Liam

Je suis surpris de l’invitation de Sarah de m’emmener en cours. D’habitude, nous y allons chacun de notre côté, elle en voiture, moi en moto. Personne sur le campus ne se doute que nous vivons ensemble, hormis les quelques coéquipiers qui nous ont aidés à déménager, mais ils restent plutôt discrets à ce propos, à ma demande. Et si d’autres nous voient parfois à deux, ils doivent s’imaginer qu’elle et moi, on couche ensemble et puis c’est tout. Franchement, si c’était le cas, je serais vraiment trop heureux. Mais là, la situation devient de plus en plus critique. Déjà, c’était chaud d’envisager un truc à deux, mais là, avec l’officialisation de la situation, ça l’est encore plus.

— Félicitations, Daddy. Félicitations, Vic. Il faut nous laisser un peu de temps pour réaliser, mais je suis sûr que vous serez heureux, tous les deux.

— Merci, Fils, ton soutien fait plaisir à voir.

— Je file aussi, Sarah risque de ne pas m’attendre si je traine trop. A ce soir ! Jude, pas de bêtise, hein ?

— Non, je vais être sage pour pouvoir aller au mariage ! chantonne-t-elle, toute contente.

Je croise Sarah qui sort de la salle de bain, mais elle ne m’adresse pas un mot et je commence à douter de ce que j’ai compris, et la rattrape par le coude pour l’arrêter dans son mouvement.

— Tu m’emmènes vraiment en cours ?

— Pourquoi, tu as peur d’être vu en public avec moi ?

— Non, du tout, c’est juste que tu ne me l’as jamais proposé avant. Et vu la tronche que tu tires, je me demandais si tu voulais vraiment de la compagnie. Mais t’inquiète, je me prépare vite fait et je te rejoins.

— Je veux retourner dans la bulle. Tu avais tort, ce matin, marmonne-t-elle. Je t’attends dans la voiture…

C’est clair que là, c’est son instinct qui avait raison. La bulle a éclaté et je me demande si on va vraiment réussir à la recréer, même en s’enfermant dans sa voiture. Je me lave les dents et récupère mon sac avant de descendre. J’embrasse Jude qui vient me souhaiter une bonne journée comme tous les jours et sors de cette maison où on pourrait loger toute l’équipe de basket. Je me dis, en pensant à ça, que nous n’avons toujours pas de nouvelles de Mike. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Aucun moyen de le savoir.

Sarah est déjà dans sa voiture qu’elle a démarrée et je me suis à peine installé qu’elle appuie à fond sur le champignon et nous partons sur les chapeaux de roue dans un crissement de pneus.

— Eh doucement ! Tu vas nous tuer, là !

— Mais non, qu’est-ce que tu racontes, je sais conduire, je te remercie. T’étais au courant ?

— Bien sûr que j’étais au courant. Je le savais et j’étais tranquille en train de dormir avec vous deux. Non mais tu crois quoi ? Que je suis plus dans le secret des Dieux que toi ? Ils sont fous, nos parents…

— Non mais tu te rends compte du truc ? Le mariage, quoi ! Et en plus, ils ont le culot de nous demander d’être les témoins ?

— Remarque, là dessus, s’ils avaient demandé à quelqu’un d’autre, on aurait été encore plus fâchés, non ? Mais oui, c’est incroyable. Dire qu’il y a trois mois, ils ne se connaissaient pas !

— Plus fâchée ? Je crois pas, non ! Faut approuver un mariage pour être témoin, non ? Parce que moi je n’approuve pas une seule seconde !

— Quoi ? Tu crois que mon père n’est pas assez bien pour ta mère, c’est ça ? demandé-je en prenant un peu la mouche.

— Non mais, sérieux, Liam, une demande en mariage aussi rapide ? Coup de foudre ou pas, c’est inconscient ! Judith a besoin de stabilité, pas de ce genre de conneries ! Et venez pas vous plaindre que ça me colle des idées en tête sur le fric, y a de quoi !

— Daddy n’irait pas jusque là pour du fric, Sarah. Tu ne peux pas dire ça, peut-être qu’ils s’aiment vraiment, non ? C’est si difficile que ça de croire à leur amour ?

— Ouais, j’y crois autant qu’au Père Noël, là, marmonne-t-elle. Tout ce que je vois, ce sont les emmerdes qui arrivent et… Le fait que ton père va posséder la moitié des biens de ma mère, tu vois ?

— Et tu crois qu’il va en faire quoi ? Qu’il va tout dilapider ? Mon père n’est pas comme ça, tu sais. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on est forcément des voleurs.

— Ton père n’est pas comme ça ? Qu’est-ce que tu en sais ? Tu sais ce qu’il a fait de ses derniers salaires, toi ?

Touché. Et même coulé. Car oui, on ne serait pas dans cette situation s’il avait payé les loyers plutôt que d’investir son argent dans des plans foireux. Je détourne la tête et regarde les maisons défiler. Sarah a bien ralenti afin de nous laisser le temps de discuter et ses mots tournent et retournent dans ma tête.

— Tu as raison sur un point, Sarah. Mon père ne sait pas gérer son argent, il me faut l’admettre, soupiré-je. Mais mon père n’est pas un truand non plus, enfin… Je crois…

— Essaye de te mettre à ma place rien qu’une seconde, Liam. Tu ne t’inquièterais pas de voir tout ça arriver ? Y a de quoi, je pense…

— Ouais, tu penses qu’il va te voler ton héritage, c’est ça ? commencé-je un peu agressivement avant de redescendre tout de suite. Désolé, ça m’énerve tout ça, mais franchement, je pense que mon père n’a pas de mauvaises intentions. Et ta mère a l’air ravie de cette bonne nouvelle. Peut-être qu’il faut juste se ranger à leur avis, à leur décision ?

— Je peux pas. Comment tu veux que je me réjouisse que ma mère remplace mon père ? J’y arrive pas, c’est impossible !

Je soupire et ne réponds pas. Elle a raison et si ma mère n’avait pas été aussi horrible que ça avant de nous quitter, peut-être que je serais comme elle. Je suis sûr que mon père est un gars bien, mais il a un vrai problème avec l’argent et, même s’il a l’air vraiment amoureux de Vic, qu’est-ce qui pourrait nous faire croire que tout ce qu’il fait, il le fait par amour ?

— Je comprends ce que tu ressens, Sweetie. C’est dur de voir ses parents refaire leur vie. Surtout quand c’est aussi brutal et soudain que ça.

— J’ai l’impression que tout est parti en cacahuète… Tu te rends compte qu’il y a quelques semaines, on couchait ensemble et nos parents faisaient pareil de leur côté ? Et qu’avec ce mariage… Tu deviens riche, mais aussi mon frère. Bienvenue dans la famille, soupire-t-elle.

J’essaie d’analyser un peu tout ce qu’elle me dit alors qu’elle se gare sur le campus. Le souvenir de nos étreintes passées est encore très vivace dans mon esprit. Il faut dire que nos petits écarts de ces derniers jours étaient plutôt intenses. Par contre, l’idée de nos parents en train de copuler me dérange un peu. C’est pas facile de faire partir cette pensée. Et ça change vraiment quelque chose de devenir son frère ?

— Je t’ai déjà dit que je ne voulais pas de cet argent, Sarah. Ce n’est pas mon objectif à moi, de devenir riche.

— Mais tu pourrais arrêter de bosser à droite à gauche, passer plus de temps avec ta sœur. Enfin, avec Jude, j’entends… Profiter de ta jeunesse autrement qu’en allant en soirée de temps en temps et tirer ton coup. Et devenir mon frère, ça, ça te dérange pas ? me demande-t-elle en regardant au loin.

— Tu veux dire quoi, par là ? Pourquoi ça me dérangerait ? Ce sont nos parents qui se marient, pas nous.

— Laisse tomber, comme d’habitude, tu fais la sourde oreille dès qu’on parle de ça, marmonne-t-elle en récupérant son sac sur le siège arrière.

Je cherche à faire les connexions qu’elle a apparemment déjà faites dans sa tête et je m’en veux d’être aussi pataud et lent. Mon cerveau peine vraiment à assimiler tout ce qu’elle implique par ses mots.

— Ah oui, je vois ce que tu veux dire. On entre dans le tabou désormais, si on continue à fricoter. Tu… Enfin, je… Pour moi, ça ne change pas grand-chose à hier, cette décision, tu sais ?

— Ça ne change pas grand-chose, hein ? T’as raison, autant tout laisser en plan, ça ne sert à rien de se prendre le chou. Chacun va reprendre sa vie, tu vas recommencer à baiser à droite, à gauche, si ce n’est pas déjà fait, et je vais retrouver ma petite vie d’intello coincée et basta. On se fera des petits repas en famille, l’air de rien, comme si on n’avait jamais couché ensemble, comme si on n’avait pas envie de recommencer. On oublie, débite-t-elle d’une traite, agitée.

Je la regarde, ébahi, et comprends enfin que ce qui la gêne le plus dans cette histoire, c’est ça. Le fait qu’on ne pourra plus coucher ensemble alors qu’on en avait envie. Peut-être même qu’on avait envie de plus que ça, mais là, tout ça, avec cette décision à la con, c’est mort. Je soupire, me rendant compte de tout ce dont je vais devoir me priver avec cette union alors que nous étions à deux doigts de remettre le couvert.

— Je suis désolé, Sweetie, mais c’est peut-être mieux ainsi ? Qui sait où nos folies nous auraient emmenés ? Et puis, tu sais, leur mariage n’est pas encore fait. Ils vont peut-être se disputer d’ici là ? Et tout annuler ?

— Tu sais, Liam, dit-elle en se tournant enfin vers moi. C’est pas en rejetant les nanas que tu vas te protéger de je ne sais quoi. Fais gaffe, un jour tu rencontreras une super nana, faite pour toi, et au lieu d’enfin te laisser aller et de t’autoriser à être heureux, tu la perdras parce que tu es incapable de lâcher prise et de faire confiance. C’est dommage. On ne saura jamais où toutes nos folies auraient pu nous mener, de toute façon. Et il n’y en aura plus. Donc, frère et soeur ? Super deal, hein ?

— Deal de merde, oui, répliqué-je alors que ses mots pénètrent mon esprit.

Frère et sœur, oui. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire.