même. Faudrait pas que tu te retrouves avec un genou en moins, gamin.
— Je croyais que tu obéissais aux ordres qu’on te donnait. Ça n'a pas l’air de fonctionner. Il me veut quoi, le Mexicain ? Les dettes ont été payées, non ?
— Les dettes, oui, mais pas les intérêts. Tu sais, les petites lignes sur les contrats, quoi, sourit-il.
— Ouais, ben là, il n’y avait pas de petites lignes. Tout a été payé et il ne me fait pas peur. Tu lui diras que la prochaine fois qu’il a un truc à me dire ou à me demander, il vient me voir en personne. Je ne traite pas avec les sous-fifres comme toi qui ne savent même pas pisser sans avoir son autorisation. Ciao, mec. Mes hommages au Mexicain.
Je lui tourne le dos et sens son regard qui me suit alors que je m’éloigne de la salle de sports. Je me demande pourquoi il est venu me voir, ce gars. Il n’a fait ni menace concrète, ni demande précise. Pourquoi me mettre la pression à moi ? Tout cela ne présage rien de bon, mais après l’entraînement foireux, le rendez-vous foireux. La prochaine étape, ce sera le cours foireux ?
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