52. Le poing du Protecteur
Sarah
Jude s’attache alors que je démarre la voiture, le sourire aux lèvres. Cette gosse est toujours souriante, toujours de bonne humeur, et c’est plutôt contagieux, en général. Elle a revêtu un tee-shirt de basket de son frère par-dessus son pull et on dirait qu’elle porte une robe dix fois trop grande pour elle.
— Dis, Sarah, tu crois que Liam, il va me voir dans les gradins ?
— C’est sûr, impossible de te manquer, souris-je en m’engageant dans la rue.
— Elle est gentille, ta copine ?
Ah, Becca… Le sujet est un peu compliqué, surtout qu’elle déprime depuis que Liam l’a refoulée. J’ai du mal à en être vraiment désolée et je me sens coupable, même si je compatis à sa peine. Becca est ce qu’elle est, elle est un peu folle, elle se cache derrière une attitude sûre d’elle et aguicheuse, mais c’est surtout une personne sensible qui s’attache énormément aux autres, et très vite. Alors, forcément, quand Liam lui a montré de l’intérêt, elle n’a pu que tomber droit dans ses filets.
— Oui, elle est gentille, tu vas voir.
Je monte le volume de la musique lorsque la princesse me le demande, et nous nous garons quelques minutes plus tard sur le parking du campus où bon nombre de supporters sont déjà présents. Jude attrape ma main une fois descendue de voiture et nous nous dirigeons vers Becca qui semble plutôt souriante aujourd’hui.
— Salut Becca, dis-je en la prenant dans mes bras. Je te présente Judith, la petite sœur de Liam. Jude, voici Rebecca, ma meilleure amie.
— Coucou Judith. Salut Sarah. Vous êtes prêtes pour aller encourager votre frère ? J’espère qu’il viendra nous voir après le match, j’ai envie de lui parler un peu.
— Il viendra sans doute voir sa sœur, oui… Techniquement, il n’en a qu’une, d’ailleurs, soupiré-je. Allez, allons nous installer avant de manquer le début, on n’est pas très en avance, Jude a fouiné dans le placard de Liam pendant dix minutes pour trouver ce maillot.
Elle est vraiment toute contente de venir voir son frère à ce match. J’ai cru comprendre qu’elle le faisait rarement. D’un autre côté, elle n’est pas bien vieille et ne peut pas vraiment se retrouver seule dans les gradins.
Nous nous installons au deuxième rang, en plein milieu de la salle, et Jude grimace en voyant la masse devant elle, m’obligeant à la prendre sur mes genoux pour qu’elle puisse voir quelque chose. Les joueurs sont en train de s’échauffer sur le terrain et la petite pile électrique crie le nom de son frère lorsqu’il met un panier, le faisant se retourner pour nous chercher du regard. Judith lève les bras et bat des ailes, ce qui fait sourire son frère qui nous fait coucou. Becca, à mes côtés, soupire, un sourire niais aux lèvres, et je me retiens de lever les yeux au ciel.
La petite me saute littéralement sur les genoux en voyant son frère approcher, ballon sous le bras. Leur relation est vraiment complice et Jude est en adoration devant son frère, c’est vraiment trop chou. Elle lui saute au cou à peine est-il devant nous, manquant de cogner dans les spectateurs du rang de devant.
— Liam, t’es prêt à mettre plein de paniers ? Je suis trop contente de venir te voir ! rit-elle.
— Salut Liam, lui dit Becca plus timidement.
— Bonjour les filles ! Je suis content de vous voir. Vous allez voir un beau match, je pense. Becca, ça va depuis la dernière fois ? dit-il, un peu gêné.
— Oui, oui, ça va…
Paie ton malaise entre les deux. J’ai dit à Becca que j’en avais discuté avec Liam et qu’il était désolé mais qu’il pensait qu’il valait mieux éviter de se fréquenter… Difficile à entendre pour ma meilleure amie, je doute qu’elle lâche prise comme ça.
— Bon match, Liam. Fais gaffe, ils semblent plus costauds que moi, souris-je en attrapant Jude pour la récupérer.
— Et moi, tu ne crois pas que je sois assez fort ? répond-il en montrant ses biceps.
— Je dis juste que tu ne vas pas pouvoir les passer aussi facilement que tu me passes. Pour le reste… Tu interprètes ce que tu veux, Capitaine, ris-je alors que je vois Ryan derrière lui qui fait signe dans notre direction.
— On va continuer notre série de victoires, vous allez voir !
Motivé, le Capitaine. Il nous fait un clin d'œil et part rejoindre ses camarades, attrapant Ryan par le cou au passage pour l’entraîner avec lui alors que nous nous rasseyons tranquillement.
Lorsque le match débute, Jude est vraiment au taquet. Liam a une supportrice de choix, et je constate qu’il a déjà dû lui parler du basket et de ses règles. La petite encourage son frère et l’équipe, saute partout lorsqu’il y a un panier pour nous et hue même les adversaires lorsqu’ils font une faute. Elle semble pourtant fatiguée en fin de match, et est beaucoup moins attentive lorsque Liam se retrouve sur le banc après un très bon match de sa part. Je me demande même si elle ne va pas s’assoupir, mais elle tient le choc et reprend de la vigueur quand il foule à nouveau le parquet.
Liam marque le dernier panier, assurant la victoire à quelques secondes de la fin d’un match plutôt tendu avec pas mal de fautes. Nos joueurs sont à cran, mais ne se font pas avoir. Cependant, une fois que la sonnerie retentit, les joueurs de l'University of Minnesota viennent chercher des poux à nos basketteurs et le ton monte un peu. J’attrape donc nos affaires et me dépêche de sortir avec Jude, préférant qu’elle ne voie pas ce genre de choses, et j’ai tout juste le temps d’apercevoir Liam s’énerver en essayant de temporiser ses coéquipiers. Plutôt étonnant qu’il ne soit pas du genre à attaquer le premier dans ces moments un peu chauds.
— Tu verras Liam à la maison, Jude, il viendra te faire un bisou en rentrant, comme d’habitude, dis-je à la petiote qui boude tandis que nous regagnons la voiture.
— Mais non, je vais dormir quand il rentrera ! Je veux le voir avant de rentrer, moi. Pourquoi on est parti ?
— Parce que les bagarres, c’est nul et ennuyeux, soupiré-je en lui ouvrant la portière sans qu’elle daigne monter.
— Je veux attendre Liam !
— Très bien, on l’attend, mais monte en voiture, il ne fait pas très chaud. Je vais lui envoyer un message pour lui dire que la Princesse fait son caprice.
— Non, non ! C’est pas un caprice, lui dis pas ça ! Je veux juste voir mon frère, moi.
Je lève les yeux au ciel, un sourire en coin, et avertis Liam que sa sœur veut le voir avant de rentrer, qu’il ne tarde pas trop s’il n’est pas occupé à démonter quelques têtes. J’espère que tout s’est vite calmé là-dedans, mais les spectateurs commencent à sortir petit à petit, Becca en tête qui me rejoint.
— Ça a fini en bain de sang ou ça s’est décanté ? lui demandé-je doucement alors qu’elle se pose contre ma voiture.
— Non, Liam a calmé tout le monde dès qu’il a haussé la voix. J’en avais des frissons de le voir faire, il n’a pas eu peur du tout, c’était… Trop beau !
De toute façon, elle aurait trouvé ça “trop beau” quoi qu'il fasse. Il se serait planqué derrière les autres qu’il l’aurait encore été à ses yeux.
— Judith veut attendre son frère, ça te dérange si on patiente un peu ?
— Eh bien, non, je suis comme Judith, moi ! J’attends Liam ! s’enthousiasme-t-elle en tapant des mains.
— Becca, lâche l’affaire, passe à autre chose, sérieusement. Tu vas t’y casser les dents, là… C’est pour toi que je dis ça, hein…
— T’es pas marrante, toi. Moi, je crois que j’ai encore mes chances. Tant que je ne l’aurai pas eu dans mes draps, je continuerai à espérer pouvoir le convaincre. Tu sais qu’il ne m’a pas bloquée sur les réseaux sociaux, c’est bon signe, ça, non ?
— Ça ne veut strictement rien dire, ça, soupiré-je. Tu as bloqué tous ceux que tu ne voulais pas dans ton lit, toi ? Parce que pas moi. Je commence à le connaître, Bec, à ta place, je me ferais à l’idée.
— Oh, j’ai encore envie d’espérer un peu, même si, c’est vrai, c’est quand même mal parti, sourit-elle. Après, on n’a qu’une seule vie, si je n’essaie pas maintenant, j’aurai des regrets plus tard !
Je préfère changer de sujet et commence à lui parler du mariage de ma mère plutôt que de continuer sur le sujet Liam qui est un peu trop bancal pour moi. Lui parler des robes et de l’organisation a au moins le mérite de lui sortir le basketteur de la tête. Jude, elle, a rejoint les bras de Morphée à l’arrière de ma voiture, encore une fois beaucoup trop mignonne pour qu’on ne s’attache pas davantage à elle.
— Oh, oh, je crois que ton rencard foiré se pointe, Sarah.
Je tourne les yeux en direction du gymnase et constate qu’en effet, Ryan vient dans notre direction, sûr de lui et confiant. J’espère qu’il ne va pas être trop lourd, je n’ai aucune envie d’être sympa ce soir.
— Salut, Ryan, dis-je alors qu’il se plante devant nous. Liam a bientôt fini ?
— Il ne devrait plus tarder, il s’assure que tout le monde sort calmement. Tu es magnifique ce soir, ma Beauté. Toi aussi, Becca. Vous voulez venir finir la soirée chez moi, toutes les deux ?
— Merci, mais j’ai une gosse de cinq ans qui dort dans ma voiture, pas de soirée pour moi.
— Liam sera de la partie ? lui demande Rebecca, presque ridicule à autant s’accrocher.
— Ah non, juste vous deux et moi, pourquoi ? Tu préfèrerais que je partage ?
— Non, marmonné-je. Elle n’est juste pas intéressée, et moi non plus.
— Sois pas jalouse, Sarah. Tu sais bien que c’est toi que je préfère. Peut-être que Becca peut s’occuper de la petite et du Capitaine et toi, tu viens avec moi ?
Il se rapproche de moi et je sens ses doigts se poser sur mes épaules. Je les hausse et recule d’un pas pour m’éloigner, déjà agacée par sa lourdeur. Soit il est comme Becca, soit il est totalement bigleux.
— Je ne suis pas jalouse, Ryan, je ne suis juste pas intéressée, en fait. Et je m’occupe de Jude, c’est le deal, hors de question de la laisser à quelqu’un d’autre.
Ryan ne se démonte pas et approche à nouveau en souriant. Le mode gros lourd est activé, je n’ai pas le temps de voir venir qu’il a crocheté son doigt sur le décolleté de mon chemisier et qu’il vient me coller en déboutonnant d’un cran le tissu. Je me retrouve entre la voiture et lui, et je ne suis pas vraiment rassurée, surtout que Becca n’intervient pas.
— Ça suffit, arrête, Ryan, dis-je en le repoussant comme je peux, le plus fermement possible.
— Oh, je sais que tu aimes ça, Sarah. Tu as beau essayer de me résister, je n’y crois pas une seconde. Et tu me fais trop envie.
— Sauf que je t’ai dit non. Et un non, c’est pas un oui déguisé ! m’agacé-je en tentant à nouveau de le repousser.
Ryan n’a pas le temps de répondre qu’il est tiré en arrière et je vois Liam l’attraper par le col de son tee-shirt. En un quart de seconde, son coéquipier se retrouve appuyé contre la voiture d’à côté, la lèvre en sang sous la force du coup de poing reçu.
— Liam ! Mais qu’est-ce que tu fais ? m’affolé-je en me plantant entre eux deux, de peur qu’il continue.
— Je montre à ce connard qu’on doit respecter les femmes et que non, c’est non. Point final. Ryan, maintenant, tu dégages. Et je te promets que je vais en parler au Coach et demander ton exclusion de l’équipe. Tu as beau bien jouer au basket, je te jure qu’on n’a pas besoin de mecs comme toi parmi nous. C’est clair ou je dois recommencer pour que tu comprennes mieux ?
Ryan se redresse et le fusille du regard avant de déchanter sous l'œil mauvais de son Capitaine.
— Parle pas au Coach, c’est bon, je la laisse tranquille, ta foutue frangine, Captain.
— Je te jure que si j’apprends que tu as importuné la moindre fille sur le campus, non seulement, je te remets une raclée, mais je te ferai regretter ça, tu peux compter sur moi, le menace-t-il à nouveau en levant le poing, alors que je suis toujours entre les deux.
Ryan tourne les talons sans plus un mot et s’enfonce dans le parking. Et moi, je ne peux quitter des yeux mon “frère”, dont les mâchoires sont contractées, dont les yeux lancent des éclairs. J’attrape son poignet et grimace en voyant ses phalanges.
— Mais, t’es fou enfin ! Qu’est-ce qui t’a pris ? Tu veux te péter la main ou quoi ?
— Il n’avait pas à te toucher et là, il ne t’embêtera plus, répond-il en me dévisageant. Il ne t’a pas fait mal au moins ?
— Oh Liam ! Tu étais magnifique à défendre ta sœur comme ça ! s’écrie Becca en venant s’accrocher à son épaule.
Il se dégage doucement d’elle en continuant à me regarder moi.
— Non, je dois avoir moins mal que toi, clairement… On se retrouve à la maison ? dis-je en jetant un œil à Becca. Jude dort dans son siège, de toute façon. Je dépose Rebecca et… Pense à mettre de la glace sur ta main, hein ?
— T’inquiète pas pour moi. Becca, bonne soirée, merci d’être venue nous supporter. Abdul m’a dit que tu pouvais le contacter, il est toujours intéressé, si tu veux tout savoir. Sarah, j’arrive tout de suite. Attends-moi avant de coucher Jude. Il faut que je lui donne son bisou !
J’acquiesce et me mets sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue avant de monter en voiture. J’ai beau détester être la petite demoiselle en détresse, j’avoue que Liam en mode protecteur, ça m’excite plus que ça ne le devrait. Du moins, jusqu’à ce que Becca me rabâche encore et encore que l’instinct de protection fraternel est trop sexy. C’était vraiment fraternel, ça ? Dans tous les cas, ça ne m’a pas laissée indifférente, assurément. Foutu basketteur.
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