84. Petits et gros soucis
Sarah
— Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas regarder le film avec nous ? me demande ma mère en s’installant dans le canapé.
— Non, non, ça va. Liam et moi on voulait regarder le dernier Jurassic Park, donc on va le mater dans ma chambre.
— Pourquoi vous ne le mettez pas ici ?
— Heu… Parce que tu n’aimes pas ces films ? Ou parce que ni lui ni moi n’avons envie de vous entendre et vous voir vous bécoter toute la soirée ? souris-je.
— Sarah, tu es sûre que ça va ? Enfin… Tu as été bien silencieuse aujourd’hui.
Tout roule, Maman. Mon mec, qui ne doit pas l’être, est menacé par un foutu con, on m’a proposé de faire le trottoir. Vraiment, aucun problème.
— Les cours sont complexes, en ce moment, c’est tout. Ça me préoccupe un peu trop. Mais ça va aller. Bonne nuit, Jim, bonne nuit, Maman.
Je dépose un baiser sur sa joue et évite son regard interrogateur en quittant le salon pour monter à l’étage, où Liam est en train de refermer mes bouquins étalés sur le lit pour les déposer sur mon bureau. Il porte un short de basket et son maillot, et j’avoue qu’il est vraiment trop craquant comme ça.
— J’espère que tu n’as rien contre Jurassic Park, parce que c’est le programme du soir, officiellement. On peut nous griller dans le même lit sans risquer l’outrage, dis-je en allant dans mon dressing. Enfin, pas tous nus, non plus, ce serait un peu trop jouer avec le feu.
— Ne te couvre pas trop quand même, Sweetie, qu’il y ait quelques étincelles.
Je crois qu’il peut compter sur les étincelles, mais je doute que ce soit celles qu’il attend. J’ai ruminé tout le reste de la journée ce petit rencard avec le Mexicain et j’ai besoin qu’on en échange. J’ai vraiment apprécié qu’il soit transparent avec moi jusqu’à présent à ce sujet. Ou du moins, ces derniers jours. Et j’aimerais qu’on réfléchisse ensemble à ce qu’on peut faire. Je sais qu’il n’appréciera pas, mais je suis prête à lui donner l’argent moi-même s’il le faut.
Je me change sans lui répondre et enfile un short de nuit et un débardeur. Liam est déjà au lit quand je sors de mon dressing et il me détaille des pieds à la tête tandis que je mets le film et tire la télévision accrochée au mur dans notre direction. Après avoir éteint la lumière, je me glisse sous les draps et le sens se coller dans mon dos alors que sa main glisse sous mon débardeur et se pose sous ma poitrine.
— Merde, soupiré-je en voyant que ma meilleure amie m’a appelée plusieurs fois. Attends, il faut que je rappelle Becca.
Je me redresse et m’adosse contre la tête de lit en entendant la sonnerie de mon téléphone. Comme quoi, cela doit être assez critique pour qu’elle insiste autant. Liam remonte mon débardeur et pose ses lèvres sur mon ventre, me faisant rire avant que je ne décroche.
— Hey, Becca. Ça va ?
— Ah Sarah ! Enfin, tu réponds ! C’est horrible ! C’est la fin de ma vie !
— Qu’est-ce qui se passe ? Un problème ?
— C’est Abdul, cela fait deux jours qu’il ne s’est pas intéressé à moi, tu imagines ? Il ne m’aime plus, c’est sûr.
— Deux jours ? dis-je en fronçant les sourcils. C’est si terrible que ça ? Peut-être que… Je ne sais pas, qu’il a des problèmes familiaux ?
Liam est maintenant en train de glisser ses mains sous mon short et ses doigts ont trouvé le chemin de mon intimité alors que je lui fais les gros yeux pour qu’il arrête de me déconcentrer pendant ma conversation avec Becca.
— Il n’avait jamais passé autant de temps sans me faire l’amour. Tu ne te rends pas compte comme sa bite me manque, Sarah. C’est la fin de notre histoire, je te dis. C’est terrible !
J’ai envie de lui rétorquer que ce qui est terrible, c’est de devoir cacher son histoire d’amour à sa mère et de savoir qu’elle a une fin datée, mais je me garde bien de l’ouvrir et repousse gentiment la main de Liam en lui faisant signe de se taire alors qu’il bougonne.
— Ecoute, Becca… Je ne sais pas quoi te dire. Tu n’auras qu’à en discuter avec lui lundi, à la fac, non ?
— Je ne peux pas lui en parler ce soir, tu crois ? Il est dans mon lit en train de dormir, là.
— Hein ? Mais je croyais que tu ne l’avais pas vu depuis deux jours ? dis-je en me redressant. Ah non, pardon, vous n’avez pas forniqué depuis deux jours. T’es sérieuse, là ? Tu paniques alors que ton mec dort chez toi plutôt que de passer son temps à te sauter ? Putain, Becca, être ensemble ce n’est pas que le sexe, tu sais ?
— Tu crois que je peux le réveiller alors ? me demande-t-elle, coincée dans ses problèmes du quotidien alors que Liam va devoir choisir entre deux démons plus dangereux l’un que l’autre.
— Franchement, Rebecca, tu fais bien ce que tu veux, mais tu risques de le faire chier plus qu’autre chose et de créer des problèmes là où il n’y en a pas. Autre chose de plus critique que tes petites angoisses injustifiées ?
— Non, tu es une vraie copine, Sarah ! Merci pour tout ! s’enthousiasme-t-elle avant de raccrocher.
Je reste un peu nunuche, le téléphone à l’oreille, en tentant de comprendre comment ma meilleure amie peut être aussi perchée. Si elle m’avait parlé comme ça, je crois que je l’aurais envoyée bouler lourdement, au lieu de quoi elle me remercie.
— Bon, eh bien… Problème réglé, apparemment, soupiré-je en reposant mon téléphone sur ma table de nuit avant de me rallonger. Tu sais si Abdul a un souci avec Bec ?
— Non, je ne crois pas, à part qu’elle le fatigue bien, elle ne lui laisse aucun moment de répit, rigole-t-il. Un peu comme toi et moi, non ?
— Ben peut-être qu’on devrait un peu moins être comme ça... Quand je suis au téléphone, par exemple, tu vois ?
— Je vois, mais si je te laisse tranquille, tu ne vas pas appeler Becca en pleurs, rassure-moi ?
— Je t’assure que non. Je peux même te dire que ça me fera plaisir de voir que tu es là pour autre chose que pour du sexe, Capitaine. Enfin, pas trop de diète quand même, hein ?
— C’est sûr. Enfin bon, on en est où dans le film, là ? m’interroge-t-il en venant se rasseoir à mes côtés. J’ai un peu perdu le fil !
Je récupère la télécommande et remets le film au début en me lovant contre lui. J’essaie de me concentrer sur le scénario, et malgré Chris Pratt, je n’arrive pas à me plonger dans l’histoire, trop préoccupée par ce qu’il s’est passé aujourd’hui. Je finis d’ailleurs par mettre pause et me tourne vers Liam qui ne semble même pas surpris par mon geste.
— On va faire semblant que tout roule encore longtemps ? Parce que moi, j’en suis incapable…
— Je sais, moi non plus je n’arrive pas à penser à autre chose qu’au Mexicain. Je vais être obligé d’accepter sa proposition, je crois. Mais bon, si ça me ramène de l’argent, ce sera supportable, j’imagine.
— Tu es prêt à faire des trucs illégaux, vraiment ? C’est quoi ton objectif, finir en taule ?
— Mon objectif ? Eh bien, c’est que je puisse payer les examens et opérations nécessaires quand je vais à l’hôpital ou si un jour, Jude doit y aller, tu vois ? Ou alors avoir un endroit où je peux t’inviter et vivre avec toi. Être riche, quoi !
— Et tu crois vraiment qu’il va te lâcher au bout d’un an ? Sa parole ne vaut rien, Liam ! Je ne comprends pas comment tu peux envisager de fricoter avec lui alors que… Merde, tu sais que ça va mal finir, tout ça ? La prison, je crois que c’est le mieux dans le pire qui peut arriver, tu t’en rends compte ?
— Mais si je ne lui dis pas oui, j’imagine tout ce qui pourrait t’arriver et franchement, ça me fait flipper, Sarah. T’imaginer aux mains de cette crapule, c’est intolérable. Si je le rejoins, je pourrai te protéger, au moins.
— C’est clair qu’en taule, tu pourras vraiment me protéger, marmonné-je en m’asseyant. C’est n’importe quoi, je n’arrive pas à comprendre comment tu peux préférer bosser pour un voyou plutôt que d’accepter que je t’aide.
— C’est une question de fierté, tu sais. J’ai l’impression de ne pas être dans l’action quand tu me donnes de l’argent. J’ai vraiment pas envie d’être un gigolo toute ma vie !
— Et moi je n’ai aucune envie de te voir te faire tuer, ou rentrer tabassé, ou je ne sais quelle connerie, encore ! m’énervé-je.
— Mais il veut juste que je fasse le VIP, il a dit. Le risque est minime, non ?
— C’est ça, et c’est moi la naïve, hein ? Tu crois quoi, que tu vas être dans la cuisine de la pizzeria à compter les billets ? Non mais, Liam, sérieusement ! T’as vu ta taille, vu ta carrure ? Bon dieu, redescends sur Terre !
— Mais j’ai pas d’autre alternative, c’est là où est le problème, se résigne-t-il, les yeux fixés sur le bébé dinosaure qui apparaît figé à l’écran.
— Bien sûr que si, tu en as une autre ! Tu es juste bien trop têtu pour la prendre en considération, monsieur le soi-disant gigolo !
— Et tu vas lui verser sa rente tous les mois sans jamais rechigner ? Sans me dire que ce n’est pas normal, peut-être ?
Je grimace parce qu’il a raison, au fond. Évidemment que sortir de l’argent pour cette raclure m’ennuie, et que j’aimerais que cela n’arrive pas. Je ne me vois pas lui payer je ne sais quelle dette imaginaire toute ma vie, non plus.
— Ce que je veux, c’est que tu puisses vivre dans la légalité et devenir riche en faisant ce que tu aimes, Liam. Pour le Mexicain, il faut parvenir à le faire abandonner cette folie, ou obtenir une date de fin. Sinon, avertir les flics, j’en sais rien, mais ça ne peut pas durer éternellement.
— Je ne sais pas, Sarah. Le plus simple, c’est d’accepter sa demande, non ? Il n’y a que dans les films que les types comme lui ne gagnent pas à la fin, tu ne crois pas ?
— Nom de dieu, Liam, soupiré-je en me rallongeant, dos à lui. Ne va pas flipper parce que c’est ceinture, mais tu m’énerves, là. Comme si le plus simple était de faire des trucs illégaux et de jouer au gros bras pour ce fils de… Ah, ça me gonfle !
Contrairement à ce que j’aurais pu penser, Liam ne se fâche pas et ne s’éloigne pas de moi. Au contraire, il vient se coller dans mon dos et me caresse doucement.
— Tu sais quelle est la seule chose positive dans cette histoire ? me demande-t-il dans un murmure. C’est qu’on réfléchit ensemble à la solution. Pour une fois, je ne suis pas seul. Et c’est déjà bien, non ?
— Tu parles, tu as l’air d’avoir déjà pris ta décision… Et elle ne me convient absolument pas. Je préfère encore un gigolo inaccessible plutôt qu’un frère délinquant mort dans des circonstances très douteuses, moi, marmonné-je.
— Je n’ai pas décidé, Sweetie, ce que tu dis me touche, tu sais. Je réfléchis mais à part en appeler à sa bonté, je n’ai que des mauvais choix, se confie-t-il. Et franchement, de ce que je connais, je pourrais l’appeler longtemps et n’avoir jamais aucun retour.
— On a encore le temps d’y réfléchir…
Je remets le film et ne parviens pas davantage à me concentrer dessus. J’ai effectivement l’impression qu’on n’a aucune solution qui puisse convenir. Ce foutu Mexicain va bien nous pourrir la vie. Enfin, la pourrir à Liam, en premier lieu. Mais je ne suis pas près de dormir sur mes deux oreilles en le sachant je ne sais où, en train de bosser pour ce type qui me file la gerbe. Et s’il lui arrive malheur ? Comment peut-il réellement envisager cette solution ?
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