44. Le relou et le jaloux
Sarah
Qu’est-ce que ce type est ennuyeux ! Mais qu’est-ce qui m’a pris, sérieusement ? A quel moment est-ce que je me suis dit que sortir avec Ryan était une bonne idée ? Liam me fait vraiment faire n’importe quoi. Non, si je suis honnête, je me débrouille très bien pour faire moi-même n’importe quoi. Une vraie dinde. A quoi bon le rendre jaloux ? On ne peut pas être ensemble, de toute façon. Alors, quel est l’objectif ? Me prouver à moi-même que je ne suis pas qu’un cul et des seins pour lui ? Me satisfaire de le voir jaloux ? Ça ne l’est même plus, c’est juste hyper frustrant, au final.
— Sarah ? Tu es avec moi ?
Non, pas du tout. J’ai juste envie de me barrer de cette pizzéria. Paie ton rencard. Il vient de s’enfiler une méga pizza tel une Tortue Ninja, et doit être tellement sûr de lui qu’il ne s’est pas gêné pour prendre un truc bourré de fromage fort et d’oignons. Autant dire que l’embrasser reviendrait à plonger sa tête dans un réfrigérateur en panne depuis des mois, ou son nez dans la bannette des fringues de l’équipe de basket après un match.
— Oui, oui, pardon. Tu disais ?
— Je disais que l’on mange vraiment bien dans cette pizzéria. Dommage qu’ils n’aient pas de tiramisu en dessert. Tu veux prendre quoi, toi ? Je te préviens que si tu réponds que c’est moi que tu veux, ce ne sera qu’après !
Ah oui, non, aucune chance que je veuille ce genre de desserts. Plutôt me péter une main ou être enfermée H24 avec Judith et tous ses jouets pendant un mois.
— Je vais prendre un sorbet au citron, je n’ai plus vraiment faim, en fait… Elles sont copieuses, les pizzas. Et toi, tu prends quoi ?
J’ai presque envie de le prévenir que s’il répond que c’est moi qu’il veut, je lui colle mon pied entre les jambes, mais je suis bien élevée.
— Ah oui, tu as raison de faire attention à ta ligne. Moi, je vais prendre le gâteau au chocolat, avec de la glace.
Ma ligne ? Qu’est-ce qu’elle a, ma ligne ? Il croit vraiment qu’il peut emballer avec ce genre de réflexions ?
— Tu devrais faire attention à la tienne, pas sûre que le coach soit d’accord avec ton menu.
— Ah j’adore les femmes avec de l’humour, s’esclaffe-t-il. Elle est trop bonne, ta blague. Après manger, on peut aller chez toi ? J’ai pas eu le temps de tout ranger chez moi, c’est un peu le bordel.
— Ah non, ça ne va pas être possible, ça. Pas de garçon chez moi, ris-je. Tant pis pour ce soir alors.
Il me regarde dans les yeux et son air peiné me ferait presque pitié si ça ne venait pas de ce lourdingue. Je me questionne de plus en plus sur la soirée où j’ai accepté cette invitation. Il avait l’air tellement plus séduisant… Ou alors, j’étais trop prise par mon envie de créer de la jalousie chez Liam pour vraiment me préoccuper de son discours ?
— Oh tu sais, il reste toujours la voiture, alors. Je mettrai le chauffage, ne t’inquiète pas, rigole-t-il bêtement.
— La voiture ? ris-je. Avec la taille que tu fais ? Tu n’as pas peur de te faire le coup du lapin ?
— T’inquiète, je gère. Tu verras, ça va être top de chez top !
— J’en doute. D’ailleurs, je suis désolée, mais je vais décliner la proposition, soupiré-je en sortant mon porte-monnaie de mon sac.
— Comment ça, décliner ? Tu ne vas pas me faire ça, quand même ? La dernière fois, tu m’as juste dit que tu ne couchais pas le premier soir, mais là, ce n’est pas le premier ! J’ai envie de toi, moi !
— Eh bien… Je suis désolée, mais ce n’est pas vraiment réciproque. C’est pas contre toi, c’est moi, je crois que que je n’ai pas réussi à me mettre dans l’ambiance. Je t’invite, pour compenser.
— Mais, laisse-moi une chance, Sarah ! Je suis sûr que si tu me laisses t’embrasser, tu vas vite te mettre dans l’ambiance !
J’ai envie de lui rire au nez, mais encore une fois, je suis bien élevée et prends un air désolé.
— Je ne pense pas, honnêtement. Je suis vraiment désolée, Ryan, mais… Non, je n’ai pas l’envie.
— On se revoit quand alors ? Promis, je vais ranger ma chambre et on pourra baiser tranquille. Tu vas adorer, je te jure !
Quand tu auras de la conversation ? Quand tu ne passeras pas ta soirée à mater mes seins ? Quand tu n’auras pas les mains baladeuses sans mon consentement ?
— Je doute qu’on se revoie pour ça. Merci pour la soirée, souris-je en me levant pour aller payer.
Je règle la note rapidement et soupire en voyant que Ryan m’attend dehors. Je ne peux m’empêcher de repenser aux paroles de Liam à son sujet.
— Bon, eh bien… Encore désolée, Ryan, et… Merci pour la soirée, lui répété-je, mal à l’aise.
— Merci pour le repas, mais tu viendras bien prendre un verre chez moi, non ? On pourra jouer ensemble, si tu veux, passer une bonne soirée, quoi. Je t’invite pour te remercier de ce bon moment à deux ! me lance-t-il en passant son bras autour de mes épaules.
Quel lourd ! Il lui faut quoi pour comprendre que je ne suis pas intéressée ? Je me défais de son étreinte et recule un peu pour instaurer une distance entre nous en cherchant mes clés de voiture dans mon sac.
— Non, merci, je vais rentrer maintenant Ryan. Passe une bonne fin de soirée.
— Oh Sarah, pars pas comme une voleuse. Toi et moi, on est fait pour s’entendre, hein ? continue-t-il en mettant une main sur mes fesses.
— Wow ! Ça va pas, non ? dis-je en le repoussant plus brusquement.
Du moins, aussi brusquement qu’il est possible de dégager une armoire de quasiment deux mètres. Foutus basketteurs. Je t’ai dit non, qu’est-ce que tu ne comprends pas, au juste, là-dedans ?
— Oh ça va ! finit-il par dire en levant les mains. J’ai rien fait de mal, j’ai juste un peu insisté au cas où tu aurais juste hésité. Il y a des nanas qui jouent à ça, qui font les Sainte-Nitouche et qui sont ravies d’en profiter, après. Tu m’appelles, alors, hein ?
— N’y compte pas, marmonné-je en m’engouffrant dans ma voiture.
Je démarre rapidement et le plante sur le trottoir sans aucune culpabilité. Vraiment, il faut que j’arrête d’agir sans réfléchir. Sortir avec lui devait sans doute être la pire idée du siècle. Peut-être que j’écouterai Liam, la prochaine fois. Fait chier, il va être trop satisfait de savoir qu’il avait raison, cet imbécile. Ça me met en rogne de l’imaginer avec son sourire satisfait, et je ne peux m’empêcher de me dire que me voir rentrer aussi tôt va trop lui faire plaisir.
Sans réfléchir, je bifurque vers l’Université et me retrouve à la Bibliothèque. Je bosse quasiment deux heures. Ou j’essaie. Difficilement. Foutus mecs, parfois, je me dis que je me prendrais moins le chou en étant lesbienne. Peut-être que je devrais faire concurrence à Liam et draguer Becca !
Quand je rentre à la maison, je constate que tout le monde est au lit et suis satisfaite de voir toutes les lumières éteintes. Malheureusement pour moi, je tombe sur Liam dans la salle de bain. Le Karma m’en veut, il faut croire.
— Pardon… soupiré-je en faisant demi-tour pour aller dans ma chambre.
Je me déshabille et me démaquille avant d’enfiler mon peignoir. La lumière de la salle de bain est encore allumée et je me demande s’il l’a juste laissée parce qu’il savait que j’allais y retourner ou s’il est encore dans la pièce.
— T‘en as encore pour longtemps ? soupiré-je en le voyant planté devant l’un des lavabos.
— Tu ne rentres pas tôt… C’était bien au moins ? répond-il en me scrutant, comme s’il pouvait lire sur mon corps si j’avais tiré mon coup ou pas.
— C’était… Instructif. Pas la soirée de ma vie, mais ça aurait pu être bien pire, souris-je en resserrant les pans de mon peignoir. Et ta soirée ?
— Ah oui ? Tu as couché avec ce pervers ? Franchement, j’attendais mieux de toi, persifle-t-il. Tu t’en fous de ma soirée, alors fais pas comme si ma vie t’intéressait.
— Tu dis n’importe quoi. Déjà, je ne me fous pas de ta soirée, je ne fais pas que me regarder le nombril. “J’attendais mieux de toi” ? Sérieux ? J’ai des comptes à te rendre, peut-être ?
— Quand tu sors avec un mec comme Ryan, tu as des comptes à rendre, oui ! Franchement, me remplacer par ce type, c’est du grand n’importe quoi ! Et en plus, tu as trouvé ça “instructif” ! s’emporte-t-il alors que je referme la porte pour ne pas réveiller Judith qui dort à proximité.
— Je ne te remplace pas, je vis ma vie, Liam. Mais ta jalousie est vraiment trop mignonne, ça me donnerait presque envie de te faire un câlin, petit frère.
— Moque-toi, m’attaque-t-il. Franchement, ça me dégoûte. On verra si tu rigoleras comme ça quand je me taperai ta copine. Quand je pense que je me retenais pour… Pour rien de toute façon. Allez, bonne nuit. Et lave-toi bien surtout.
— Tu te retenais ? me moqué-je, agacée. T’avais vachement l’air de te retenir dans la cuisine, Capitaine. Joli self control ! A d’autres, franchement. Et évite de te taper Becca, ton plan d’un soir, c’est pas pour elle, elle s’attache trop vite, même aux petits branleurs et aux queutards.
— Elle sait qu’avec moi, c’est une nuit et puis c’est tout. Et je ne suis ni un branleur, ni un queutard, arrête de m’insulter. A partir de maintenant, toi et moi, c’est chacun sa vie. Deal ?
— Nos vies sont imbriquées, Liam, pas de chance pour toi, ça ne sera plus jamais chacun sa vie. Et je ne t’ai pas insulté, c’est toi qui le prends pour toi. Bonne nuit, petit frère, dis-je en me mettant sur la pointe des pieds pour l’embrasser sur la joue.
Je fais vraiment n’importe quoi. Seul constat possible alors que je sors de la salle de bain. Je doute que ce soit l’instinct de protection du grand frère qui parle, vu son regard. Je ne comprends pas pourquoi je prends un malin plaisir à le narguer comme ça. Au final, il me fait la morale même sans que je lui dise que Ryan est un gros con qui me tripote sans gêne. J’aurais sans doute pu éviter de laisser planer le doute sur le fait que Ryan et moi avons couché ensemble ou pas. Mais… Pour ce petit élan de jalousie… Que je vais sans doute payer par la suite. Nul doute qu’il ne devrait pas tarder à se taper Becca. Je continue néanmoins à espérer, contre toute raison qu’il n’osera pas, ça me ferait bien chier quand même.
Annotations