Liam

— Liam, c’est quoi, cette lettre ? m’interpelle Daddy alors que je suis à peine entré dans le hall, mon casque à la main.

— Je ne sais pas, Daddy. Si tu me laisses entrer, je pourrai regarder et te dire, rétorqué-je, un peu agacé par son ton accusateur.

Je suis aussi énervé suite à l’entraînement de ce soir. Nous avons perdu nos deux derniers matchs et notre avance a fondu sur nos poursuivants au championnat. Nous sommes désormais sous la menace de nous faire dépasser par l’équipe du Milwaukee, ce qui serait une honte. Et le Coach nous en a fait baver, nous a reproché nos soirées à boire et à faire la fête. Il est même allé jusqu’à nous menacer de nous interdire de baiser pour qu’on redevienne agressifs et qu’on montre plus d’énergie face à nos adversaires. Et il serait bien capable de nous emmener en séminaire pour parvenir à ses fins si on ne se ressaisit pas.
Je regarde l’enveloppe et comprends le questionnement de mon père car le logo du centre pénitentiaire apparaît en gros. Ma mère nous a écrit, et cela faisait une éternité que cela n’était pas arrivé, même si deux pauvres courriers en quatre ans, c’est peu. Enfin, non, elle ne nous a pas écrit cette fois, c’est à moi spécifiquement qu’elle a envoyé ce courrier.

— C’est une lettre de ton ex-femme, a priori. Tu l’as deviné, non ?

— Sérieusement ? Je ne l’aurais pas deviné, non. Pourquoi elle t’écrit ? Elle ne l’a jamais fait. Tu m’expliques ?

— Il y a quelques semaines, je suis allé la voir, avoué-je. Je voulais… Voir si elle avait changé, j’avais besoin de lui parler et lui redonner une chance. Mais c’était peine perdue.

— Liam, soupire-t-il en se grattant la nuque. J’aurais aimé que tu m’en parles, Fils… Je t’aurais accompagné, on aurait pu en discuter.

— Non, Daddy. Ce n’était pas possible. Et elle m’a à nouveau démontré toute sa folie. Et il valait mieux pas que tu la revois, ça t’aurait fait souffrir pour rien.

J’ai à peine terminé ma phrase que Sarah débarque à son tour dans le salon où mon père m’a suivi. Lui ne l’a pas vue et continue avant que j’aie pu l’empêcher de parler de ma mère devant la jolie femme.

— Je suis un grand garçon, tu sais, ce n’est pas à toi de me protéger. C’est moi qui dois le faire, et je ne l’ai pas fait ce jour-là, comme je n’ai pas pu le faire lorsque tu as décidé de reprendre contact avec ta mère. J’aurais vraiment aimé que tu me fasses suffisamment confiance pour venir m’en parler avant de faire cette erreur. Elle est folle, Liam, même un traitement ne suffit pas, il faut que tu te fasses à cette idée, Fils, je suis désolé.

— Daddy, pas devant les autres, c’est notre problème, le réprimandé-je alors qu’il se retourne, surpris, et découvre Sarah. Moi, en tous cas, je n’ai pas faim et je vais vous laisser pour ce soir. Pas besoin de me mettre une assiette de côté.

Je les plante tous les deux là et passe par la chambre de Jude pour lui faire un petit câlin et m’amuser un peu avec elle avant d’aller me réfugier dans ma chambre où j’ouvre enfin la lettre. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, une partie de moi me dit qu’il faudrait la brûler avant même d’en découvrir le contenu, mais je ne peux m’y résoudre. Je sors le papier où ma génitrice a gribouillé du charabia auquel je ne comprends pas grand-chose, mais le dessin qui accompagne ses élucubrations me glace le sang. Elle a grossièrement dessiné un homme noir, un couteau à la main, qui est en train de poignarder une jeune femme, visiblement enceinte au vu de son ventre. Et le couteau est enfoncé entre les deux yeux du bébé, avec ces quelques mots : “Tue le avant qu’il ne te tue.” Je reste pétrifié devant cette horreur et ne remarque même pas Sarah qui entre dans ma chambre, un plateau à la main.

— Liam ? Est-ce que ça va ?

— Oh, Sarah, c’est toi… Tu m’as fait peur… Enfin, non, surpris plutôt. La peur ne vient pas de toi, ajouté-je en chiffonnant la lettre de ma mère.

— Tu veux en parler ? Ou… Concrètement je n’ai aucune envie de te laisser seul vu ta tête, mais si c’est ce que tu veux, peut-être que je le ferai, me dit-elle en déposant le plateau sur le lit avant de s’asseoir face à moi. Non, en fait, je ne le ferai pas, désolée.

— Je peux juste avoir un câlin, Sweetie ? demandé-je en ouvrant mes bras vers elle.

— Bien sûr, quelle question, sourit-elle doucement en venant s’asseoir à califourchon sur moi pour me serrer contre elle.

Je lâche le papier qui tombe à terre et je la serre contre moi. Je ne peux retenir des larmes qui commencent à couler le long de mes joues. Sa présence me fait du bien, c’est sûr, la chaleur de son étreinte est apaisante, mais l’angoisse qui me saisit n’est pas rationnelle, et je ne sais pas ce que je dois faire.

— Tu dois me prendre pour un taré, non ?

— Pourquoi ? On a tous des bagages, Liam. Pas tous très agréables. C’est à moi que tu dis ça ? Je dois te rappeler mon passif ? Niveau dinguerie, je suis pas mal…

— Oui, tu es folle de t’accrocher à moi comme ça et de porter mon enfant. Qui sait ce que je pourrai lui faire si je finis comme ma dingue de mère ?

— Je t’aime, me chuchote-t-elle à l’oreille en m’enserrant dans ses bras. Et j’aime porter ton enfant. Tu n’es pas dingue, juste un peu macho parfois, bordélique, caractériel et jaloux, mais y a pire.

— Eh bien, c’est ma fête, ce soir ! J’ai vraiment tous ces défauts ? demandé-je entre étonnement et amusement.

— Oui, et tu es aussi, têtu, borné et très secret. Mais je t’aime, et je fais avec, tu vois ?

— Je vois, oui, la vraie folle, c’est toi, dans l’histoire, mais ça, on le savait déjà. Et au moins, tu parviens à me faire sourire alors que j’ai plutôt envie de pleurer. Tu es forte !

— Je suis follement parfaite, que veux-tu, sourit Sarah en caressant mes joues tout en reprenant d’une voix douce. Dis-moi ce qu’il se passe, Capitaine, s’il te plaît. Qu’est-ce qui te met dans cet état ? C’est quoi cette histoire avec ta mère ?

— Je ne sais pas si je dois te dire, ça risque de te faire peur vis-à-vis de moi… Je partage quand même la moitié de mes gènes avec elle…

— Et mon bébé partagera la moitié de ses gènes avec toi, donc un quart des siens. Tu n’as pas le choix, Sanders, tu es coincé, là. Je veux tout savoir, s’il te plaît…

— Oh, quand je pense qu’une infime partie d’elle est en toi, ça m’horripile… J’ai l’impression de t’avoir souillée, ma Chérie et je m’en veux… Ma mère…

Je m’arrête et cherche à me dégager d’elle mais Sarah ne bouge pas et resserre au contraire ses jambes autour de moi. J’avoue que je ne force pas trop non plus tellement sa présence me fait du bien, même si penser à ma mère ravive tout le traumatisme que j’ai vécu.

— N’y pense même pas, Capitaine, je ne te lâche pas. Donc… Ta mère est en prison, c’est ça ? me demande-t-elle en jetant un œil à l’enveloppe restée sur le lit.

Je sais qu’il faut que je me confie à elle. Tout mon corps, tout mon cœur me disent de le faire, mais j’ai du mal à mettre des mots sur ce que j’ai vécu. Je n’ai jamais réussi à le faire avec aucun psychologue, mais là, il le faut. Impossible d’imposer un tel secret à cette femme qui reste dans mes bras malgré tout, qui m’aime et que j’aime.

— Oui, elle est en prison. Depuis quelques mois après la naissance de Judith, commencé-je à dire doucement, sentant peu à peu le poids sur mes épaules se relâcher. Elle… Un matin, alors que Daddy était au travail, elle s’en est pris à ma sœur qui pleurait parce qu’elle avait faim, sûrement. Ma mère n’a pas supporté et s’est jetée sur elle pour… Pour l’étrangler, parviens-je à dire difficilement. J’ai cru au début qu’elle rigolait, j’étais encore un ado, et c’était ma mère, notre mère... Mais je crois que c’était le dernier jour de mon innocence car elle ne blaguait pas. Quand j’ai vu que Jude commençait à moins bouger, j’ai pris peur et j’ai attrapé une chaise que j’ai balancée sur la tête de ma mère. Cela l’a assez sonnée pour qu’elle relâche Jude.

Maintenant que je suis parti, les mots sortent tout seuls et je ne parviens plus à arrêter le flux, sous le regard attentif et concerné de Sarah qui ne s’éloigne pas de moi malgré les horreurs que je suis en train de raconter. Au contraire, elle me caresse la nuque et m’écoute, pleine d’empathie alors que je continue de lui sortir cette histoire où j’ai frappé ma mère pour l’empêcher de tuer ma sœur.

— Elle était vraiment folle, tu sais, et moi, j’étais déjà grand, mais pas du tout prêt à affronter le regard meurtrier qu’elle a posé sur moi. C’était ma mère, bordel. Elle n’avait pas le droit de m’en vouloir comme ça. Elle n’avait pas le droit de prendre ce couteau et de le brandir vers moi. Dans sa folie, elle a essayé de me le planter dans le ventre et heureusement qu’elle a glissé, sinon...

Ma voix se brise et j’essaie d’oublier cette vision de la lame qui passe à quelques centimètres de ma peau, de ce cri qu’elle a poussé quand elle est tombée par terre, de sa tentative de m’attraper alors que je me suis reculé. J’essaie de ne plus penser à ce moment où je me suis enfermé avec Jude dans ma chambre et j’essaie d’oublier à nouveau les cris de ma mère derrière la porte. Sarah a fait tomber mes barrières, mais il faut que je les remonte rapidement si je ne veux pas devenir fou à mon tour, si je ne veux pas moi aussi me transformer en meurtrier comme elle.

— Mon dieu… C’est terrible. Heureusement que tu étais là pour Jude. Je n’ose même pas imaginer tout ce que tu as pu ressentir.

— J’ai peur, Sweetie. Peur que ses gènes soient en moi, que sa folie soit en moi. J’ai peur d’un jour en arriver à te faire du mal parce que je ne supporte pas un cri… Qu’est ce qui nous fait croire que ça n’arrivera jamais ?

— Liam… Je t’ai vu gérer les caprices de Jude avec un calme olympien, subir mes crises… Jamais tu n’as semblé bouillir ou t’approcher de la rupture. J’ai confiance en toi, moi. Et puis… Vous en avez discuté avec ton père ? Il n’avait rien vu venir ? J’imagine mal une personne craquer comme ça sans qu’il n’y ait eu des prémices, si ? Enfin… Je n’y connais pas grand-chose, mais tu as toute ma confiance, Capitaine.

— Mon père s’en veut car oui, il y avait des signes, mais il a cru que c’était juste le stress classique de la grossesse… Un deuxième enfant après tant d’années, alors que ce n’était pas voulu, il s’est dit que ça allait vite s’arranger. Mais ça n’a fait qu’empirer jusqu’à cette journée où tout a dérapé. Jude a oublié, dans l’ensemble. Tant mieux. Mais moi, je me souviens de tout. Et… Vu qu’on n’a encore rien dit pour le bébé, ça ne me dérange pas d’inventer une histoire où ce n’est pas moi le papa. Et si tu veux que je m’éloigne, je le ferai.

— Je n’ai aucune envie que tu t’éloignes, Capitaine. Je te veux avec moi. J’ai besoin de toi à mes côtés, que ta mère soit folle ou pas. Tu n’es pas ta mère, tu es Liam, le type bordélique mais attentionné, caractériel mais doux, macho mais romantique. Tu es mon basketteur à moi, et cette aventure, on la vit à deux. Et demi bientôt trois, sourit-elle avant de m’embrasser tendrement.

Après ces déclarations, plus besoin de mots. Ce sont nos corps qui se sont exprimés. Nous nous sommes déshabillés mutuellement, dans le silence à peine ponctué de nos gémissements. Nous nous sommes unis dans un moment de fusion ardente et passionnée. Nous avons continué jusqu’à ce que l’orgasme vienne nous faucher et Sarah s’est offerte à moi entièrement. Un tel abandon de soi, une telle confiance, c’était la preuve passionnelle et sensuelle qu’il me fallait pour finir de me convaincre que les choses pour nous pouvaient être différentes, que je n’étais pas le monstre que je pense parfois être. Et que je ferai tout pour ce petit bébé qui a déjà réussi le miracle d’exister. Quand nos corps ont fini d’exprimer toutes ces merveilleuses émotions, j’ai enfin pu retrouver l’usage de la parole.

— Je t’aime, Sweetie. Je sais qu’avec toi, les choses seront différentes. Quand je l’oublie, promets-moi de me le rappeler. Deal, Sweetie ?

— Deal, Capitaine de mon cœur !