140. Je vais bien, tout va bien ?
Sarah
Je n’en peux plus d’attendre, j’ai l’impression que les secondes s’étirent à l’infini depuis que je me suis réveillée. Je crois que je suis encore en plein cauchemar. Je n’arrive pas à me sortir de la tête que mon petit Têtard n’est plus. C’est terrible comme sensation, l’attente est interminable et il ne daigne toujours pas bouger malgré mes sollicitations. J’ai presque envie de me lever et de danser le french cancan pour faire en sorte qu’il s’agite et m’empêche de trouver une position confortable.
La peur me noue les tripes et j’ai conscience d’être la pire des garces avec Liam depuis tout à l’heure. Mais son calme apparent me donne envie de bondir, je voudrais qu’il soit monté sur ressorts, qu’il remue ciel et terre pour qu’on me fasse une échographie. Je sais que mes réactions sont totalement irrationnelles, mais je n’arrive pas à me contrôler. Tout ce que je veux, c’est qu’on m’assure que mon bébé va bien. Je veux le voir de mes propres yeux, l’entendre, être rassurée. Et je veux qu’on m’explique pourquoi le pro de la boxe, dans mon ventre, est en repos depuis si longtemps.
Liam a fini par sortir se chercher un truc à boire avec son père, et je le soupçonne d’avoir eu besoin de s’éloigner de ma langue de vipère, ce que je peux comprendre. Ma mère, elle, s’est installée à sa place et reste silencieuse depuis qu’ils sont sortis.
— Tu ne vas rien me dire par rapport à ma relation avec Liam ? lui demandé-je finalement en relevant le dossier de mon lit avec la télécommande.
— Tu veux que je te dise quoi ? Que je suis heureuse que tu aies trouvé quelqu’un qui t’aime à ce point ? Ou que je suis déçue de tous ces mensonges accumulés depuis des mois ?
— Je ne sais pas… Ce qui te passe par la tête, j’imagine, ce que tu ressens vraiment. Ça me permettra de te dire à quel point je suis désolée de t’avoir menti…
— Ecoute, ma Chérie, je suis soulagée de voir que tu n’as pas fait ta grossesse sans le papa, finalement. Et puis, il a l’air bien accro, le petit. Je me demande comment on a pu ne rien voir pendant tout ce temps…
— Il faut croire que vous étiez trop centrés sur votre propre amour pour remarquer le nôtre. Et ce n’est pas un reproche, c’est compréhensible, même si je suis un peu jalouse. Quand on a compris que Jim et toi vous étiez ensemble, quand vous nous avez parlé de mariage… J’étais déjà dingue de lui, tu sais ? Tu comprends sans doute mieux pourquoi je n’ai jamais pu le considérer comme mon frère…
— Ça ne m’étonne pas, non. Mais quand même, vous auriez pu en parler avant de faire un bébé, non ?
— On ne voulait pas que vous annuliez le mariage. Enfin, ni Liam ni moi ne voulions que vous fassiez le sacrifice de cet événement auquel vous sembliez tous les deux beaucoup tenir. On s’est dit qu’on vous en parlerait après le mariage. Et puis la grossesse… Bon sang, c’était tellement difficile de vous cacher ça. Et encore plus pour Liam, je crois. Moi, je t’avais toi…
— N’en parlons plus, tu sais. C’est comme ça, c’est arrivé. Et vous êtes mignons, tous les deux.
— Donc, tu ne nous en veux pas ? Tu n’as pas honte ? Peur du regard des autres ? lui demandé-je, étonnée.
— Maintenant, tout ce qui me préoccupe, c’est votre bébé. Mais non, je n’ai pas honte. Et pour le regard des autres, tu crois que ça sera vraiment différent du fait de me mettre en couple avec un black ?
Je souris et attrape sa main alors qu’on frappe à la porte, qui s’ouvre avant même que ma mère ou moi ayons pu dire quoi que ce soit. La femme qui entre doit avoir la quarantaine et semble épuisée dans sa blouse blanche, mais elle nous adresse un sourire malgré tout.
— C’est vous qui avez harcelé les infirmières pour que je vienne voir votre fille ? demande-t-elle à ma mère qui ne sait plus où se mettre.
— C’est ma faute, dis-je, contrite. Je suis désolée, mais on ne m’a rien dit à propos de mon bébé… Enfin, pas assez à mon goût. Je ne l’ai pas senti bouger depuis que je me suis réveillée, je crois qu’il y a un problème. Maman, tu veux bien appeler Liam pour le prévenir ?
— Un problème ? Mais les examens qu’on a faits étaient bons, je ne comprends pas, répond-elle en portant le stéthoscope à ses oreilles et en s’approchant immédiatement de moi.
Je vois ma mère pianoter sur son téléphone alors que la médecin descend le drap sur moi et découvre mon ventre pour poser son engin glacial dessus. J’ai l’impression d’arrêter de respirer durant tout le temps où elle reste silencieuse, comme si ma respiration pouvait l’empêcher d’entendre les battements de cœur du Têtard. Je ne sais pas si elle y passe une plombe ou si mon impatience est telle que je n’arrive pas à me contrôler, mais je finis par reprendre la parole.
— J’ai besoin d’être sûre qu’il va bien, besoin d’un signe, d’entendre son cœur, de le voir. Il ne bouge même pas, ça m’angoisse tellement. Je suis désolée, je… J’ai juste un mauvais pressentiment… Ou besoin d’avoir la preuve que je délire complètement.
— Tout va bien, Madame, il ne faut pas vous inquiéter comme ça, c’est plus votre cœur qui va dans tous les sens que celui du bébé, voyons ! Vous voulez écouter ? demande-t-elle en retirant les embouts de ses oreilles.
— S’il vous plaît, acquiescé-je alors que la porte de ma chambre s’ouvre à nouveau.
Liam entre en silence et se poste à côté de moi tandis que la médecin me tend la lyre de son stéthoscope. Elle a beau me dire que tout va bien, il n’y a qu’en entendant les battements du cœur du Têtard que je me détends réellement alors qu’elle maintient le bout de son engin médical sur mon ventre. Je ferme les yeux et sens toute tension quitter mon corps en écoutant cette douce mélodie. Bébé va bien et tout ceci n’était qu’un cauchemar.
— Il va falloir que je fasse attention à mon instinct, il est vraiment pourri, marmonné-je alors qu’elle reprend déjà son stéthoscope.
— Tout va bien, alors ? demande Liam aussi bien à moi qu’à la doc qui est venue m’ausculter. Tu es rassurée, ma Chérie ?
— Oui, oui, je suis rassurée, même si je préférerais le sentir danser la zumba, avoué-je en prenant sa main, mal à l’aise de mon comportement avec lui.
— Ah mais vous savez, Madame, souvent, après un choc traumatique, le bébé se replie sur lui-même et il lui faut retrouver confiance avant de se remettre à se détendre et à bouger comme avant. Ce n’est pas étonnant, vous savez. Ce dont il a besoin désormais, c’est de sentir tout votre amour et votre calme. Alors, cessez donc d’angoisser, le bébé est en pleine forme et vous, vous pourrez bientôt sortir de cet hôpital et reprendre votre vie normale. Messieurs Dame, bonne journée à vous.
Nous la remercions alors qu’elle sort déjà de la chambre, et le silence s’installe dans la pièce. Ma mère est lovée contre Jim et je n’ose même pas ouvrir la bouche, tant je me rends compte que j’ai été horrible avec eux. Il faut pourtant que je me décide, j’ai honte, mais j’avais tellement peur pour ce petit bout que j’ai mis en danger pour une connerie.
— Ecoutez, je suis désolée pour mon comportement. Je… Je n’aurais pas dû vous parler comme ça.
— Arrête de t’excuser, Sarah, tu n’y es pour rien. A ta place, je suis sûr que j’aurais fait pareil, répond Liam qui me caresse doucement le bras. Après un accident et avec la peur de perdre le Têtard, c’est normal que tu étais angoissée.
— Ça n’excuse pas la façon dont je t’ai parlé. Ni dont je t’ai parlé, Maman… J’ai honte. Surtout après mes mensonges.
— Allez, on n’en parle plus, ma Puce, me dit ma mère. Mais, promets-moi de ne plus me mentir, s’il te plaît.
— Promis, je ne compte pas tomber amoureuse d’un autre membre de la famille Sanders, ça va aller, souris-je. Enfin, qui sait, si Liam me jette, j’ai trouvé son cousin plutôt mignon au mariage.
— Il n’y a pas de risque que je te jette, tu sais ? Et puis, mon cousin ne tire pas ses paniers aussi bien que moi, dit mon amoureux. Tu serais déçue et je te manquerais vite.
Je lui souris et noue mes doigts aux siens. C’est sûr qu’il me manquerait vite. On vit ensemble, on dort ensemble, toutes les nuits. J’ai pris l’habitude de l’avoir près de moi, d’avoir droit à ses attentions, à ses câlins, ses blagues. Je ne pourrais plus me passer de lui, c’est sûr.
— Est-ce que vous pourriez nous laisser cinq minutes, s’il vous plaît ? Je voudrais parler à Liam.
Je constate que ma mère est prête à protester, mais Jim me sourit et la prend par le bras pour l’emmener avec lui.
— Bien sûr, nous vous laissons tout le temps que vous voudrez. On va aller se chercher un café, Liam n’aura qu’à venir nous voir quand vous aurez terminé. Allez, viens, Vic, laissons les jeunes un peu tranquilles.
Je les regarde sortir et pouffe en voyant ma mère essayer de faire demi-tour alors que le père de Liam l’entraîne à l’extérieur.
— Je peux avoir un câlin ? demandé-je à Liam une fois qu’ils sont sortis. Je crois qu’on s’est cachés trop longtemps, ça me faisait bizarre de le réclamer devant les parents.
— C’est clair que maintenant qu’ils sont au courant, il va falloir qu’on apprenne à vivre normalement. Ça va nous faire drôle de nous aimer au grand jour, mais… C’est excitant aussi, non ?
J’acquiesce et me déplace sur le lit pour lui permettre de venir s’installer à mes côtés. Je me love contre lui autant que possible avec ma jambe plâtrée et mon bidou arrondi, et profite du calme retrouvé au creux de ses bras. Quand je pense que j’aurais pu perdre notre bébé, je ne peux m’empêcher de m’en vouloir encore. J’espère être à la hauteur du rôle que je m’apprête à endosser, mais les doutes persistent. Heureusement, Liam est génial et je suis certaine que lui va assurer dans ce rôle.
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