139. Que personne ne bouge, risque d'électrocution
Liam
Sarah s’est endormie et je n’ose me relever de peur de la réveiller. Elle a l’air si fragile, vêtue de sa blouse d’hôpital. Je profite de son assoupissement pour détailler les traces de coups qu’elle a sur la tête. J’ai l’impression que nous ne sommes pas passés loin de la catastrophe quand je vois toutes ses contusions. Il n’y a rien de dramatique, mais je suis vraiment soulagé qu’elle s’en soit sortie indemne.
J’essaie de bouger un peu afin de prendre une position plus confortable, laisse une de mes mains dans la sienne et pose l’autre sur le ventre. Comme elle, j’essaie de sentir notre bébé bouger, mais à travers le drap, je ne sens rien. Je me demande ce qu’il se passe et si c’est normal. Notre Tétard a réussi le miracle de vaincre la pilule, ce n’est pas un petit accident qui va en venir à bout quand même !
Je repense à tout ce qui nous a amenés à cette triste chambre d’hôpital, l’amour qui s’est développé et a fini par triompher, le secret que nous avons réussi à garder quasiment toute l’année, les premières fuites jusqu’au fiasco final de la révélation. Si c’était à refaire, même en sachant désormais les conséquences, je le referai. Je réalise la chance que j’ai d’être tombé sur une femme comme Sarah. Elle est vraiment tout ce qu’il me faut et le fait de l’avoir presque perdue me fait réaliser encore plus à quel point je suis chanceux. Je lui caresse maintenant doucement les cheveux alors qu’elle s’agite et porte ses mains à son ventre. Je n’imagine que trop bien les pensées qui sont en train de défiler dans les brumes de ses rêves et je suis profondément triste pour elle. C’est clair que nous n’avons pour l’instant que le point de vue de cette infirmière et elle a peut-être dit ça juste pour nous calmer un peu avant de nous envoyer le médecin qui sera chargé de nous annoncer les mauvaises nouvelles probables.
En attendant que Vic revienne, j’essaie de réfléchir à ce que nous ferons s’il est arrivé un malheur à notre Têtard. Il va falloir qu’elle avorte au final et ça va encore être plus terrible que si elle l’avait fait quand elle le pouvait. Cela va la détruire, c’est sûr. Cela risque de me porter un sacré coup aussi, j’en suis certain. Est-ce que notre relation y survivra ? Est-ce qu’elle ne va pas passer le reste de sa vie à me reprocher mon emportement et le fait que je l’ai laissée partir sans l’accompagner ? Toutes ces pensées noires qui s’enchaînent sont en train de me rendre fou. Je me dis qu’il faut que je retrouve mon calme et ma sérénité. Nous sommes tous les deux en vie et c’est déjà bien. Nous sommes jeunes et qui sait ? Tout va peut-être s’arranger. Il faut que je retrouve mes principes de vie : panier après panier.
J’en suis là de mes réflexions quand la porte s’ouvre à nouveau et laisse entrer Vic qui s’arrête net quand elle voit sa fille endormie. Elle me fait signe de la suivre et de sortir, mais je lui montre nos mains qui sont vraiment attachées et mon impossibilité de bouger, ce qui la pousse à chuchoter.
— Il va falloir attendre encore un peu avant qu’on puisse lui faire une écho, tous les obstétriciens sont en salle d’accouchement, là. Ils sont débordés. C’est bien qu’elle dorme…
— Tu sais pour combien de temps ils en ont ? Parce que… Moi non plus, je ne sens pas le bébé bouger… Je commence aussi à m’inquiéter, tu sais… Il est d’habitude toujours si dynamique…
— Je n’y connais rien à tout ça, mais j’imagine qu’entre le choc et l’opération, le petit doit se remettre de ses émotions, lui aussi… Je suis sûre que ça va aller. Ce bébé voulait absolument débouler dans nos vies, non ? sourit-elle alors que Sarah s’agite un peu dans son lit et me serre la main très fort.
Je fais signe à Vic de parler moins fort, mais c’est trop tard, Sarah se réveille et me regarde avec une tristesse si profonde que mon cœur se serre à nouveau très fort.
— J’ai dormi longtemps ? Quand est-ce qu’ils viennent pour le bébé, alors ?
— Pas tout de suite, ma Chérie. Ta mère dit qu’ils sont tous occupés en salle d’accouchement… Il faut attendre.
— Vraiment ? Il n’y en a aucun de disponible pour venir vérifier que notre bébé va bien ? C’est plus important de s’occuper de bébés qui sont déjà sous surveillance et sans doute en bonne santé ? Tu l’as senti bouger, toi ? me demande-t-elle en regardant ma main avant de poser les siennes sur son ventre.
J’hésite un instant avant de répondre. Elle est déjà tellement inquiète que je ne devrais pas rajouter à son angoisse, mais je ne peux me résoudre à lui mentir. J’essaie de détourner son attention.
— Tu seras bien contente quand il sera à tes côtés au moment de la naissance, c’est normal qu’ils gèrent leurs priorités.
— Ben oui, c’est sûr, un bébé déjà mort, c’est pas la priorité, lance-t-elle froidement avant de se remettre à pleurer silencieusement.
— Arrête de dire ça, ma Puce, intervient Vic. Tu dis des bêtises, là. Il n’est pas mort et est en pleine santé, c’est pour ça que ce n’est pas une urgence. Les premiers examens sont bons a dit l’infirmière.
— Ta mère a raison, Sarah. Je suis sûr qu’on va vite avoir de bonnes nouvelles, essayé-je de dire avec assurance malgré mes doutes.
— Et donc vous me prenez pour une folle, c’est ça ? Je suis la seule clouée dans ce foutu lit et les deux personnes qui peuvent aller pousser une gueulante et insister pour que quelque chose soit fait me prennent pour une dingue qui hallucine. J’y crois pas, merci du soutien, attaque Sarah avant de repousser ma main et de remonter le drap sur elle.
J’échange un regard blessé avec Vic. Sarah est tellement injuste car sa mère revient tout juste et je suis sûr qu’elle a fait le maximum pour que quelqu’un vienne. De toute façon, dans un hôpital, on n’a rien à dire, les médecins sont rois, les patients doivent l’être pour affronter le temps qu’il se passe avant d’avoir une information ou de rencontrer un professionnel de santé.
— Sarah, tu ne peux pas dire qu’on ne fait rien. Ta mère vient d’aller les voir. Et non, tu n’es pas folle, mais tu sais, quand tu as été opérée, ils ont dû déjà procéder à des examens, suivre le rythme du cœur du bébé pendant l’anesthésie. S’ils n’ont rien dit, c’est qu’il n’y a rien. Et donc, il ne faut pas s'inquiéter… Tout va bien se passer, dis-je en caressant le haut de ses cheveux qui apparaît encore sous le drap.
— Tu n’en sais rien du tout, bon dieu ! Arrête d’essayer de me rassurer, ça ne marche pas du tout. J’ai bien compris que mon avis ne vaut rien pour vous, mais c’est moi qui le porte, ce bébé, c’est moi qui ne le sens pas bouger depuis que je me suis réveillée, c’est moi qui… Bon sang, je ne demande pas la lune, je veux juste entendre son cœur battre !
— Sarah, je comprends que tu sois angoissée, mais on ne peut rien faire à part attendre. Je te promets que tout ira bien, mais arrête de nous attaquer. Nous n’y sommes pour rien…
— Arrête de me promettre des choses que tu ne peux pas contrôler, Liam. Et arrête d’être aussi calme, tu t’en fous de ce bébé, c’est ça ? Comment tu peux être aussi calme ?
— Je ne suis pas calme, m’emporté-je, mais ça ne sert à rien de m’accuser des pires atrocités. Le bébé va bien parce que c’est un survivant, un warrior. Moi, j’ai gardé la foi, Sarah. Ne me reproche pas de ne pas me préoccuper du bébé, s’il te plaît. Je ne pense qu’à lui et à toi. Tout le temps. Parce que je t’aime, parce que je l’aime déjà. Et que tu m’as fait la peur de ma vie avec cet accident. Mais maintenant, tu es là, et oui, c’est angoissant de ne pas savoir pour le bébé, mais il faut juste patienter, on va bientôt découvrir ce qu’il en est. Et ensemble, on pourra tout affronter. Tu comprends, ça ?
— Ensemble ? Magnifique, tu vas aller tabasser le médecin s’il nous dit que le Têtard est mort, peut-être ? C’est ça, ta définition de “ensemble” ? Ou aller te saouler jusqu’à oublier une nouvelle soirée peut-être ? me reproche-t-elle avant de tourner la tête de l’autre côté de la chambre. Jamais je ne vous pardonnerai de n’avoir rien fait, si le bébé est…
Je la regarde et chacune de ses phrases est comme une flèche qui traverse mon esprit. Elle vise juste et, malgré son état, est capable de se souvenir de chacun de mes écarts, de chacune de mes erreurs.
— Heureusement que tout va bien pour le bébé, grommelé-je alors que la porte s’ouvre.
— Alors, quelles nouvelles ? demande Daddy relativement gaiement, surtout en comparaison du silence qui s’est installé dans la pièce.
— Sarah va mieux, répond Vic qui vient se lover contre mon père. On est juste tous super inquiets pour le bébé.
— Pourquoi inquiets ? s’interroge mon père. Il y a un souci ?
— Sarah est convaincue qu’il…
J’ai failli prononcer les mots “il est mort” mais je n’y parviens pas. C’est juste impossible à dire car j’ai la conviction intime que ce n’est pas le cas. Je me reprends donc.
— Elle pense qu’il y a un souci, oui. Et aucun médecin n’est disponible pour nous rassurer. Mais s’il y avait un souci, comme tu dis, je crois que ça fait longtemps qu’il y aurait eu quelque chose, non ?
— C’est sûr, poursuit mon paternel en se postant derrière moi, posant ses mains sur mes épaules. Si le bébé n’est pas sous surveillance, c’est qu’il n’y a aucun risque, que tout va bien.
— Ouais, et l’instinct de la mère ne compte pas, marmonne Sarah.
— Toi, ma Grande, dit mon père d’une voix très calme, tu es encore sous le choc. Une vraie mère avec le besoin primaire de protéger son enfant. C’est normal que tu t’inquiètes, mais tu vas voir. Le médecin ne va plus tarder et tu auras toutes les informations nécessaires. D’ailleurs, je crois avoir vu un pied ou un truc bouger dans ton ventre, là, dit-il en montrant un endroit sur Sarah.
— Rien n’a bougé, je l’aurais senti sinon, soupire-t-elle en continuant de passer et repasser sa main sur son ventre. Où est Judith ? Est-ce que tu lui as dit pour l’accident ?
— Oui, elle est en train de faire un petit dessin pour toi et le bébé, pour quand tu rentreras. Megan a dit qu’elle la coucherait dès qu’il est fini. Tu verras, quand tu vas rentrer, il sera sûrement dans ta chambre.
Mon père est fort car avec ces quelques mots, il remet de la normalité dans notre existence. En évoquant ce petit dessin fait par ma sœur, il remet de l’innocence et de la joie de vivre dans cette pièce où l’électricité présente déclenchait des éclairs à la moindre petite parole. Même Sarah sourit un peu et commence à nouveau à se projeter vers l’avenir, je pense. Un avenir où tout va bien, où le bébé est en forme et où il grandit avec sa tante à peine plus âgée que lui. J’espère juste que le médecin confirmera tout ça, sinon, l’après annonce promet vu comment la femme que j’aime est déjà. Et là, ce serait pire que l’enfer, c’est sûr.
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