99. La brutalité du retour à la réalité
Liam
Lorsque l’avion qui nous ramène passe au-dessus des grands gratte-ciel du centre ville, j’admire la vue derrière l’épaule de Jude qui est émerveillée d’être si haut, par delà les nuages. Moi, je suis émerveillé de la semaine que nous venons de passer. Partager une chambre de manière officielle avec Sarah était un vrai plaisir et nous en avons vraiment profité. Se réveiller le matin avec elle dans mes bras, regarder le soleil se lever par la fenêtre en laissant libre cours à notre amour, franchement c’était le pied. Et le retour à la réalité risque d’être compliqué. Hier soir, j’ai essayé de la convaincre de se prendre une chambre sur le campus avec moi, mais elle a refusé. Elle a dit que nos parents ne comprendraient pas alors qu’on vit si près de l’université. Mais la façon dont elle m’a attiré en elle après coup m’a démontré, s’il le fallait, qu’elle aussi voulait profiter de cette dernière soirée.
L’atterrissage se fait en douceur et je profite de la cohue pour sortir de l’avion afin de me serrer contre elle le plus possible. Je pense qu’elle est vraiment dans le même état d’esprit que moi, la façon dont elle frotte ses fesses contre mon érection en est la preuve. J’ai presque envie de la suivre dans les toilettes lorsqu’elle s’absente alors qu’on attend nos bagages, mais je me retiens et joue avec ma sœur jusqu’à ce que le carrousel des bagages se mette en branle.
— Oh merci, Liam ! me lance Vic alors que je lui donne sa valise. Tu es un amour ! Un fils comme toi, c’est vraiment le rêve !
Je fais comme si je n’avais pas entendu le mot “fils” et me concentre sur le fait qu’elle a l’air de bien m’apprécier. C’est fou qu’elle me rabaisse toujours à ce simple statut de fils, alors que clairement, j’aimerais avoir un autre statut afin de profiter sans retenue aucune de Sarah qui nous rejoint, l’air un peu perdue dans ses pensées.
— Ça va ? lui demandé-je dans la voiture alors que Jude somnole contre mon épaule et que nos parents discutent à l’avant de détails sur leur mariage qui approche.
— Oui, oui. Pourquoi ça n’irait pas ?
— Tu as l’air d’être restée à Aspen, c’est tout…
— Si seulement… Non, je suis de retour à la maison, me dit-elle, un petit sourire triste sur le visage.
Quand le chauffeur de taxi s’arrête devant notre maison, nous descendons du mini-van et je m’occupe de décharger les valises pendant que Vic règle la course. Une main se pose sur mon épaule et je me retourne, prêt à voir Abdul ou un autre de mes coéquipiers. Cependant, il s’agit d’une grosse armoire à glace au regard méchant.
— Vous faites quoi, là ? l’apostrophé-je, de manière assez virulente.
— Viens avec moi, m’ordonne-t-il en attrapant mon bras pour me traîner à sa suite.
— Eh ! Doucement, là, j’ai pas envie de me laisser embarquer comme ça, l’interpellé-je en me dégageant de son emprise sur mon bras.
— Parce que tu penses que je te laisse le choix, là ? grogne-t-il en soulevant son tee-shirt pour me montrer l’arme qu’il arbore à la ceinture.
Je pâlis à la vue de son pistolet et commence à le suivre sous l'œil effrayé de Vic et Sarah qui ont toutes les deux pu voir le flingue.
— Liam ! N’y va pas, reste avec nous ! me supplie presque Vic.
— Ça va aller, Vic, je reviens tout de suite.
— Bon, tu veux que je t’apporte un café et une petite part de tarte, ou on peut y aller, ducon ? s’impatiente le gorille en attrapant à nouveau mon bras.
— Je veux bien un café, oui, avec deux sucres et de la crème, pas de lait, hein ? le provoqué-je alors qu’il me tire jusqu’au coin de la rue où attend une belle limousine noire et luxueuse.
Il grogne pour toute réponse et appuie sur ma tête pour me faire entrer dans le véhicule où règne une douce chaleur.
— Tu me veux quoi ? demandé-je avec irritation au Mexicain qui se contente de faire un signe au chauffeur.
Je ne suis pas surpris de me retrouver face à face avec lui, suite aux échanges de messages qui ont eu lieu pendant les vacances.
— Eh bien, je t’ai dit que tu avais jusqu’au début d’année pour te décider. Quelle est ta décision, Liam ? me questionne-t-il en allumant une cigarette.
Le chauffeur a commencé à rouler et je vois que nous faisons le tour du quartier à basse allure. Je n’aime pas me savoir à la merci du colosse qui me pointe toujours avec son arme.
— Tu n’as pas reçu mes messages ? Je t’ai pourtant fait un complément d’informations il n’y a pas si longtemps. Ma réponse, c’est jamais.
— Bien, tu vas arrêter de te foutre de ma gueule, maintenant, sinon il va t’arriver des bricoles, mon grand, dit-il en se penchant vers moi. Tu préfères quoi ? Le genou ou l’épaule ? Je n’ai aucune idée de ce qui met le plus de temps à se remettre, mais je suis certain que ta saison de basket sera terminée si j’en arrive à ça.
— Je ne me fous pas de ta gueule, le Mexicain, je te dis juste que tu ne peux pas compter sur moi pour faire tes magouilles. Tu n’as pas besoin de moi. Et du sang dans la limo, ça fait mauvais genre, lui rétorqué-je avec bravade.
— J’ai un très bon service de nettoyage, marmonne-t-il. Si ce genre de menaces ne te décide pas, on va aller récupérer l’une de tes sœurettes, ça devrait te convaincre. Ou… Ta jolie-maman, ça plaît encore, ce type de femmes. Bernie, demi-tour, on va chercher la marchandise.
— Tu fais ça, je peux te promettre une chose. Plus jamais, tu ne dormiras tranquille. Tu touches à un cheveu de ma famille, tu es un homme mort.
Les battements de mon cœur résonnent dans tout mon corps. J’ai l’adrénaline qui pulse dans mon sang et je ne sais pas comment je fais à ne pas me décomposer devant toutes ses menaces.
— Et je te croyais être un mec avec plus de respect pour la famille, la tienne comme celle des autres, ajouté-je en le regardant fixement.
Le silence s’est fait dans la voiture qui s’arrête à nouveau à proximité de la maison. Personne ne parle, personne ne le rompt. Les secondes passent lentement, inexorablement.
— Tu mériterais qu’on te règle ton compte pour oser me menacer, petit con. Je te fais une offre en or pour te remplir les poches, tu es un sacré petit ingrat. Tu as légèrement oublié les termes de ma proposition. Tu avais le choix entre deux options. Donc, j’attends de savoir laquelle est celle que tu privilégies, me dit-il calmement alors que je le vois serrer le poing sur sa cuisse.
— Celle que je privilégie, c’est celle où tu arrêtes de t’en prendre à moi et à ma famille. La vidéo de ce petit entretien est déjà sur les réseaux sociaux, sur un compte dont un de mes amis a les codes et l’information que s’il m’arrive quelque chose, ce sera publié. La fin d’un business comme le tien pour régler son compte à une petite merde comme moi, ce serait bête, non ?
Je continue à la jouer en mode bravache, mais je n’en mène pas large au fond de moi.
— Il est marrant, le petit, non ? s’esclaffe le Mexicain en regardant ses gros bras. Je te laisse décider si tu préfères lui péter le genou ou le bras. Fais-toi plaisir, il le mérite amplement. Et puis, si vous voulez lui casser la gueule, allez-y aussi. Laissez-le conscient, quand même. Je déteste quand il faut les traîner hors de la voiture.
— Vous ne me touchez pas, dis-je alors que j’ouvre la portière derrière moi. Qui te dit que je n’ai pas déjà accepté l’offre d’un autre gros ponte pour me protéger de toi et de tes sbires ? Vous vous imaginez la situation, quand ce grand manitou aura passé l’arme à gauche, ça veut dire qu’il sera mort, hein ? expliqué-je à celui qui me tient en joue. Vous serez sans protection et bien contents de ne pas m’avoir touché, dans ce cas-là. Charlot les grands pieds peut se montrer sans pitié aussi.
— Allez, arrête d’essayer de faire le malin, mon petit, grogne le Mexicain en m’attrapant par la nuque. Je te laisse une dernière petite semaine pour te décider. Je ne plaisante pas, Liam. Jamais. Il n’y a aucun gros ponte qui serait prêt à me contrarier pour sauver ton petit cul de branleur. Donc, il va falloir que tu te décides. Et vite. J’en ai marre et je commence à perdre patience, là.
— Plutôt que de perdre patience, tu ferais mieux de perdre l’espoir que tu as de me voir vous rejoindre. J’ai autre chose à foutre que d’aller chercher de l’alcool ou des drogues pour tes petits business.
Je sors de la voiture et ne me retourne pas alors que je meurs de peur de me prendre une balle dans le dos. Je suis à deux doigts d’aller voir la police, mais je n’ose pas, par peur des représailles. Lorsque je pénètre dans la maison et que je referme la porte dans mon dos, je m’appuie contre elle et souffle un grand coup.
— C’était qui ces types, m’interpelle Vic qui vient s’assurer que je vais bien.
— Les hommes de main du Mexicain. Ils n’apprécient pas qu’on leur résiste…
— Qu’on leur résiste ? Il… Qu’est-ce qu’il se passe, Liam ?
— Rien de très grave, Vic, c’est juste que quand on leur dit non, ils supportent difficilement la frustration. De vrais enfants gâtés. Ils pensent que l’on va continuer à leur donner de l’argent pendant des mois, laché-je comme si je parlais du mauvais temps en hiver, mais ils se mettent le doigt dans l'œil. Jamais plus ils n’auront un dollar de ma part. Ou de la tienne !
— Attends, je croyais que j’avais payé toutes les dettes ? Il continue à te demander de l’argent ? Mais… Pourquoi ?
— Ils ont senti qu’il y avait du fric dans la famille, désormais. Dans notre monde, Vic, la protection et la tranquillité, ça se paie. Mais ce qu’il ne comprend pas, c’est qu’on n’est plus dans notre quartier. Ici, on est dans un endroit où l’ordre et la loi coexistent. Et quand il va le comprendre et que la police s’emparera de l’affaire, il ira pleurer ailleurs.
— Je croyais que tu ne voulais pas aller voir la police ? intervient Sarah en approchant.
— Tu vois une autre solution ? grogné-je malgré moi. Il est temps qu’ils fassent leur travail, même si je suis noir, non ? Black lives matter, tu connais ?
— Oui, y a la solution que tu n’envisages même pas, soupire-t-elle alors que Vic nous regarde tour à tour. J’aimerais autant qu’on n’ait pas à devoir choisir le bois de ton cercueil, moi.
— Ce n’est pas une solution de lui donner de l’argent, m’emporté-je. Sinon, jusqu’à la fin de nos jours, on va vivre dans la peur. C’est impossible pour moi !
Je récupère ma valise et monte directement dans ma chambre. Je comprends qu’elles soient inquiètes, qu’elles soient prêtes à lui donner de l’argent pour l’entretenir. Mais c’est une solution que je ne peux pas accepter. Il doit exister un autre moyen de me sortir de ce piège, il me reste juste à trouver lequel.
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