A.D.
Où est-elle ? Je me lève de mon bureau. Elle n’est pas par terre. Je regarde l’heure, la trotteuse, les minutes. Le temps me paraît cohérent. Je n’ai rien loupé. Elle a juste disparu d’un coup. Pourquoi cette larme sur son visage ? La page 301… je n’ai pas le compte exact, l’Invisible ne me donne que des chiffres ronds ou importants, elle, elle n’a eu qu’à le lire. Pourquoi ne m’a t-il pas prévenu pour 300 ? Énola en avait peut-être déjà le contrôle. « Adeus, obrigado. » Je n’avais pas précisé que c’était du portugais pour le marcassin. Je regarde la cage. Elle est vide. C’est un message. Une évasion. Énola s’est sauvée. Je n’aurais pas dû parler d’exorcisme. « Adieu, merci. » Pourquoi merci ? De l’avoir prévenue. Pourquoi adieu ? « Adeus », c’est plus dans le sens de « au revoir ». « Adeus, obligado ». Ça y est, je me souviens, sur Terre, au Vatican, on a été formés à tous les arts martiaux et c’est ce qu’on disait en fin de séance à nos graduados qui venaient du Brésil. La capoeira. Pourquoi la capoeira ? Un sport d’esclaves qui masquaient leur entraînement au combat par des danses. Pas de contact avec l’adversaire dans les mouvements. C’est un message. Je pose les mains sur mon bureau. J’inspire et j’expire. Je dois faire un rapport. J’allume l’ordinateur. C’est quoi déjà le mot de passe ? Quel jour on est ? Samedi 16 Novembre 2115. Il me faut un témoin. J’appuie sur l’interphone : « Scarlett ? ». Elle arrive :
- Où est Énola ?
- Elle s’est volatilisée. Je fais un rapport. J’ai besoin d’un témoin.
- Où est Piggy ?
- Pareil.
- Laissez tomber votre rapport. Il est déjà fait. Tout est enregistré ici.
- Depuis quand ?
- Depuis toujours. On a aussi l’image.
Elle me montre un coin dans le plafond.
- Vraiment ?
- Oui ma Mère, c’est la petite qui s’en occupe. Tâche annexe. Sécurité.
Sœur Paulette, la brune, la gothique, nous rejoint. Le tableau derrière elle se transforme en écran. Elle s’écarte, on a le son. L’entretien est court. Trois échanges chacune. Et un flash bleu à l’endroit du siège et de la cage de Piggy. Je me lève. Je m’approche de l’image en très haute résolution. Paulette repasse la dernière réplique de Nola et le flash, en boucle. Je me retourne vers elles :
- Je n’ai pas vu ce flash. Elle a juste disparue d’un coup. Je regardais son visage, ses yeux, on se regardait et en clin d’œil il n’y avait plus que le dossier du siège.
- Ma Mère, la machine voit mieux que nous, large spectre, même l’Invisible.
Moyenne Sœur Marion, en charge de Piggy, vient récupérer la cage. Elle l’inspecte en détail et démonte le fond, elle le secoue et écoute.
- Qu’est ce que tu cherches ?
- La puce.
Paulette change de canal sur l’écran tableau. Une carte apparaît :
- On va enfin savoir où se trouve le Paradis.
- Tout près d’ici, à côté de la Mairie. C’est dans le quartier d’Aurélie.
- C’est chez Marielle.
On y va.
*
- Salut les filles, j’aurais pu vous faire jouer un jeu de piste mystique pendant cent ou deux cents pages mais j’aime trop ma vie avec ma Rielle. Marion, il mange quoi ton cochon ?
- Elle, de tout. Son nom c’est Piggy.
- Aide-moi à faire l’enclos, on va installer une cabane dans l’angle, sous l’arbre.
Je demande à Scarlett :
- Le rapport ?
- Il est déjà parti.
Bon, tant pis. On s’y met toutes, à préparer la barrière pour Piggy.
- Il lui faudra un amoureux.
- Elle est trop jeune.
Énola m’entraîne à l’écart pour discuter :
- J’ai vraiment eu la trouille. J’ai eu peur de me retrouver ailleurs à une autre époque. Je ne suis pas prête de recommencer.
- Tu commence à me plaire, Énola, l’aventurière de l’Invisible.
- Ce n’est que le début. Rentre chez toi Adé, Hilde t’attend sur la péniche. Vous allez passer une bonne soirée.
*
Elle me prépare la soupe mais je suis déjà sur son dos à glisser mes mains sous son tablier :
- Alors ta journée ?
- J’aurais dû rester avec toi. On a passé la journée à courir après Dieu. Heureusement demain c’est Scarlett qui assure l’Office à la Basilique. Donc grâce matinée sur ton corps suintant de désir. À moins que tu aies à faire avec Greta ?
- Non, ça peut attendre lundi.
Je lui caresse les seins et j’embrasse ses épaules pendant qu’elle touille ses gamelles.
- Et si je mangeais sur toi ?
- De la soupe ? Il faudrait d’abord qu’elle refroidisse, ensuite avec une grosse seringue je la fais rentrer par derrière et ensuite je m’assois sur ton visage et je laisse tout sortir d’un coup dans une énorme projection. Qu’en penses-tu ?
- On oublie. Trop romantique.
- Ou alors on invite Sarra ?
- Nan, j’ai eu ma dose de réseau C aujourd’hui.
- Bon, à la soupe alors. C’est prêt.
Je mets la table, je suis aux petits soins pour elle, câline, pleine d’attention. On se câle l’une ne face de l’autre et sous la tables nos jambes se caresses et se mélangent.
- C’est doux, c’est pas trop sucré, un peu relevé, une chaleur suave qui entre en moi et descend dans mon ventre qui a faim de toi.
Elle me regarde, elle est fière.
- Je suis heureuse que ça te plaise.
- Tu me plaît tellement que je songe à la conversion. J’ai hâte de voir comment ça se passe pour les pionnières.
- Au cas où, je vais faire comme si notre Amour était compté. Et je vais t’aimer toutes les nuits jusqu’à ce que tu en oublies ta religion.
J’éclate de rire et d’excitation. Quelle phénomène cette Hilde. J’ai vraiment de la chance.
- Mince, je pensais que tu étais avec moi juste pour ma position de Mère supérieure.
- Oh oui je veux la connaître cette position !
- Seulement le dimanche. C’est pas encore l’heure.
C’est vrai qu’on passe une bonne soirée, et ce n’est rien à côté de la nuit qui nous attend.
*
On fait nos réunions existentielles à la Caserne, entre filles, à l’heure du thé et on sait comment ça va finir. Énola est de la partie. Elle nous écoute sagement jusqu’à ce qu’on lui demande son avis :
- Je pense que… la donne a changé. Vous vous égarez les filles. Les choses n’ont plus besoin d’aller aussi vite. Il faut vous poser, arrêter de planer là-haut et de retomber en chute libre en surfant sur l’Invisible. Greta je suis désolée mais cet ère là est révolue. C’est ce que je ressens. En méditation je sonde l’Ouest, je sonde l’Est et les spiritistes de la Principauté et je vois de belles personnes qui aiment et ne demandent qu’à aimer, leurs esprits, leurs âmes, leurs corps et Dieu.Tout commence et tout fini par l’Amour. Comme cette réunion apparemment aussi. Mais je ne vais pas vous faire la leçon pendant des heures, je ne suis pas là pour ça. C’est juste que, on a basculé dans une histoire, notre histoire, avec ses projets qui échouent, avec ses événements imprévus et surtout le temps. Le temps qui ralentit. Qui donne le temps de réfléchir. On donne le temps au temps. On croit aux forces de l’esprit. On a le pouvoir sur le présent. Et j’ai une dernière chose à vous dire : je ne suis personne et je n’ai pas de destin.
Elle finit sa tirade en riant et on se met toutes à la suivre, l’atmosphère se détend brusquement. Greta continue :
- Alors voilà, j’ai passé la main. Il n’y a pas de menace au loin. Pas de méchant à poursuivre parce qu’il veut détruire le monde. On va toutes survivre. Sur-vivre. Sûres, vivre. Exister. Exister notre Amour.
Je demande à Énola :
- Est-ce que tu a sentie quelqu’un se démarquer, sortir du lot, à l’Ouest, pas ici, ici on est trop nombreuses.
- Maëlle a une force en elle qui nous dépasse toutes.
Aline se redresse. Effectivement, l’ascendance est particulière. Énola précise :
- Elle peut nous sauver toutes. Elle a déjà commencé, sans s’en rendre compte. Ou alors si c’est voulu, c’est d’autant plus à son crédit. Elle est facile à repérer, son âme brille si fort qu’on verrait son étoile à travers les nuages. Vous avez la liste des anges blanches qui sont arrivées jusqu’ici ?
Je crois que c’est à moi de répondre en tant qu’autorité dans ce domaine.
- Oui, elle est très restreinte. Et deux anges blanches sur la même lignée, je ne sais pas si c’est possible. Mais Aline, tu n’as plus la tienne. Je vais aller voir la Reine. Énola, je vais te donner le profil en question. Tu nous diras ce que tu en penses.
- Et si on l’appelait ?
- Pour ce genre d’information, la communication technologique est inefficace. Nos monolithes ne nous servent à rien si on veut vraiment parler aux âmes des gens. C’est pour ça aussi que ces réunions ont lieu, en présentiel. Donnons-nous la main. Fermons les yeux. Vous allez voir.
Je crois que le thé commence à faire effet. On ne va pas que se tenir la main. Mais alors qu’on commence à se mélanger dans un état second, Énola, parfaitement lucide, se lève et part.
*
Je n’aime pas revenir à l’Ouest. Et il n’y a pas plus à l’Ouest que Laguna Beach. C’est pourtant là que se cache Maëlle et son Vincenzo.
- Bonjour ma Mère, Énola est déjà passée me voir.
- Oui elle nous a parlé de toi. Moi je n’ai rien à te dire. Je viens juste t’écouter. Sans te juger.
On se réfugie à l’endroit le plus frais de la maison.
- Vincenzo est là, il dort, il récupère, on a fait l’amour toute la nuit.
- Avec Énola ?
Elle se met à rire en se mettant la main sur la bouche, comme une petite fille à qui on aurait dit une grosse cochonnerie.
- Non ma Mère, je n’en suis pas encore là.
Elle a de beaux yeux gris bleu. Un peu plus clairs que ceux de son arrière grand-mère. Une fine chaîne grise orne son cou. On sent qu’il y a un pendentif. Certainement une croix. Maëlle rayonne. Elle a la Foi.
- Mon champ de compétences est tout autre. Ma mère, je suis une fille de ma génération. Je suis née avec un frère, comme beaucoup. Ma façon d’être est celle-là, je l’aime, pour toujours, de toutes les façons, sans conséquences, les antennes veillent sur nous. Je ferais tout pour lui. Je fais tout pour lui. Je l’accompagne, dans son parcours, intime. Et il finira par trouver tout seul son chemin. Est-ce que je peux vous prendre les mains ?
J’appréhende un peu.
- Maëlle, je ne sais pas. Je ne voudrais pas t’abîmer.
Elle a l’air déçue. Je cède :
- Peut-être plus tard, continue de me parler.
Elle regarde la porte de la chambre fermée où dort Vincenzo.
- Lui aussi, je m’en occupe. J’espère qu’il se trouvera un jour. En attendant, il m’a, moi. On ne est là. C’est mon domaine. Ce n’est pas moi qui l’ai choisi. C’est lui qui m’a choisi.
Je prends confiance. Et c’est un indice, pour son ange blanche. Car c’est sûr, ça se voit d’ici, elle a une locataire dans son âme. Elle prend confiance aussi :
- Je suis devenue populaire depuis que j’ai fait plier Greta.
- Oui, elle plie facilement, c’est pour ça qu’on est en train de changer de Dieu.
Elle éclate de rire. Elle est belle. Une de ses mains se repose sur mon genou. Elle l’enlève immédiatement en s’excusant. Mais je pense que ça a suffi. Elle aurait pu regarder en moi mais elle ne l’a pas fait. Elle maîtrise.
- Je n’ai pas pu la toucher. Énola. J’avais bien trop peur. Elle n’est pas comme nous. Pas comme Greta non plus. Elle n’est personne et elle n’a pas de destin.
Je lui tends mes mains. Elle est surprise et ravie, enjouée et bienveillante. Elle me les prend en souriant. Je sens une chaleur dans ma poitrine. Elle ne fait pas ça pour regarder dans mon âme, elle fait ça pour me consoler, me dire que tout va bien, que le plus important c’est l’amour. J’en ferme les yeux tellement la sensation est merveilleuse, reposante, j’ai l’impression que mon âme est en train de reprendre son souffle, que tout rentre dans l’ordre et que je suis en paix avec moi-même. Elle me lâche les mains, j’ouvre les yeux, des larmes coulent sur mon visage et je n’ai qu’un seul mot à lui dire :
- Merci.
*
J’en discute avec Greta à sa Caserne :
- Avec Maëlle d’un côté et Énola de l’autre, je me sens un peu futile avec ma congrégation. Les temps changent.
- Calme et bien-être. Se reposer, dormir, comme avant la fin du monde quand la lumière commençait à baisser. Laissons passer l’hiver, on verra après.
- Bonne idée, une mise en sommeil en attendant le printemps. Tu as raison, il faut qu’on reprenne le rythme de la nature comme le dit si bien Aurélie. Pas d’horaire social à respecter, juste celui de la planète et de notre biologie interne.
- Oui Adé, on est là dans le présent, vivantes toi et moi, sans penser au passé, sans envisager l’avenir, il faut juste se laisser porter par le temps, par nos sentiments, par nos envies, par les trois lettres.
Et elle s’approche de moi pour m’embrasser, m’enlacer, me cajoler, me caresser. Je glisse une main sur son gros ventre, ça bouge à l’intérieur comme sa langue dans ma bouche, je descends plus bas et je la sens inspirer d’un coup pour accompagner d’oxygène le frisson de plaisir qui la tressaille.
- Je vois en toi Greta. Je te sens libre, libérée, juste là pour porter ton bébé et lui transmettre déjà toute la force et la jouissance de la vie.
- Bienvenue dans mon Paradis. Le tien est pas mal non plus, avec Hilde.
*
- Hilde, qu’est ce que tu me trouves ?
- Il y en a qui croient en Dieu. Moi je crois en ton cul.
Elle est tordante. C’est bien la fille de son père.
- Moi je ne peux pas résister aux filles qui se baladent nues dans leurs bottes.
- Au milieu du fleuve, il n’y a pas de vis à vis. Et quand je sors sur le pont et que je mets ma parka, j’aime la sentir directement sur ma peau. J’ai installé des parties vibrantes et chauffantes, c’est très agréable. Surtout quand je te sais dans les parages pour assouvir tous les désirs qui montent en moi. Tu es la partenaire parfaite pour faire la position de Jésus sur la croix. En mode Mère supérieure sur son innocente petite hérétique.
Elle aime bien me taquiner. Elle vient se frotter à moi et continue :
- Et si un jour je ne te suffit plus, il te reste tes sœurettes, une par une ou à trois, tu sais qu’elles sont toujours le bienvenue pour venir sur notre péniche à s’entraîner à jouir sur l’eau, bénite.
- Bénite ?
- Oui j’ai demandé au Père Simon de venir baptiser le fleuve, il n’a même pas de nom, il faut lui en dégoter un de libre dans vos saintes écritures.
- Quelle bonne idée.
Et je l’embrasse langoureusement pour la faire taire en m’aidant de mes dix doigts partout sur elle.
- Doucement ma belle, j’ai la soupe à préparer.
Et elle s’extirpe de mes câlins, elle met son tablier et son foulard et je la regarde faire, je l’admire, avec du bonheur plein le corps en essayant de mémoriser pour toujours chacun de ses gestes d’Amour. Pendant un quart de seconde je repense à Sophie sur Terre. Mais Hilde est beaucoup mieux. Et la joie m’envahit, la satisfaction de savoir qu’avec elle je suis au bon endroit, au bon moment, dans le présent avec un taux de bonheur au plafond.
- Approche ma belle à déguster, je vais t’expliquer la recette. Plus près, tout contre moi. Je veux sentir ton cœur battre et le souffle de ton désir quand je prépare la sauce pour les légumes.
*
J’inspecte la Basilique. Il y fait bien chaud et bien sec contrairement à dehors. Tout est en ordre. Je m’assois au premier rang et je regarde l’autel en laissant mes pensées flotter. Les garçons. Ils disparaissent petit à petit de nos vies. Il en seront bientôt même plus l’outil qui les définit. L’évolution de l’espèce en a décidé ainsi. Nous on va évoluer, s’adapter, se convertir. Pas eux. J’en parle à Hilde :
- J’ai déjà eu des témoignages en confession, de pures locales. Même sans BRISIM il se passe des choses. Elles se frottent, elles se stimulent, des fluides vont et viennent avec ou sans tige guide. Sécrétion. Aspiration. Sans pénétration. Juste quelques caresses en surface.
- Je ne sais pas Adé. Ce n’est pas mon domaine. Je n’ai que Greta comme sujet d’étude. Mais après ta conversion, on le saura tout de suite. Toi et moi, on ne sera pas des pures locales mais il faut qu’on vérifie si ça marche aussi. Tant pis pour les garçons. Je les aimais bien. Qu’est ce qu’on mange ce soir ?
- De la soupe, comme d’habitude, non ?
- Tu as oublié le dessert. Tu devais t’en occuper. Tant pis, comme dessert, jirai m’imprégner de ton bonbon en voie de disparition.
- Plus sérieusement, Hilde, je me vois bien refaire un bébé, avec toi, après la conversion.
- Eros et Titia avec ton Tim, ça ne t’a pas suffi ?
- Ça a été trop vite, à peine le temps de se rendre compte d’être enceinte, je comprends la démarche d’Aurélie et Greta. Ensuite, j’ai été maman très peu de temps, ils ont vite grandi. C’est qu’une infime partie de mon existence. Je veux mieux en profiter la prochaine fois.
- Ce sera une fille du coup. Qu’est que tu penses de Mathilde ?
- C’est parfait.
*
Dans la cuisine du couvent il y a toujours à manger et à boire. J’ai réussi à arriver à temps pour le brunch des nouvelles sœurettes. J’ai laissé Hilde flotter sur son fleuve bientôt béni en se prélassant dans sa couche souillée de passion.
- Le Jourdain.
- Comment y échapper ? Mais en français vous croyez ?
- On croit en toutes les langues.
- Le Jordania de Sylvania.
- On parle pas boulot à table.
Elles sont rigolotes. Un nouveau trio. Scarlett a manqué d’imagination ou elle en a eu trop mais pour dédramatiser et relativiser l’importance de la fonction, elle les a surnommées Riri, Fifi et Loulou. En fait c’est Rihanna, Fiona et Lou. On dirait des anges. Trois petites blondinettes à la peau pâle et aux cheveux courts et aux yeux bleus, verts, ocre. Riri et Fifi se battent pour des viennoiseries aux fruits rouges et se chamaillent la bouche pleine. On se regarde avec Scarlett avec un petit sourire et on fait la police comme si on était papa et maman :
- Arrête d’embêter ta sœur !
Et toute la marmaille glousse, même la sage Lou qui révise son missel pour les chants des vêpres. La cloche sonne. Elles se précipitent à la salle de musique où Marwah les attend pour un cours d’orgue. J’aide Scarlett à débarrasser et à ranger. Un moment privilégié pour parler :
- Comment ça va ma puce ?
- Il me manque.
- Il t’a fait du mal, il est puni.
- On l’est aussi, de son absence, et je le suis doublement avec la souffrance qu’il m’a infligée. Mais je pense qu’il a retenu la leçon, on peut lui accorder le pardon, non ?
- Je ne sais pas Scarlett. D’après mes informations il va bien, il se sent bien là-bas sur son île et il se comporte très bien avec tout le monde. Elles craquent toute sur son attitude mystérieuse d’ermite en communion avec la nature. Je crois qu’on l’a perdu, il ne reviendra jamais en ville, même pour voir Rachel, elle en a d’autres à s’occuper, à miser dessus pour sa succession, comme Alice le fait avec Carla à l’Ouest.
- Carla… elle me manque aussi.
- Scarlett, tu t’impliques trop dans tes missions.
- C’est le principe de la Foi non ? On ne croit pas à moitié.
- Tu as sûrement raison. Mes collègues comme toi étaient écartées des services spéciaux mais je pense sincèrement qu’elles avaient quelque chose en plus et pas en moins que nous, les lauréates de la promotion A. Nos noms de bonnes sœurs commençaient toutes par A. Ensuite il y a eu les B, etc.
- Sœur Nathalie est bien loin.
- Elle est bien meilleure surtout. Nous les anciennes on se retrouve toujours avec des nouvelles plus douées. Comme toi, Scarlett, tu es douée. Mais peut-être pas autant que Ryana.
- En fait c’est Lou la meilleure, ça se voit non ? Elle est calme, posée, studieuse, plus dans la réflexion que dans l’action mais c’est sans doute plus adapté quand on se bat contre l’Invisible. Je lui ai trouvé un stage à la Bibliothèque de la Cathédrale.
- Tu es géniale Scarlett. Viens que je t’embrasse.
Elle a les lèvres froides. Je lui caresse la joue, elle est brûlante. Je regarde ses yeux, les motifs de son Iris ont l’air de danser. J’ai vu ces symptômes de locale à la Clinique Centrale. Elle baisse les yeux, elle a compris que j’ai compris. Je demande :
- Benjamin.
- Non.
Bon. J’attends qu’elle se livre :
- J’ai dû le faire aussi, le stage, à la Bibliothèque, pour lui obtenir.
- Mon Dieu ! Patrice.
- Non !
Dit-elle, choquée, avec insistance. Je la connais, ça doit être pire encore. En effet :
- Le Père Simon m’a très bien expliqué les choses et même plus. C’est un pauvre petit papy qui se sent seul. Il m’a attendrie. J’ai peut-être été un peu trop… gentille avec lui.
Je ne me sens pas très bien. Je crois que je vais vomir. Elle voit mon émoi, elle me tient les bras et ça va tout de suite mieux.
- Toi aussi ? Tu es enceinte ?
Elle me met le doute. Je fais la liste de toutes les cochonneries que j’ai faite avec Hilde et la liste de tous les cas étranges de grossesse et je ne matche pas.
- Non, je ne crois pas. C’est juste que je suis un peu choquée. Le Père Simon. Est-ce que Marwah est au courant ? Bien-sûr, elle doit le savoir. Et comment tu as fait pour faire passer ma nausée ?
- C’est elle qui m’a appris. Et oui elle est au courant. Elle est la mieux placée pour savoir ce que je ressens dans cette histoire.
Je la prends dans mes bras :
- Félicitations Scarlett, je suis heureuse pour toi. Tous mes vœux. J’aimerais que tu restes à la Congrégation. Jusqu’au bout. Pour toujours. J’ai besoin de toi. On a toutes besoin de toi.
- Oui ma Mère, pour toujours et à jamais.
*
Je suis convoquée, à l’Ouest, à Laguna City, au Couvent de la Cathédrale, par le Père Simon.
- Mon père ?
- Ma Mère. J’ai besoin de votre … bénédiction.
- Moi aussi, de la vôtre, également. Le fleuve de Sylvania n’a pas de nom. Il faudrait lui en donner un. Le baptiser. Et le bénir.
- Oui, j’ai reçu une doléance en ce sens, de votre amie la docteure Mat, la médecin personnelle de Dieu. Elle est très … holistique. Il faut trouver un nom.
- On a pensé à Jordania.
- C’est très… spirituel en effet. À mon tour. Vous être la tutrice légale de Scarlett...
- D’accord.
- D’accord sur quoi ?
- Sur ce qu’elle veut elle. C’est à vous de voir, vous deux.
- Vraiment ?
- Oui. Elle tient à vous. Vraiment. Elle vous aime. Elle a besoin de vous.
Il n’en revient pas.
- Le Jordania.
Je fais oui de la tête avec un sourire et je m’en vais. J’ai hâte de revoir Hilde.
*
- Félicitation, ta requête à été acceptée. Le nom de baptême est même choisi. Le Mathilda, j’ai dû insister lourdement.
- Non tu rigoles ?
- Oui, et non. Ce sera le Jordania. C’est une des sœurettes qui a choisi. La petite Lou. Du coup elle a gagné un stage à l’Ouest, à la Bibliothèque de la Cathédrale.
- Alors on va pouvoir la faire cette partie à quatre sur l’eau bénite ?
- Je ne pense pas que Scarlett soit partante, et elle a autorité sur les deux autres.
- Et les nouvelles ? Ça leur ferait une … éducation.
- Ce sont celles de Scarlett. Tu veux que je gère également cette requête ?
- Tu ferais aussi ça pour moi ?
- Je ferais tout pour toi, Hilde.
Elle se met nue devant moi. Elle met son foulard, enfile ses bottes, se couvre de son tablier et passe aux cuisines pour préparer la soupe.
- Viens m’embêter, chérie.
*
- Félicitation, ta requête à été acceptée. Riri, Fifi et Loulou vont venir jouer au docteur avec toi, dès que le fleuve est béni.
- Et toi ?
- Scarlett me garde en otage pour que tu ne leur montres pas de choses trop choquantes sur moi. En fait, elle veut un vrai cours d’éducation sexuel, le plus soft possible, fait par une professionnelle, médicale.
- Médicale ? Aussi. Je peux faire.
- Après, le contenu du cours sera soumis au secret, médical. Et de la confession.
- Adé, tu es vraiment… je vote pour toi aux prochaines élections papales. Mais avant, il faut que tu m’aides.
- À quoi ?
- Préparer la soupe.
*
Je regarde ça de loin. Sur le grand pont une messe. Le Père Simon est presque déguisé en Pape, il joue du goupillon dans son bénitier au dessus du fleuve. Patrice est avec lui. Scarlett représente la Congrégation, elle a amené ses sœurettes voir ça de près. Nous on est en bas dans la péniche et Hilde rit de l’absurdité de la situation. Mais le Père Simon repart vite, sans sa Sœur préférée. Ça me laisse toute une soirée et toute une nuit avec Scarlett. On fait l’Office à la Basilique et on dîne au Restaurant de l’Opéra. L’ambiance est plutôt romantique, on s’est faites toute belle avec de jolies robes, une coiffure stylisée, un discret maquillage et on sent bon. Le repas est léger et sophistiqué. Les flammes des bougies dansent dans le reflet de ses yeux sombres dans la lumière tamisée et intime.
- Merci Scarlett, tu me donnes une nuit de répit. Hilde est vraiment en forme en ce moment. Mais ne crains rien avec tes sœurettes, c’est une … professionnelle médicale.
- J’espère qu’elle va réussir à les gérer, je suis un peu inquiète pour Hilde. Elle risque d’avoir quelques marques, griffures, morsures, mais pas plus, je pense. Je plaisante. Ou pas.
- Et le Père Simon ?
- On n’est pas un couple. Ce n’est pas une relation officielle. On se voit juste de temps en temps. En fait, je suis sa première locale. Jusque là, il avait toujours eu des relations terrestres bestiales. Je lui ai fait découvrir tout un monde de douceur et de tendresse. Il n’avait jamais vécu cette connexion des corps et des esprits. Ça l’a beaucoup chamboulé. Je crois même que je suis entrée dans son cœur. Et je vais essayer d’être à la hauteur de ce privilège.
- Tu l’es Scarlett.
- Merci Mère. Désolée, ma Mère.
- Quand on est entre nous et que c’est une conversation personnelle, c’est Adé.
- Adélaïde, c’est ton nom de religieuse. J’ai vu un autre prénom sur ta tombe. Phoebe.
- C’était mon vrai nom sur Terre. Phoebe Montaigne, enchantée.
- J’aime bien. Je préfère.
- D’accord. Scarlett, tu seras la seule à m’appeler, me rappeler vraiment qui je suis.
- Ce sera notre secret, personnel.
Elle est chou. Un peu pompette avec le champagne qu’elle trouve amer.
- Scarlett, je te trouve vraiment très belle, intelligente, sensible, humaine. Je suis vraiment très heureuse de te connaître. Dans mon cœur, mon esprit et mon âme, je te considère comme ma fille.
- Merci Phoebe mais ce n’est pas très compatible avec la suite. Avant ta conversion, et c’est le moment ou jamais, ce soir, cette nuit, j’aurais aimé avoir la chance de te connaître, intimement.
- L’une n’empêche pas l’autre. Maman va te montrer.
Et elle éclate de rire, de joie et d’émotions.
- Mon Dieu…
*
En fait c’est en semaine qu’on est tranquilles. Le VSDL il y a toujours des événements. Je me suis souvent laissée tenter à supprimer les Offices à la Basilique mais c’est devenu une telle routine que c’est un repère pour les Sœurs et les sœurettes. Je regarde le Calendrier avec un grand C de la planète C où le temps passe plus vite mais c’est au rythme des faits du présent que ça se joue, pas dans le passé figé ni dans l’avenir qui change tout le temps. À l’Ouest ils ont un problème avec la gestion des projets à longue échéance. Si ce n’est pas tout, tout de suite, ça a peu de chance d’arriver. L’exode de la jeune génération en est un exemple. Ici à l’Est, Rachel est la maîtresse d’orchestre d’un symphonie qui veut reprendre le contrôle de ses mouvements et imposer son rythme dans le contrôle du présent. Les terriens ont tout de suite adhéré. Ça nous a attiré comme des aimants à Sylvania. Comme les amants que nous sommes dans le lit réveillé par le soleil dans la chevelure de Scarlett qui vient se tortiller contre moi pour reprendre conscience. Je plonge ma main dans ses cheveux, je descends sur sa nuque et je suis la colonne pour arriver à ses collines. Elle est d’une douceur divine. Ma petite locale spirituelle qui sans un mot navigue sous les draps pour aller explorer avec moins d’hésitation mon intimité profonde avec ses petits doigts et sa langue. Je me cambre et je la guide et le moment venu elle remonte sur moi en nous connectant avec le BRISIM hybride qui nous fait vibrer et nous chauffe de l’intérieur pour atteindre un septième ciel en silence comme dans le vide de notre espace. On pourrait ainsi rester des heures mais notre jouet nous en préserve et il s’arrête pour nous ramener dans un espace-temps vital où le petit déjeuner nous attend.
À table elle a encore le regard dans le vide de nos plaisirs et elle essaie de mettre des mots dessus :
- C’était tellement…
- C’est tellement. C’est le présent. Un présent où il n’y a pas de mal à se faire du bien.
- Oui. Ma vie est Amour. Amour de Dieu. Amour de la Foi. Foi de l’Amour. Des autres. Je suis comblée, avec le Père Simon, avec toi, et avec l’autre vie qui grandit en moi. Lentement mais sûrement. C’est une aventure merveilleuse. Je suis heureuse.
Elle me prend la main, je me lève pour l’embrasser. Je lui mets de la confiture sur les lèvres. Je l’embrasse à nouveau pour l’enlever, je lui lave la bouche et elle laisse échapper un gémissement de plaisir. Je lui caresse la joue. Elle appuie ma main sur son visage et ferme les yeux, elle ouvre la bouche pour respirer plus fort et je sens que je suis à elle, qu’elle est à moi, qu’on est qu’une seule passion à assouvir encore et encore.
On est mardi. Tout est calme. On déambule dans les couloirs de la Congrégation. Les sœurettes sont en stage et les Sœurs sont en mission en Principauté. On s’arrête devant une grande fenêtre qui donne sur le jardin froid et elle se blottit contre moi. Elle tressaille. Elle ouvre son chemisier et appuie sur son sein. Une goutte de lait pointe. Elle en est bouleversée. Je prends délicatement la goutte avec mon doigt et je lui pose sur ses lèvres que j’embrasse. Elle goûte en passant sa petite langue. Et je descends en chercher plus avec ma bouche pour lui en remettre dans la sienne. Elle m’offre sa première fois.
- Adé, attention, mon lait est peut-être fécond, c’est le bébé du Père Simon.
Elle connaît bien ses classiques, elle a lu tous les rapports.
- Scarlett, ça n’a jamais marché sur moi, j’ai toujours eu beaucoup de mal à devenir mère, je ne le serais pas dans l’assistance d’ici. Alors je n’ai pas peur. Je fais confiance à Dieu. Et je ne suis pas en mal de ne plus en avoir parce que je t’ai trouvée toi et tu me suffis largement, tu assouvis mon instinct maternel, je suis ta Mère, je t’aime, ma Fille.
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