132. Absolution des péchés
Sarah
Je m’observe dans le miroir depuis au moins cinq minutes en me demandant si je fais bien d’assumer ou pas. Clairement, avec ce pull moulant, difficile de ne pas voir que je suis enceinte. Ou alors j’ai vraiment abusé du petit déjeuner. Maintenant que la nouvelle a fuité, à quoi bon tout cacher ? J’ai décidé de commencer la semaine en lâchant prise. Je suis enceinte, j’assume. Ou j’essaie, tout du moins. Je n’ai pas honte, je suis même heureuse, alors tant pis pour le regard des gens, tant pis pour les jugements, tant pis pour les remarques. Enfin, on verra bien, j’affiche une assurance que je n’ai pas vraiment, mais il faut bien que je finisse par y arriver. Alors autant se mettre un coup de pied au derrière. C’est la première étape avant d’enfin en parler à nos parents.
Je descends l’escalier et rejoins la famille au petit déjeuner en me disant qu’il va falloir que je parle à Rebecca, aussi. Je l’ai évitée vendredi dernier, je n’ai pas répondu à ses appels, il est temps de lui dire ce que je pense de sa bourde et de passer à autre chose.
— T’es jolie, Sarah, me complimente Jude quand je vais l’embrasser.
— Merci, mais tu restes la plus jolie, chuchoté-je à son oreille avant de me faire rapidement un café. Liam, tu vas en cours en moto ou on fait du covoiturage ?
— Je vais en moto. Je dois aller au café après les cours. Et Jude a raison, ce pull te va très bien !
— Merci, souris-je en lui piquant sa tartine beurrée. Désolée, j’ai trop faim et pas le temps. Je voudrais voir Becca avant les cours.
— Tu es sûre que c'est une bonne idée ? Abdul m'a dit qu'elle s'en voulait à mort. Si tu en remets une couche, ça va être difficile pour elle.
— Donc je ne dis rien et je laisse courir ? Si je révélais rien que la moitié de ses secrets, la pauvre s’exilerait à l’autre bout des US.
— Non, tu as raison, il faut l'engueuler, mais gentiment, hein ? dit-il en me faisant un clin d’œil.
— Bien, Capitaine, à vos ordres. Mais ça ne m’empêchera pas de lui dire ce que je pense. Oh, tu m’as préparé une autre tartine ? lui demandé-je, tout sourire alors qu’il lève les yeux au ciel. C’est trop gentil !
Je sais que j’abuse, mais j’adore en profiter, et je crois que ça le fait rire plus que ça ne l’agace, même s’il joue le type blasé avant de me sourire.
— Bien sûr. Tu sais que je te fais tout payer plus tard, alors profites-en.
— Merci, tu es un amour !
Je récupère la tartine et l’embrasse sur la joue avant de me lever. J’embrasse ma mère et en fais de même avec Jim et Jude. C’est tellement bizarre, comme situation. Au quotidien, on a tout d’une nouvelle famille, et mon attachement pour le père et la sœur de Liam est en adéquation avec la situation. En revanche, en ce qui concerne Liam, c’est totalement différent.
Quand j’arrive à l’université, j’ai perdu le peu d’assurance que j’avais, je crois. La voiture de Becca n’est pas là et je me dis que j’aurais dû la prévenir que je voulais lui parler. C’était stupide de compter sur une arrivée matinale de sa part, quand on sait qu’Abdul et elle sont plus doués pour être en retard parce qu’il fricotent à droite à gauche. Je profite de la petite demi-heure que j’ai d’avance pour aller à la bibliothèque rendre des bouquins et en cherche quelques autres pour compléter mes cours avant la fin d’année. Il n’y a pas grand monde, mais je me retrouve malgré tout à devoir faire face aux regards réprobateurs de deux mecs qui se trouvent dans la rangée où je m’engouffre. Ils sont dans certains de mes cours, mais je n’ai jamais vraiment fait attention à eux et ils ne sont jamais venus me parler. Je les ignore autant que possible et continue ma recherche, quand l’un d’eux pose sa main sur mon avant bras et m’interpelle.
— Tiens, mais c’est bien elle ! Sarah, la meuf qui joue à l’intello mais fait un gosse alors qu’elle n’est pas mariée ! Tu sais que Dieu n’aime pas ce genre de choses ?
Je soupire et me libère de sa prise en reculant d’un pas. J’ai été plutôt tranquille, vendredi, mais la semaine commence mal. Il fallait que je m’y attende.
— Et alors ? C’est ta vie ? Je fais ce que je veux, je ne pense pas avoir de comptes à te rendre.
— Ce n’est pas à moi que tu dois en rendre, mais à Dieu. Et là, ce bébé qui grandit en toi, c’est un enfant du péché. Tu vas finir en enfer. Il faut te repentir et te marier avant qu’il naisse et tu pourras rechercher l’absolution, continue de m’apostropher celui qui a posé sa main sur moi.
— Je n’ai de comptes à rendre à personne. Ton Dieu aurait préféré que j’avorte, peut-être ? Fiche-moi la paix, et occupe-toi de ta vie, je ne t’ai rien demandé, moi.
— Mais non, malheureuse, me dit l’autre en me regardant, horrifié. L’avortement, c’est un péché. On te dit juste de nous faire confiance et, si le père du bébé est absent, nous te fournirons un père de remplacement et un mari afin que tu ne sois plus dans le péché. Dieu nous montre la voie à tous et si nous sommes sur ton chemin, c’est que c’était ton destin.
Oh put… Il fallait forcément que je tombe sur deux croyants qui vont me faire la morale.
— Il y a un père. Foutez-moi la paix. Je vais donner la vie, Dieu me pardonnera, non ?
— Dieu pardonnera au petit chérubin, mais toi, si tu ne respectes pas ses commandements, tu finiras en enfer. Tiens, voici notre carte avec le lieu de notre prochain rassemblement. C’est mercredi midi. Viens nous rejoindre pour trouver le chemin vers le salut éternel.
— Je ne suis pas intéressée, merci, marmonné-je en repoussant sa main. Vous savez, donner des conseils aux gens qui en demandent, c’est bien, mais moi je n’ai rien demandé, en fait.
— C’est notre mission d’éclairer ceux qui sont dans les ténèbres. Et si tu cherches un mari, sache que je peux me dévouer, me dit-il d’un ton qui me dégoûte totalement alors que je surprends son regard vers ma poitrine.
— Ton Dieu devrait te crever les yeux pour avoir un tel regard sur une femme. La virginité avant le mariage ne te réussit pas, mon pauvre, tu devrais tirer ton coup, marmonné-je en lui tournant le dos.
— Dieu ait pitié de toi ! crie-t-il alors que je m’éloigne.
Je n’aurais pas pensé me retrouver face à ce genre de personnes. Je crois que je m’attendais davantage à des nanas moqueuses, en fait. Mais ça ne me rassure pas davantage pour la suite de la journée. Malgré tout, la situation me ferait presque rire, et j’envoie un message à Liam en sortant de la bibliothèque pour lui raconter ma mésaventure.
— Figure-toi qu’on vient de me demander en mariage pour que le Têtard ne naisse pas dans le péché et que je ne finisse pas en enfer.
Je me dirige vers le bâtiment où j’ai cours en gardant le nez sur mon téléphone, et me retrouve devant ma salle quand il me répond finalement.
— Tu n’as pas accepté, rassure-moi ? Je te rejoins après ton cours si tu veux, comme ça plus personne ne t’embêtera. Je t’aime.
— Pourquoi ? Tu comptes faire de moi une femme honnête ? On se voit après alors, Capitaine garde du corps. Je t’aime.
Je grimace en m’asseyant. Je n’ai pas vraiment réfléchi avant d’envoyer ce message, mais je me demande comment Liam va le recevoir. Je sors mes affaires et constate qu’il m’a déjà répondu.
— Si j’ai réussi à faire de toi une maman, je devrais réussir aussi à faire une épouse, non ? Mais il faudra attendre le bon moment. Je t’aime, ma petite femme honnête.
Mon petit cœur s’emballe et un sourire se dessine sur mes lèvres. Je n’ai jamais vraiment envisagé le mariage, même si j’avoue que celui de ma mère a créé en moi un petit rêve d’avenir encore davantage lié avec mon basketteur. Un mariage…
Autant dire que lorsque je sors de cours, que j’ai passé à lui raconter en détails ce qu’il est arrivé, c’est mon amoureux que j’ai envie de retrouver et pas mon “frère”. Tout ce que je veux, c’est me lover contre lui, l’embrasser passionnément et plus si affinités. Pour autant, le couloir est blindé de monde et je reste sage, lui offrant un sourire et un baiser sur la joue.
— Voilà le plus beau des gardes du corps, dis-je tout bas en lui faisant un clin d’œil.
— Et voilà la plus jolie des femmes malhonnêtes, se moque-t-il. Ils ne sont pas revenus à la charge, j’espère ? Sinon, je peux leur montrer qui c’est le vrai Dieu, ici.
— Nope, je leur ai dit d’aller tirer un coup pour se détendre. Je te jure, je ne m’attendais pas à ça en fait, même si c’est plutôt logique. Enfin, ils ne savent rien de moi, ils sont partis du principe que forcément, il n’y avait pas de père et pas de mariage. Les gens sont épuisants.
— Ou alors, c’est leur façon à eux de draguer, tu sais… Mais on fera le nécessaire pour tout régulariser bientôt, promis.
— Tu as une jolie façon de parler de mariage, ça fait envie, Capitaine, ris-je. On déjeune ensemble ? Ou tu as quelque chose de prévu ? Je n’ai pas vu Becca ce matin, j’espère la croiser à la cafétéria…
— Je te suis, si tu acceptes de manger avec le mec le moins romantique du campus, rit-il en me prenant le bras.
— Il va falloir bosser là-dessus. C’est bien si tu en as conscience, le taquiné-je alors que nous sortons du bâtiment.
— Tu me donneras des leçons particulières, j’espère. J’ai besoin aussi de cours de langues… Et de tango. Tu n’auras plus une seconde à toi. Deal, Sweetie ?
— Deal, Capitaine. Fais gaffe, tu ne pourras plus me voir en peinture à force de passer du temps avec moi, ris-je. Tiens, Becca est installée avec Abdul. On s’incruste ?
— Oui, il faut bien crever l’abcès, soupire-t-il.
Je lui tire la langue alors que nous faisons la queue pour nous servir, et nous nous installons finalement à côté d’eux. Becca semble immédiatement mal à l’aise et évite mon regard alors qu’Abdul fait comme si de rien n’était.
— Joli petit ventre, Sarah. Ça te va bien. Je comprends mieux les roploplos, en fait. Je me demandais si tu ne les avais pas fait refaire.
— Tu ne penses qu’aux seins, toi. Je comprends pourquoi tu es avec Becca, dit mon basketteur alors qu’elle fait mine de ne s’intéresser qu’à son assiette.
— Est-ce que je peux au moins avoir des excuses ? demandé-je à Becca. Genre, je ne sais pas, désolée d’avoir parlé de ton utérus sans ton autorisation ? Ou… C’est sorti tout seul, excuse-moi, Sarah ? Ou je dois m’asseoir sur ça en plus de ta discrétion ?
— Ce n’est pas ce que tu crois, Sarah… C’est juste que… Enfin, oui, je suis désolée, débite-t-elle précipitamment. Mais… J’étais en train de faire l’amour à Abdul et j’ai eu envie de lui sans capote… Et un truc a mené à l’autre, j’ai fantasmé sur faire un bébé… Et oui, c’est sorti tout seul. Je… Je ne pensais pas qu’Abdul en parlerait à toute l’équipe de basket, Sarah… Je n’ai jamais voulu te trahir, tu sais ?
— J’espère bien, ce serait encore pire ! Mais quelle idée, sérieux, Bec… Tu te rends compte de ce que ça implique, un bébé ?
— J’avais juste l’excitation en tête, Sarah. Ne me dis pas que tu n’as pas une libido au top, je ne te croirais pas… Et c’est vrai que j’aurais dû me taire, mais je… Je t’envie et je t’admire, tu sais… J’aimerais beaucoup avoir ton courage et ta force de caractère. Et tu rayonnes tellement… Tu me pardonnes, s’il te plaît ? Tu me manques trop, mon amie. Et le bébé sans sa tata, il va faire comment pour échapper à ses parents ?
J’hallucine un peu devant ce qu’elle me dit, et suis touchée par ses mots. Bec affiche toujours une confiance en elle au top, même si je sais qu’elle s’est forgée une image. De là à m’admirer, j’ai du mal à l’intégrer.
— Mon courage ? Je suis terrifiée, Bec. Un bébé, tu te rends compte ? Je ne suis pas prête pour ça. Libido ou pas, que je rayonne ou non, c’est flippant, cette idée de me dire que je vais devenir mère. Sans mes proches, et toi inclue, je crois que j’aurais craqué depuis longtemps, soupiré-je en jetant un œil à Liam. Bien sûr que je te pardonne.
Je ne peux pas faire sans ma meilleure amie, aussi folle soit-elle. J’ai besoin d’être entourée, et elle fait partie de ce cercle de confiance, de ce soutien inconditionnel. Quand bien même je sais qu’elle lâche un peu tout et n’importe quoi quand elle prend son pied. Personne n’est parfait, on a tous droit à une seconde chance, non ?
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