121. Sa nouvelle œuvre d'art préférée
Liam
Alors que nous sommes tranquillement assis dans le “El”, le métro aérien qui nous conduit à Chicago, Sarah se serre contre moi et je profite de cet instant où nous n’avons pas besoin de nous cacher, où nous pouvons nous toucher, nous câliner sans trop risquer de nous faire surprendre par une connaissance. Ce sont vraiment des moments trop rares et je me dis qu’il faudrait qu’on arrive à en organiser plus souvent. Même si ça veut dire que je vais me taper une exposition sur l’art coréen entre le début du dix-neuvième siècle et le milieu du vingtième. Et le pire, c’est que je pense que Sarah n’a pas souhaité aller à l’Art Institute pour passer du temps avec moi, mais vraiment pour voir cette exposition ! Elle en parle avec une telle ferveur que je suis obligé d’admirer sa façon de l’évoquer. Me concernant, la seule chose positive que je vois, c’est que ni nos parents, ni Jude, n’ont souhaité venir et me voilà nommé garde du corps de la demoiselle pour cette petite expédition au centre de la ville.
— J’étais vraiment obligé de ne pas me mettre en jogging et baskets pour aller à l’Art Institute ? Il y a vraiment un dress code pour se rendre au musée ? redemandé-je alors qu’elle a glissé sa main dans mon manteau pour la passer sous la chemise que j’ai enfilée avant de partir.
— Oui Monsieur, il faut faire un petit effort. Mais bon, si ça peut te consoler, je te trouve vraiment très beau en jogging, mais là… Il va doublement falloir que je surveille les filles qui te tournent autour.
— C’est sûr que les intellos qui seront à l’exposition n’auront pas l’habitude de voir un mec aussi baraqué que moi. C’est le bon plan pour trouver une copine, en fait. Heureusement que je ne suis pas libre, hein ? Je crois que je vais passer toute la visite de l’exposition à te regarder observer les œuvres d’art. Deal, Sweetie ?
— Tu ne vas même pas essayer de t’intéresser à l’expo ? rit-elle.
— Franchement ? Je ne suis pas ici pour l’art coréen, non, mais bien pour la splendide nana que tout le monde va m’envier au musée. On pourra aller voir les Van Gogh quand même ? J’adore ses peintures, moi.
— Tout ce que tu veux, Capitaine. Et je doute que les visiteurs soient occupés à te jalouser pour ta copine.
— C’est bien ce que je dis, aucun goût, ces visiteurs. La plus belle œuvre d’art, c’est quand même toi, Sweetie. Il n’y a pas photo !
— Quel beau parleur, sourit-elle avant de m’embrasser.
Je réponds à son baiser en me disant que tout ça, ce ne sont pas que des mots, mais c’est la simple vérité. Avec elle, je suis prêt à aller m’enfermer deux heures dans un musée pour aller voir des statues et des peintures coréennes. Si c’est pas une preuve d’amour, je ne sais pas ce que c’est.
Nous sortons du métro et comme d’habitude, je suis surpris par le froid glacial qui règne près du lac, avec ce vent frais qui sait s’infiltrer partout. Sarah se colle contre moi afin de m’utiliser comme un rempart contre ces attaques faites de bourrasques toutes plus insidieuses les unes que les autres. J’adore quand elle fait ça et que nous marchons de concert dans la même direction. Si toute notre vie pouvait se dérouler comme ça, ce serait parfait, mais là, pour l’instant, cet avenir a peut-être une fin. Qui sait si la nouvelle de notre relation ne va pas faire exploser tout autour de nous ? Qui sait si notre couple résistera à tant d’émotions et d’épreuves ?
Nous passons à côté des lions en pierres qui gardent l’entrée du musée et c’est un vrai soulagement que de se retrouver au chaud parmi les œuvres d’art. Sarah, impatiente, me tire par la main vers le hall où se passe l’exposition temporaire et je la suis volontiers tellement ça me fait plaisir de la voir aussi heureuse. Rien que pour profiter de ses sourires, cette petite visite vaut le coup. Nous déambulons dans les différentes galeries avant de nous arrêter devant une statue qui représente un couple de mariés. J’imagine qu’elle comme moi, nous pensons immédiatement à nos parents dont le mariage approche à grands pas.
— Tu crois qu’il faudrait leur dire pour nous deux ? demandé-je un peu abruptement.
— Hein ? Aux parents ? Oui, bien sûr qu’il faut qu’on leur dise. Tu imagines un peu le secret quand il va naître. Bonjour, je vous présente mon bébé, et il colle parfaitement à la famille, un petit mix de blanc et de noir, rit-elle. Il va falloir qu’on se décide.
— Arrête de rigoler avec ça, dis-je en souriant. On ne peut pas attendre la naissance du têtard, tu imagines leurs têtes si on faisait ça ?
— Je sais bien, mais on ne peut pas leur dire ça tout de suite, tu imagines, le mariage ?
— Oui, le mariage… Et si on leur disait juste avant qu’ils se disent oui, tu crois qu’ils resteraient figés avec le même rictus que ces deux-là ?
Je lui montre la statue où le marié arbore un sourire carnassier et où les dents de sa compagne sont toutes aussi apparentes et elle éclate de rire.
— Les pauvres, arrête. Je suis sûre que ma mère ferait une syncope et nous en voudrait jusqu’à la fin des temps. On pourra leur dire… Avant qu’ils ne partent en lune de miel ? On les jette à l’aéroport et on leur dit “eh, au fait, on s’aime et on va devenir parents !”, non ?
— Non, on attend qu’ils partent et on leur annonce par SMS. C’est plus classe, je trouve. Je l’entraîne vers la salle suivante pour continuer la visite mais j’ai bien l’impression que son attention est désormais beaucoup plus dirigée vers nous que vers l’art qui nous entoure. Elle regarde ce qui est présenté avec une désinvolture qui n’était pas présente jusqu’à ce que je pose ma question.
— On est d’accord qu’on ne dit rien avant le mariage, en tous cas ? continué-je. Ce ne serait pas cool de leur gâcher leur fête, je trouve.
— On est d’accord. Sinon… On ne leur dit rien, et on s’enfuit tous les deux. Plus théâtral que le SMS, je le conçois.
—Tu sais bien que je suis incapable de vivre d’amour et d’eau fraîche. Avec de la vodka, pourquoi pas, mais c’est plus cher… Bon, après le mariage, mais avant la naissance. Ça nous laisse quoi, six mois ?
— Largement, oui. Et ne me parle pas de vodka, sinon je t’abandonne ici, dit-elle avant de me tirer la langue. Le seul point positif quand tu as bu, c’est qu’effectivement tu vis beaucoup d’amour.
— Après la Lune de miel aussi, non ? Il faudrait peut-être qu’on prépare un petit parcours de découverte avec des indices et une chasse au trésor. J’imagine bien le truc, avec des indices qui les amènent à notre chambre et ils tombent sur toi et moi nus, dans le lit, en train de fabriquer numéro deux ?
— Evidemment, s’esclaffe-t-elle avant de regarder autour de nous. Tu as de ces idées, Capitaine. Tu en profiteras pour expliquer à Jude comment on fait les bébés, j’imagine ?
— Une démonstration par l’action, rien de mieux, souris-je, taquin. Non, mais sérieusement, il ne faut pas qu’on tarde trop à leur dire après le mariage, je pense. Autant là, on peut le justifier en disant qu’on ne voulait pas gâcher leur fête, autant après, ça sera compliqué de trouver des raisons à notre silence, je pense.
— Tu veux dire, hormis la trouille de leur jugement ? La peur de décevoir et d’éclater la famille ? Ouais, des raisons bidons, soupire Sarah. Trop épuisant de réfléchir à tout ça…
— Tu penses qu’ils seraient vraiment dans le jugement ? On a quand même commencé avant qu’ils ne se mettent en couple, ce serait plutôt nous qui devrions les juger. Mais bon, si tu veux, on peut parler d’autre chose, c’est juste qu’il faut qu’on ait une stratégie… Ou une idée du moment où on fait éclater la bulle…
— Je te le dis. Le jour de l’accouchement. En leur présentant le Têtard. Et comme on ne leur a jamais dit qu’on était ensemble, puisque techniquement on n’était même pas vraiment ensemble, on s’amusait à l’époque, ce n’est pas une excuse recevable, à mon avis. Donc… On leur colle bébé dans les bras et hop, ils se dépatouillent de l’info. Deal ou pas ?
— Tu n’as vraiment pas envie de les affronter, on dirait, murmuré-je à son oreille car j’ai l’impression qu’un couple cherche à nous écouter discrètement. Tu te sens prête à continuer à leur mentir encore longtemps ? Moi, j’ai du mal, je t’avoue.
— J’ai beaucoup de mal aussi… Mais je n’ai pas envie de revoir ce regard que m’a lancé ma mère l’autre soir quand je lui ai dit qu’il n’y avait plus de Papa. Tu commences à la connaître, elle est un peu… Je sais pas, j’appréhende vraiment sa réaction, en fait. Je crois que ton père sera super ouvert, lui. Non ?
— Il aurait du mal à dire le contraire, vu qu’il se marie à la mère. On a les mêmes goûts, tous les deux, ris-je. Bon, on va voir les Van Gogh ? J’adore son tableau du jardin du poète ou celui où il y a sa chambre. Je me souviens d’une visite ici quand j’étais au collège, je suis resté bouche bée devant ses toiles. Jamais je n’avais vu un style pareil !
— Basketteur et amateur d’art, tes deux neurones m’épatent toujours plus, Capitaine de mon cœur.
— C’est juste que moi, je sais ce que c’est l’art, le vrai, pas ces trucs coréens qui ont l’air d’être made in China, si tu vois ce que je veux dire !
— Chut, glousse-t-elle en posant sa main sur ma bouche. T’es fou ou quoi ?
— Oui, je suis fou ! Fou de toi ! Et c’est pour ça que je suis prêt à tout dire à nos parents le jour où ils reviennent de leur voyage de noces. Parce que je suis fou et que je n’ai rien à craindre. On s’aime comme des fous, alors vivons comme des fous, non ?
— Si tu veux vraiment qu’on vive comme des fous, il faut que tu saches que j’ai très envie de toi et qu’il va falloir qu’on assouvisse cette envie à un moment donné, Capitaine. Il faut satisfaire une femme enceinte sous peine de s’attirer ses foudres, sourit-elle, mutine, en tirant sur ma chemise pour m’embrasser.
Je réponds à son baiser et capte le regard envieux du couple qui nous espionnait un peu plus tôt. Je souris intérieurement en me faisant la réflexion que j’ai une chance de fou.
— Tu penses que tu peux tenir jusqu’à ce qu’on rentre ? Parce que sinon, si tu es aussi folle que Van Gogh l’était, tu me suis jusqu’aux toilettes, et j’assouvis ton envie ici, presque en public, ma belle oeuvre d’art.
— Toilettes, maintenant, Capitaine, me murmure-t-elle à l’oreille avant de me tourner le dos et de s’éloigner.
Cette femme est vraiment incroyable et a surtout un talent dingue pour m’exciter comme jamais je ne l’ai été. Je lui emboîte le pas et l’admire marcher avec grâce vers les toilettes où elle pénètre sans hésitation dans le local réservé aux personnes handicapées. Je me glisse à sa suite et referme la porte sur moi alors qu’elle est déjà en train de se déshabiller sous mes yeux. Il ne lui faut que quelques secondes pour se retrouver nue contre moi et la sentir s’attaquer aux boutons de ma chemise pendant que je me débarrasse de mon pantalon. Elle se retourne et m’offre ses fesses en s’appuyant sur le miroir qui nous fait face et nous permet de nous regarder en train de faire l’amour. Je la pénètre de toute ma longueur et ne suis pas surpris de la trouver trempée. Nous nous laissons aller à notre plaisir en étouffant au maximum nos gémissements. Nous avons entamé une joute dont l’enjeu est de tenir le plus longtemps possible, et à ce jeu-là, pour une fois, c’est moi qui l’emporte car l’orgasme la fauche et je la sens se contracter sur ma verge dressée. L’excitation de la situation est telle que je lui donne encore quelques coups de reins qui lui tirent de nouveaux gémissements avant de me retrouver à gicler en elle.
Je ne suis peut-être pas un artiste comme Van Gogh, mais je pense que je suis aussi fou que lui et qu’elle aussi joue dans la cour des grands. Et c’est notre Amour que nous dessinons tous les deux au quotidien, par petites touches qui, mises bout à bout, créent une impression de beauté et de perfection qui est source d’émotions pour ceux qui la vivent. Je crois que désormais, j’ai une nouvelle œuvre d’art préférée dans ce grand musée et que cette œuvre s’appelle Sarah.
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