34. Le jeu de la galoche
Sarah
Je n’ai jamais vraiment apprécié ces dimanches entre voisins, mais je crois qu’on a touché le fond, là. Il était certain que Millers serait le plus con de tous, et il a forcément fallu que Liam fasse l’imbécile et drague sa fille. Le hasard ne fait pas toujours bien les choses. Je déteste voir le basketteur draguer tout ce qui bouge et qui a une poitrine. Je crois n’avoir jamais été aussi jalouse, c’est totalement injustifié et injustifiable, mais c’est comme ça. Le seul point positif de cette journée, je crois, c’est de l’avoir vu lui aussi un peu jaloux. J’aurais pu le rassurer en lui disant que Kyle et moi, c’était fini depuis bien longtemps, mais ça aurait été trop gentil. Je pense plutôt finir par lui avouer que Kyle est mon premier, histoire de voir ce qu’il en dira. Vilaine, moi ? Même pas. Je ne suis pas sûre que ça lui importe tant que ça. Vu le nombre de vagins qu’il a dû visiter, je ne suis même pas certaine qu’il se rappelle de sa propre première fois. De toute façon, on place bien trop d’importance dans sa première fois, surtout pour les filles. Kyle ou un autre, quelle importance ? C’était court et pas très agréable. La première fois, au moins. Kyle n’avait pas beaucoup d’expérience, mais on a appris à deux, pendant quelques mois, avant de se rendre compte qu’on était davantage des amis que des amoureux. Mais il a été là quand j’avais besoin de lui, c’est un ami fidèle et cela justifie encore moins l’élan de jalousie que j’ai perçu chez Liam.
Ce dernier, d’ailleurs, est encore dans l’allée du garage en train de jouer au basket. J’entends le bruit du ballon qui tape au sol résonner depuis déjà une bonne heure. Il est monté dans sa chambre juste après dîner, mais n’a pas dû tenir dix minutes avant de redescendre. Et moi, j’aimerais dormir et ce n’est pas une très bonne berceuse, d’autant plus que cela me rappelle des souvenirs aussi agréables que douloureux. On l’a saigné, ce panier de basket, avec mon père, et le voir à nouveau sorti du garage me fait bizarre.
Je finis par me lever avec la ferme intention de lui demander d’arrêter. J’enfile un gilet par-dessus mon short et mon débardeur de nuit et passe voir si Judith dort bien. Je ne sais pas comment elle fait pour être plongée dans les bras de Morphée alors qu’elle est plus proche que moi du garage et donc du bruit que peut faire son frère.
La nuit est fraîche et le spot qui éclaire l’allée m’éblouit lorsque j’arrive près de lui. Lui qui est à fond dans sa bulle, qui enchaîne les dribbles et les paniers comme si rien n’existait tout autour. Merde, j’avais oublié comme il m’attire avec un ballon entre les mains. Qui aurait cru que je craquerais pour un basketteur alors qu’il m’est impossible de toucher une balle depuis la mort de mon père ? J’ai même séché les cours de sport pendant tous les cycles de basket.
— Tu comptes passer la nuit à maltraiter ce ballon ? lui demandé-je finalement après m’être adossée au mur de la maison.
Il s’arrête brusquement, le ballon à la main, comme s’il était en mode défensif, prêt à faire la passe à un coéquipier mieux placé que lui. Il se retourne vers moi et s’approche en dribblant.
— Je pense qu’il va au moins me falloir la nuit pour que la pression de cet après-midi de merde retombe, oui, me dit-il en avançant vers la lumière du spot au-dessus de moi.
— Je comprends… Y a plus agréable comme dimanche. Heureusement que ces petites sauteries n’ont lieu qu’une fois par mois, c’est un coup à finir en taule pour meurtre.
— M’en parle pas. Jack, je crois que j’aurais pu l’étrangler. Et pourtant, ce n’est pas comme si je n’avais pas l’habitude de gérer des gens comme ça, soupire-t-il en arrêtant enfin de dribbler.
Son regard se pose alors sur moi et il m’observe en silence un moment. Sous l’influence de ses yeux, ou alors aussi du froid, je sens que mes tétons durcissent et se tendent sous le tissu et je resserre mon gilet autour de moi.
— On n’est pas dans le quartier le plus ouvert, mais au fond, on ne les côtoie vraiment que de temps en temps, alors il faut faire avec. T’aurais dû draguer la fille des Dickels, son père est plus cool. Fais gaffe, il y a un paternel dans chacune de ces maisons ou presque, quand même. Même ici, maintenant. Enfin, on verra comment tu seras quand Jude sera en âge d’avoir un copain. Même sans le racisme, le côté protecteur est déjà pas mal développé chez toi, souris-je.
— La fille des Dickels, c’est la petite brune qui me collait à un moment, c’est ça ? Tu sais, toutes ces filles, c’est que pour le fun, il leur manque toutes un petit quelque chose qui fait que pour une nuit, pourquoi pas, pour plus, ça ne le fera jamais. Il n’y avait que toi qui avais réussi ce petit miracle, mais il faut maintenant qu’on passe à autre chose, soupire-t-il tristement.
J’ai presque envie de me vanter d’avoir réussi cet exploit, mais ça n’a rien de génial quand on sait dans quelle situation on se retrouve actuellement.
— Pas facile de passer à autre chose alors qu’on se voit tous les jours, avoué-je doucement. On peut jouer aux frères et sœurs, il n’en reste pas moins qu’on a couché ensemble et qu’on ne peut pas effacer ces nuits-là d’un claquement de doigts...
— C’est clair que je ne les oublie pas, ces moments-là ! C’était plus qu’agréable. Font chier, nos parents. Tu sais que j’allais presque te dire qu’on devrait tenter un truc ? Franchement, heureusement qu’ils l’ont dit à ce moment-là sinon, on serait sûrement encore plus dans la galère… Bref, tu comprends pourquoi j’ai besoin de faire un peu de basket, ce soir…
Je le regarde en silence en tentant d’assimiler ses paroles. Il allait me proposer de tenter un truc ? Sérieusement ? Après m’avoir refoulée ?
— Heureusement que je ne ressens pas le besoin de faire du piano dans ce genre de situations, ris-je. Tu sais que c’est bruyant, le basket ? J’entends tout de ma chambre, et je me demande encore comment ta soeur fait pour dormir.
— Tu as ton piano électronique dans ta chambre, si tu veux, toi. Difficile de faire du basket électronique, sourit-il. Quant à ma sœur, elle peut dormir à travers tout, elle. Désolé, je n’ai pas pensé au fait que ça pourrait te déranger. Ta mère m’a dit que tu faisais du basket, tu veux faire quelques paniers avec moi ? Que je voie si tu as encore de beaux restes !
Il me tend alors le ballon avec un sourire auquel il est difficile de résister. Honnêtement, ce dont j’ai envie, là, c’est d’autre chose que de jouer au basket, et je ferme les yeux pour me calmer.
— Je n’ai pas touché à un ballon de basket depuis cinq ans, Liam. Ça va sans doute me faire passer pour une dingue à tes yeux, quoique ma mère s’est déjà bien chargée de dépeindre ma folie.
Je soupire et lui prends malgré tout le ballon. J’ai l’impression de redécouvrir la sensation de tenir entre mes mains la lourde sphère en cuir que j’avais l’habitude de malmener quotidiennement, en club ou avec mon père. Je me rends compte que j’ai trop longtemps refusé de m’y remettre, vu le plaisir que me procure le premier dribble.
— Pas de jugement ou de moquerie, sinon je t’envoie la balle là où ça fait le plus mal. Deal ? demandé-je à Liam en faisant rebondir le ballon entre nous.
— Deal, sauf si tu joues mieux que moi. Là, je peux tout me permettre, répond-il en se décalant d’un pas et en me renvoyant le ballon.
— Aucune chance, Capitaine, souris-je en dribblant jusqu’au panier. J’avoue déjà ma défaite, tu vois ?
Je me prépare à lancer avec l’impression que c’est comme le vélo, et la balle roule sur l’arceau avant de glisser dans le filet. C’est bien plus satisfaisant que je ne m’en souvenais, et je souris bêtement en la récupérant pour lui renvoyer.
— Pas mal ! Tu as vraiment de beaux restes ! C’est cool une jolie femme qui sait tirer ! Est-ce que tu sais défendre, aussi ?
Liam dribble autour de moi et je me retrouve entre lui et le panier. Il me dévisage, toujours en dribblant, et lance une attaque à laquelle je ne peux rien faire, à part lui attraper le bras, sans que ça le gêne vraiment. Il me renvoie le ballon après son panier facile, en souriant.
— J’étais meneur, t’as vu ma taille ? ris-je. Faut pas trop m’en demander non plus, t’es une masse ! Très bien, puisque tu veux jouer… Sois cool quand même, je suis une fille !
J’approche de lui en faisant rebondir la balle et lui tourne le dos au moment du contact pour tenter de l’empêcher d’en prendre possession. Je le sens contre moi, penché, et vois ses mains apparaître de chaque côté pour récupérer le ballon. Ma chance, c’est qu’il est grand. Mon désavantage, c’est que j’apprécie beaucoup trop sentir son corps au contact du mien. J’essaie de le pousser à reculer, mais il ne bouge pas d’un poil, et je finis par me pencher davantage pour passer sous son bras par surprise. Malheureusement, mettre un panier en étant bien sur ses appuis est plus simple qu’en mouvement, et le ballon tape trop haut sur la planche pour finir dans le filet. Merde.
— Ça va, j’ai été assez cool ? Parce que je peux te dire que tu as failli me pousser à la faute à me coller ainsi, si tu vois ce que je veux dire.
— Je joue contre le Capitaine de l’équipe de l’Université, il faut bien que j’use de tous mes atouts pour pouvoir te passer, non ? ris-je en me positionnant avant de lui lancer le ballon. Clair que si tu fais pareil, la seule chose que je vais pouvoir faire c’est te chatouiller, ou me retrouver les quatre fers en l’air, moi.
— Et on sait tous les deux comment tu réagis, les quatre fers en l’air avec moi à tes côtés, sourit-il, mutin, avant de se lancer vers moi.
J’essaie de ne pas être trop déstabilisée par sa remarque, mais il a fait mouche. Il parle de ça comme si nous étions deux ex, deux potes qui plaisantent de leur relation. Je suis loin d’avoir envie d’en plaisanter, moi. Surtout que je sais qu’il va pouvoir marquer, ce crétin. ll est beaucoup plus grand que moi, beaucoup plus entraîné et surtout beaucoup plus doué. J’ai beau faire barrière de mon corps et il a beau être patient et la jouer cool, je sais qu’il n’aura aucune peine à passer ma défense médiocre. Alors je la joue nounouille et je passe mes bras autour de lui pour l’immobiliser et l’empêcher de lancer en l’enlaçant. Il ne fait pas grand effort pour se libérer, mais réussit à continuer à faire rebondir la balle d’une main alors qu’il rit, et je me retrouve conne parce que je n’ai même pas la possibilité de la récupérer.
— Eh, on a dit pas de moquerie, l’attaqué-je sans le lâcher.
— Je ne me moque pas, je profite. Vu comment on est parti, on peut passer toute la nuit comme ça, jamais tu ne récupèreras ce ballon.
— Tu es chatouilleux ? Ou, non, attends, je sais, pouffé-je en lui pinçant une fesse. Lâche cette foutue balle, Sanders !
S’il est clairement surpris par mon geste, il ne bouge pour autant pas d’un poil et continue, comme si de rien n’était, me faisant même reculer d’un pas alors qu’il se rapproche du panier.
— Si je marque ce panier, je gagne quoi ? me demande-t-il, taquin. Parce que tu as l’air vraiment décidée à m’en empêcher, Madame Je-Suis-Prête-à-Tout-Pour-Gagner.
— Il n’y a rien à gagner, Liam. Autant, ça aurait pu être un deal très intéressant, mais ce que j’ai à te proposer n’est plus possible, grimacé-je en le relâchant finalement.
Il m’observe en silence, faisant tranquillement tournoyer le ballon sur un de ses longs doigts.
— Comme tu voudras, Sweetie, c’est toi qui décides. Merci d’être venue me tenir compagnie en tous cas. Je vais te laisser dormir. Bonne nuit.
— Bonne nuit, Liam, soupiré-je.
Je fais quelques pas en direction de la maison avant de me retourner pour constater qu’il m’observe.
— Tu me manques, tu sais ? avoué-je. J’ai l’espoir qu’on arrive à être amis, mais mon instinct premier n’est pas du tout de jouer à la bonne copine avec toi. Quand bien même ce n’était que du cul…
— Tu n’es pas la seule à qui tout ça manque, me répond-il en déposant le ballon par terre et en s’approchant de moi. J’ai comme des envies d’encore.
Je sens que je vais faire une connerie. Je la vois venir sans difficulté, et le pire c’est que j’en ai follement envie. Vu le regard de Liam lorsqu’il se plante finalement devant moi, je ne doute pas qu’il est dans le même état d’esprit . Quelle idée pourrie de le rejoindre ici ! Ou quelle excellente idée ? Mon cerveau et mon corps ne sont absolument pas d’accord sur la question.
Nous restons silencieux un moment, nous dévisageant l’un et l’autre, et j’avoue que je ne sais pas trop lequel de nous craque le premier. Toujours est-il que je me retrouve pressée contre lui, mes mains fermement agrippées à sa nuque alors que les siennes me soulèvent, et nos bouches en pleine redécouverte. C’est un amas de divines sensations qui m’assaillent alors que nous nous embrassons avec ferveur, comme si nos vies en dépendaient, comme si nous n’attendions que cela depuis des jours et des jours. Ça part en live total. Je le sens monter les marches qui mènent au porche et je me retrouve plaquée contre la porte d’entrée, littéralement dévorée par cet homme avec lequel je me sens revivre. Son short ne dissimule rien de l’excitation qu’il ressent et je ne suis pas mieux, d’autant plus qu’il nous stimule tous les deux en donnant des coups reins, pressant davantage encore, si c’est possible, sa hampe contre mon intimité désireuse de plus.
Nous sursautons tous les deux en entendant une voiture s’engager dans la rue, et Liam me relâche presque brutalement pour s’éloigner de moi.
— Je… Heu… Je suis désolée, bafouillé-je en m’engouffrant dans la maison rapidement.
Je cours presque jusqu’à ma chambre, mais il a la bonne idée de ne pas me suivre. Bon sang, ça, c’est trop la merde. Et pourquoi je m’excuse, d’abord ? Comme si j’étais plus fautive que lui ! Il ne m’a pas repoussée, à ce que je sache ? Je m’en veux d’être descendue, mais je n’arrive pas à regretter. Le retrouver, comme avant, comme si nos parents n’avaient pas eu la folle idée de se mettre en couple, était aussi agréable qu’interdit. J’ai l’impression d’entendre Jude dans ma tête, me dire à quel point elle est contente d’avoir une grande sœur, ou ma mère, rabacher encore et encore que nous sommes une famille. Tu parles d’une famille. S’ils savaient.
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