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C’est moi, Aurélie, la survivaliste. Je me suis définie dans un monde en perdition. Ma mission : survivre. C’est un réflexe chez moi. J’ai été sauvée par mon assistante sociale, Aline et par son ex, Patrice, un spirituel alternatif. Ils font toujours partie de ma vie. Elle par ma fille Gabrielle que j’ai eu avec son fils Noël. Lui qui a fini par m’en faire un aussi, Pierrick. Je suis née en 2005, j’ai 110 ans, mais maintenant on est immortels sur une autre planète dans un autre univers où se sont réfugiés quelques humains qui ont fini par ne plus l’être avec leurs artifices, sans manger et sans boire, sans croire même. C’est là-dessus qu’on est venus les secourir, les nourrir, remettre leur machine en marche et faire fonctionner leurs toilettes. Après le corps, il a fallu remettre en route leur esprit, avec la B3 puis la B4 et bientôt la B5. Il fallait au moins ça car ils étaient vraiment partis très loin, de la spiritualité. Mais c’est bon, ils en ont pour un moment à digérer tout ce qu’on leur a mis à disposition. Et pour le reste ils n’ont pas à s’inquiéter. Il y a de quoi nourrir un million de personnages ici, en culture raisonnée et durable. Sauf si les antennes nous brident et nous enlèvent notre obsession principale : la maternité. Enfanter. Alors qu’on est immortels. Ça n’a pas de sens. Si ? Mais les antennes veillent et quand on fait une erreur, elles corrigent. Comme pour Aline et Willem. Et tout devient possible dans le S et le I avec le A.
- Bienvenue à la Ferme Est. Elle est bien plus automatisée qu’à l’Ouest où la valeur du travail physique est aussi une thérapie pour les esprits égarés de l’autre côté. L’autre côté des montagnes.
Pierrick dort contre moi, dans son harnais porte bébé. Je prends la main de Patrice et je continue la visite mais on finit par parler de nous :
- Tu sais que je ne quitterai jamais la Cathédrale.
- Tu sais te rendre indispensable. Adé s’est adaptée mieux que toi. Elle a formé une relève, même deux. Et toi tu traînes toujours avec ton père ? Il faut regarder à l’Est, vers l’avenir. Laisse-leur leur Cathédrale à l’Ouest, vient en construire une à Sylvania.
- Ils en ont vraiment besoin ?
- Un jour ou l’autre elle aura son utilité, dans l’éternité. Et puis tu pourrais voir grandir ton fils.
Il m’arrête et m’embrasse. Je l’embrasse aussi. On s’embrasse. On dirait un oui. Mais il va dire non. J’ai une idée. Mais j’attends qu’il se prononce.
- Je ne suis qu’à quelques minutes en navette. Quelques minutes dans l’éternité.
- Il ne s’agit pas de ça, Patrice. Il s’agit de faire corps avec ton environnement. De toujours être là. Pas de zapper d’un coup de navette d’un monde à l’autre. Mais j’ai la solution. Je vais te faire ex-communier pour pratique douteuse de la religion et tu seras libre de refaire ta vie avec nous, moi ta femme et lui ton fils.
- Toi ma femme ?
- La tienne est occupée à nouveau avec l’homme de sa vie. Moi je suis la fille de ta vie. Mais je ne suis plus la jeune fille faible et soumise que tu as rencontrée il y a 95 ans. Alors oui moi ta femme, la mère de ton fils.
- Bon. D’accord pour la Cathédrale à Sylvania alors. Mais avec un ex-com ça va être compliqué.
- C’est aussi ce qu’ils ont dit au Vatican 4, je connais du monde là-bas, je les nourris, mais pas spirituellement. Voilà ta nouvelle croix.
Je lui pose sur sa main. Il la regarde.
- Inspecteur ecclésiastique ?
- T’en a toujours été un en fait, je pense. Ces deux mots te conviennent parfaitement. C’est la consécration mon Amour. Patrice, je t’aime.
Il nous serre dans ses bras et il nous embrasse.
- Nous sommes donc une famille maintenant. Je t’ai toujours aimé Aurélie.
- Pas toujours non, mais ça suffit pour être une faute professionnelle grave, non ?
- Mon destin est entre tes mains.
- Non Pat, il est dans mon cœur. Et dans mon cul aussi un peu.
Et il se met à rire.
- Surveille ton langage Aurélie, ce n’est pas pour les oreilles de Pierrick.
- Oui, pas devant les enfants.
- Les enfants ?
- Ah oui, au fait, je t’ai pas dit ? Je suis enceinte.
- Quoi ? Encore ! Déjà ?
- Ben oui on fait ça tous les jours alors ça revient vite.
Et il m’embrasse à nouveau, mais plus profondément, et je sens sa main entrer dans mon pantalon et passer sous la culotte pendant que nos langues se mélangent au rythme de ses doigts en moi, jusqu’à que je perdre l’équilibre de plaisir dans ses bras. Je l’entraîne vers la grange, je pose Pierrick dans un nid de paille et il me soulève et me plaque contre la paroi en bois en enlevant mon pantalon. Je m’accroche où je peux, j’attrape des anneaux de chaque côté et j’écarte et je soulève les jambes avant de sentir son clou me crucifier les entrailles de sa semence ecclésiastique d’inspecteur charnel.
*
J’ai fait comme Adé, je n’ai pas gardé mon savoir pour moi, je l’ai transmis. Et j’en suis libérée pour me consacrer à moi, à mon histoire et à ceux que j’aime et qui m’aiment. J’ai fait le point sur ma vie jusqu’à mes débuts sur Terre, là où ma vie de femme est morte née avant de tuer ma mère et condamner mon père, là surtout où j’ai été ressuscitée pour vivre et survivre à une fin du monde. C’est sur cette période que je veux reprendre le pouvoir, sur celui qui m’a sauvée, que j’ai pu récupérer et avec lui fonder, une famille. Je suis l’Aurélie de Patrice, il est le père de mon Pierrick.
- Ce ne sont pas des jumeaux.
Comme je vais voir Greta tous les jours à l’heure du thé, j’en profite pour demander à Hilde de regarder dans mon ventre. Et elle vérifie dans ses données :
- D’après les statistiques, on est encore à 100 % de jumeaux dans les grossesses locales. Moins chez les hybrides. Et plus du tout chez les terriens. En tous cas, pas de conversion pour toi Aurélie, ce n’est pas compatible avec une grossesse.
Je la vois réfléchir en cachette. Je sens qu’il y a autre chose.
- Hilde, docteur Mat, dis-moi tout.
- Et si on fixait un rendez-vous avec Patrice pour que je vous en parle.
- Mathilde, je suis la mère. C’est moi qui décide.
- D’accord. Bien. Tu as raison. Ce n’est pas un garçon mais ce n’est pas une fille non plus. On peut intervenir. En gros, on peut choisir. Dès maintenant ou plus tard. Même après la naissance en fait. Ça a l’air d’être une tendance générale ces iel. On passe de la gémellité mixte à ça. Mais pas encore chez les locaux. Ça pose un doute sur cette conversion. On risque de perdre cette évolution. Et il y a la question d’intervenir ou pas, de laisser faire la nature ou pas, nature, si on peut dire avec les antennes. Et le retour de Vivien pose des questions sur la tendance de ce genre de science très interventionniste.
- Je suis pour. Choisir. Avoir la maîtrise. Je vais décider du genre avec Patrice. Personnellement, je préférerais un iel d’apparence fille, comme Yaël, l’enfant de Gabrielle. Comme ça, iel pourra choisir aussi, d’iel-même, comme Yaël qui de temps en temps passe en garçon.
- On est en train de basculer dans un monde de filles avec des iel ici et là. Il va bien d’amuser ton Pierrick là au milieu de sa génération B5. Je dois faire un rapport.
- En parlant de rapport, on pourrait terminer l’auscultation avec ton outil magique ?
Et toutes les cellules de mon corps se mettent à vibrer de bonheur. Je ne m’attendais pas à ça.
- Mon Dieu Hilde, mais c’est merveilleux !
Et je l’embrasse fort sur la bouche :
- Merci docteur.
- Ça fait toujours çà la première fois. Après je suis obligée d’augmenter l’intensité. Avec Greta j’en suis presque au maximum maintenant. Vivement que sa grossesse se termine.
*
- Patrice, dès que je vois ton visage, j’ai envie de l’embrasser. Et je ne te parle pas du reste. Patrice, tu es mon alpha et mon oméga. Et moi je suis qui pour toi ?
- Tu es tellement. Tellement plus que toutes les autres. À tellement de points de vue. À tous les niveaux. Mais là, en ce moment même, j’ai juste envie de te lécher entre les fesses et dans le bas de ton ventre.
Il me faire rire. Il me fait jouir. Il est mon homme. Il l’avait déjà été, mais la situation était différente, la finalité aussi. Cette fois-ci c’est moi qui suit allé le chercher, je l’ai choisi, parce qu’il fallait que je recommence tout à zéro et c’est avec lui que ça a vraiment commencé. Je me suis un peu égarée en chemin mais aujourd’hui tout est en place, on est même une famille, en devenir.
- Patrice, libère toi de tes missions. Pour une vie simple et facile, dans l’éternité, avec moi.
- Et l’E.C. ?
- L’Eastern Cathedral est ton excuse, ton alibi, ta fonction officielle, un projet qui n’est pas obligé de voir le jour rapidement, les cathédrales se construisent en mille ans. Et moi pendant ce temps je surveillerai de loin le fonctionnement de mes fermes. L’inspecteur et la fermière. Toi pour nourrir les esprits, moi pour nourrir les corps. Mais nous dans cette maison du quartier résidentiel central de Sylvania, avec nos voisins et amis de toujours pour toujours. Fondu au noir. Fin.
- Je signe où ?
- Sur mon cœur. Faisons-nous discrets pendant quelques décennies. Profitons l’un de l’autre. Respectons notre savoir être : en faire le moins possible. Comme une retraite spirituelle et professionnelle, mais pas corporelle, si tu vois ce que je veux dire.
- Ça en fait beaucoup de péchés capitaux.
- Depuis la B3 ce ne sont plus de péchés. Mais je veux bien une fessée pour me confesser.
*
Ce soir on reçoit Énola et Marielle pour le dîner. Elles arrivent en civil. Notre déesse n’en manque pas une et donne les fleurs à Patrice en me glissant discrètement la bouteille de vin.
- Bonsoir Pasteur, mon Père, Padre… ?
- Patrice.
- C’est bien aussi. Désolée je n’allais quand même pas te donner le sang du Christ.
- Je vois que tu prends ta mission très à cœur.
- Oui, c’est la façon de faire de notre génération, de nos réseaux, de notre B4. On a le droit d’avoir une vraie vie à côté. Si nos brebis trouvent ça trop souple, ils pourront durcir les coutumes dans leur B5.
Énola se fait écarter par Marielle qui fait la bise à Patrice.
- Elle est chiante quand elle n’est pas au boulot. Mais je l’aime quand même. Ça va beau gosse ?
- En face d’une aussi jolie poupée, ça ne peut qu’aller.
- Il n’y a pas que la conversion des âmes et des sexes, mon esprit respire enfin dans ce nouveau corps. Toi aussi tu trouveras ton vrai chemin un jour.
- Je suis sorti de tous les chemins, je suis plutôt dans un retour à la case départ.
- Aurélie ? Il t’a traité de case.
- Apéro !
*
À cause du projet E.C. Patrice part tôt :
- À ce soir mon Aurèle, je fonce à Westech ensuite en revenant je m’arrête à l’École des Arts avant d’aller prendre mes fonctions au Vatican 4, comme ça je serai en tenue pour aller voir Rachel.
- Rachel… et je suppose que c’est Izzy à l’École des Arts ?
- C’est la directrice.
- Bonne journée mon Pat, sois sage. Bisou.
Il vient aussi embrasser son fils que je suis en train d’habiller pour affronter le Parc Central où ils viennent d’installer un Café pour l’hiver, le « Boui-boui » tenue par une copine locale, Aléna, bien en chair avec des cheveux clairs et bouclés envahissants qui cachent son regard vert foncé au dessus de ses tâches de rousseur. Elle m’embrasse copieusement sur la bouche avant de faire des chatouilles à Pierrick pour le faire rire :
- Bonjour Aurélie, je veux le même. Tu peux m’en faire un ?
- Ce sera pas le même, c’est un produit protestant. Tu peux me chauffer le biberon ?
- Seulement si c’est moi qui lui donne.
Aléna m’avait abordé dans le Parc pour prévenir de l’arrivée de son Boui-boui éphémère pour réchauffer les passants pendant les saisons humides et froides. Ce jour-là, Greta n’était pas disponible pour le thé alors comme je la regardais amoureusement, elle a vite compris et elle m’a fait visiter sa camionnette où Pierrick a fait sa sieste aussi. Avec ma maigreur, elle a adoré mes « os pointus » comme elle dit, j’ai été sa séance acupuncture, c’est le cas de le dire. J’ai un souvenir ému du contact de sa chair sur la mienne. Je me suis même endormie bien au chaud au milieu de sa généreuse poitrine.
- On n’a peu l’occasion de recommencer. C’était merveilleux Aléna.
- Je vais avoir plus de temps. On pourrait se voir chez moi. J’habite dans l’Hôtel Particulier près de la Mairie.
- Là où est Rachel ?
- C’est ma mère. Mais ne t’inquiète pas on peut entrer et sortir discrètement, il y a même des tunnels secrets dont un débouche derrière la Fontaine. Nos prédécesseurs étaient prévoyants.
- D’accord mais il nous faut un alibi, un vrai projet commun, pour ton Boui-boui par exemple. Justement j’ai réussi à faire produire du café, ce serait l’occasion d’en proposer ici. C’est une boisson chaude et amer mais on l’accompagne de lait, de miel (du sucre) et de viennoiseries (des gâteaux). Et c’est un alcaloïde, très stimulant.
*
Aléna aménage un bureau dans ses appartements de l’H.P. pour organiser notre projets. Il y a des écrans, des plans au mur mais surtout des machines à café, un frigo et un four. On embaume toute l’Hôtel d’odeurs suaves et chaudes. Rachel passe nous voir :
- Salut maman, tu veux goûter ? C’est pour mon Boui-boui. Aurélie a plein d’idées de recettes.
Elle est impressionnée de me voir là, travailler avec sa fille. Elle me dit en douce.
- Merci Aurélie, je n’ai jamais rien su en faire.
- Ah bon ? Elle est douée, et tellement… gentille.
- Je vois. Comment vous êtes-vous connues ?
- Je promène Pierrick dans le Parc. Elle y présentait son projet aux passants.
Pierrick pleure.
- Je peux ?
Elle le prend et elle le berce. Il se calme tout de suite.
- Vous pouvez le garder un peu pendant qu’on termine ?
- Oh oui ! Je peux l’amener à la Mairie ? J’ai justement une réunion, avec son père. Je vais lui faire croire que je suis la nouvelle nounou.
- Excellent.
Et je regarde Aléna pleine de farine. Je vais la rejoindre pour l’aider et la nettoyer. Elle s’occupe de mon fils, je m’occupe de sa fille. On est comme en famille. Dès qu’elle est partie, Aléna me fait des bisous, tout doux.
- Aurélie j’aime bien ton style, athlétique, cheveux courts, un peu garçonne en fait, tout le contraire de moi. Tu as quelque chose de particulier, un plus. Tu pourrais être les deux.
- Tu ne crois pas si bien dire, je suis enceinte d’un non genré. Il sera les deux.
- Tu vois, ça rayonne en toi, ça rayonne sur toi. Mais tu restes quand même un joli petit bout de femme.
- Merci Aléna, c’est gentil. Je t’aime bien tu sais. Ton optimisme, ton extravagance, ton corps, j’aime en toi tout ce que je ne suis pas.
- Aurélie, pendant que les gâteaux cuisent, il faut que je te montre quelque chose, dans ma chambre.
Elle me prend par la main en riant d’avance. Elle ouvre la porte sur une chambre d’enfant, tout est beauté et douceur, j’en suis émue quand je comprends que c’est vraiment sa chambre. Elle s’assied sur son lit en riant. Elle a l’air beaucoup plus jeune tout d’un coup. Elle tend sa main sous l’oreiller et en sort un brisim hybride :
- Dès que tu as une heure ou deux de libre, on pourra essayer.
- Je vais demander à Énola de garder Pierrick.
Énola aime bien faire des trucs normaux, comme avant. C’est une déesse à mi-temps. Aléna m’embrasse, elle sent la vanille. Un baiser de tendresse, sans précipitation, sans passion, presque non sexuel. Je me sens bien avec elle. Je pensais être comblée avec Patrice mais je suis également heureuse d’avoir Aléna dans ma vie maintenant.
- Aurélie, tu es vraiment très ouverte d’esprit.
- Je suis une terrienne, je viens de loin il y a longtemps. J’ai croisé plein d’esprits, d’âmes et de corps. Et parmi tous, tu me plais bien, Aléna.
- Je suis jeune, je n’ai pas de pouvoirs, pas d’ambition, je suis une fille de ma génération.
- C’est de ta génération dont ma génération a besoin. Je me sens en symbiose avec toi. Sans système de valeur. Rien à prouver, rien à se prouver, juste partager et profiter.
- Aurélie, je ne l’avais jamais fait avant.
- Quoi ?
- Ramener une inconnue dans ma camionnette. J’ai bien fait. Ça a tout changé, en moi, pour moi. Jusqu’au regard de ma mère. Mais t’es qui en vrai, à part une fermière de la Terre ?
- J’en suis une des leader, je suis la survivaliste. Mais avec les autres on envisage la conversion. Ne plus être terrienne. Devenir locale. En phase avec cette planète C, la troisième de l’humanité. On a d’abord détruit Mars avant de s’attaquer à la Terre. Il n’est pas question de refaire la même erreur.
- D’après ce que j’ai vu, il ne s’agit que de remettre les trous au bon endroit.
- Et le reste aussi. Se remettre les idées en place, entre autres.
- Et tu n’as pas peur ?
- Quand on a été mortelle, on a plus peur de rien. On aspire toutes à une vie simple. Tu en as souvent des pulsions comme ça avec les gens ? Je parle de faire des câlins avec des inconnues.
- Non Aurélie, je ne suis pas comme toi.
- Bien vu. Moi non plus tu sais. C’est juste que je suis un peu habituée à ce genre de jeux avec un groupe de filles.
- Il faudra me présenter. C’est peut-être une nouvelle façon de faire connaissance, à notre époque. Tu sais, j’ai dû hésiter une seconde et puis je me suis dit que les gens qui passent par le Parc sont importants, qu’ils peuvent sans doute m’aider d’une façon ou d’une autre dans mon projet de Boui-boui. Et puis tu me regardais avec amour. Et j’aime être aimée. Je ne laisse pas passer une occasion. Mais cette fois-ci, c’est différent : je ne regrette pas.
Et on se regarde en silence. Et on se prend les mains. Et on se met front à front en fermant les yeux.
- Aléna, est-ce que tu sais qui je suis vraiment ?
- Je voulais lire ta bio sur Wiki C mais c’était beaucoup trop long. Je préfère me rendre compte par moi-même. Et toi, est-ce que tu sais qui je suis vraiment ?
- Ta mère ne m’a trop rien dit. Juste que ça allait mieux.
- J’ai abandonné l’école. Je me faisais trop remarquer au STI. Science et Technologie Institute. Les enseignants sont tellement mauvais. J’ai eu de la chance de ne pas être diplômée. Mais j’ai été repéré, le professeur Bang m’a sollicité pour travailler sur le code des antennes. Je lui ai dit que je n’avais pas de diplôme et il m’a répondu que lui non plus, le siens ne sont pas reconnus ici, comme çà en cas de problème on n’est pas responsable. Il est drôle. Mais ça ne m’intéresse pas. Quand j’ai fait 100 sur 100 à tous leurs tests, j’ai compris que je n’avais rien à apprendre d’eux. Et la vie est ailleurs que dans les mathématiques. Je ne suis personne et je n’ai pas de destin.
*
Maintenant que j’ai apporté ma touche au Boui-boui et qu’on est quand même le 3 décembre 2115, on y sert du vin chaud, il y a des guirlandes clignotantes de partout. Aléna trouve ça un peu étrange mais ça créé une ambiance intéressante. C’est peut-être le début d’une mode à lancer pour fêter le début de l’hiver. Et à la fin du service, Pierrick est part une cliente pour nous laisser ranger tranquillement. Et ensuite Aléna vient me voir et me dit :
- D’accord. Mais maintenant je veux que tu m’embrasses et je veux sentir partout tes doigts en moi.
Et quand on se réveille je lui avoue :
- Aléna, j’ai un homme dans ma vie, mon homme, le père de mon fils et on vit ensemble pour toujours et à jamais.
- Aurélie, moi aussi je veux être ta copine pour toujours, mais pas pour toutes les nuits, juste pour les après-midi, après la fin de la fin du service du brunch.
- Aléna, qu’est ce que tu fais la nuit ?
- J’aimerais te dire que j’ai une autre vie et que je m’adonne à des activités parallèles mais en fait, je dors.
- Aléna, tu as tout compris à la vie. Tu ne t’encombre pas d’une vie de couple et tu ne cherches pas à combler un manque existentiel, tu dors.
- La nuit, oui, mais le jour je chercher à combler le manque d’amour que j’ai eu, par tous les moyens même tenir un Boui-boui.
- Aléna tu es lucide et je réalise la chance et l’honneur que j’ai de pouvoir participer à combler cette carence affective qui fait de toi l’être le plus sensuel et affectif de tous mes temps.
- Aurélie, je ne veux que ton plaisir, et le mien.
*
En attendant Patrice vient et va en moi. Il prend son pied.
- Patrice, c’était comment avec Émilie ?
Il ne s’arrête même pas pour répondre.
- Elle est née sur Terre, elle est arrivée ici à l’âge de 17 ans en 1989.
- Tu as déjà… pratiqué avec une locale ?
Il s’arrête enfin. Il se retire et il me prend dans ses bras pour se confesser :
- J’ai été très maladroit avec Victoria, on n’est pas allés jusqu’au bout. J’ai réalisé que les locales ce n’était pas du tout mon truc. Jusqu’à Marion. Elle a gardé l’initiative du début à la fin, elle m’a apprivoisé et on a fait ça en douceur. C’est tellement moins animal, plus intense, plus long, j’y repense souvent. Vivement ta conversion.
Et il m’embrasse, et il me caresse entre les fesses, et je descends lui donner un avant goût avec ma bouche, bien en profondeur, en pensant à Marion, la moyenne Sœur de Mère supérieure Adélaïde, je me demande bien quelle est vraiment son histoire avec elle, son histoire avec lui. Mais c’est leur histoire et j’ai la mienne à continuer de vivre, avec Patrice, entre autres.
*
Il part toute la journée pour le projet E.C. On a chacun notre vie aux heures actives. Le matin je traite mes messages et je regarde à distance le fonctionnement des fermes. Je prends des nouvelles des postes clés et de mes adjoints pour recouper les informations. Ensuite il y a la promenade dans le Parc central et c’est vite l’heure du brunch. Je prends mes habitudes au Boui-boui avec Aléna, une force de la nature pleine de vigueur, je lui fait énormément d’effet et si l’overdose d’orgasmes existe, c’est avec elle que je risque de l’atteindre. Surtout quand elle me déguise en garçon, je commence à aimer ça, je me surprend à choisir des habits étranges. J’ai un look iel. Comme le bébé qui grandit en moi. Une connexion du corps et de l’esprit avec l’âme à venir. Comme Greta est sur le point d’exploser, il n’y a plus de thé à la Caserne en fin d’après-midi alors je rentre avant que le jour tombe et j’allume un bon feu en écoutant les émissions culturelles à la radio. Ensuite je donne le sein et je fais une sieste avant de préparer le dîner avec le panier du jour déposé devant ma porte par un de mes livreurs toujours très discret. Des fois j’allume les ondes quantiques pour écouter mes stations sur Terre. Il y a beaucoup de bruits inexpliqués mais aucune trace de vie. La télémétrie signale des doses radioactives très élevées. On ne pourra pas y retourner avant deux ou trois millions d’années. Je balance les données sur le réseau C, comme un avertissement. Et Patrice rentre, je lui sers la soupe, on met Pierrick au lit et on part se laver sous la douche avant qu’il me soumette à nouveau au devoir conjugal avant de s’endormir.
Le lendemain au petit déjeuner je lui pose la question :
- Est-ce que tu vois encore Marion ?
- Oui Aurélie, une ou deux fois par semaine en fonction des occasions.
- Heureusement, sinon tu serais encore plus vigoureux sur moi.
- Je ne crois pas non, ça n’a rien à voir, c’est tellement différent, ça ne répond pas aux mêmes besoins.
Finalement je n’arrive pas à lui dire, d’y aller plus doucement avec moi. Parce qu’au fond, je sens que j’aime ça, que j’en ai besoin. Ça peut paraître malsain mais je l’accepte, je m’accepte, comme je suis, comme on m’a faite, comme celle que je suis devenue. Mais je prends la décision d’intervenir, de le prévenir avant la douleur, et je dois protéger mon bébé, notre bébé.
*
Dimanche matin. On est tous à la Messe de Mère supérieure Adélaïde à la Basilique. Patrice fait l’Office avec elle et les Sœurs. Il est tout à côté de Marion. Ils se regardent de temps en temps. En fait, il fait sa conversion bien avant moi. À midi on mange au Palace et après le copieux repas dominical, c’est l’heure de la sieste pour beaucoup. Il y a cette ambiance, cette odeur même de dangereuses copulations. Comme Aline et moi, on a réussi à s’isoler un moment car j’ai pu confier Pierrick à Énola qui l’a amené en promenade digestive voir le nouveau manège du Parc Central. Je retrouve mon Aline, la douceur de sa peau, son goût, ses doigts qui parcourent mon corps en éveil. On ne s’est pas bien cachées, Willem nous surprend. Elle lui tend la main et il vient se mettre contre elle. Elle nous a tous les deux. Et on commence à la caresser en se regardant timidement, avec Willem. Il est tellement calme, il est à l’écoute du corps d’Aline. Je le regarde faire. Elle réagit tellement. Je ne lui fait pas cet effet à Aline. J’ai toujours été un peu trop passive. J’ai envie de sentir ses mains aussi. Pour voir ce qu’il peut réveiller en moi. Mais je dois être réceptive, à lui et à moi-même. Il me faudrait un peu de philtre. Je crois qu’il me reste une petite tige dans mon sac. Je me dégage pour aller la chercher. Quand je reviens ils ont déjà bien avancé. J’allume la tige et j’inspire une longue bouffée. Je la présente ensuite à Aline qui me la prend pour y goûter et souffler la fumée dans la bouche de Willem. Je peux revenir et sa main vient glisser sur mon sein qui pointe puis je sens ses doigts courir le long de ma colonne vertébrale et descendre sur mes fesses avant de revenir devant sur mon ventre où… j’en ouvre la bouche de plaisir et il y engouffre sa langue qui vient chercher la mienne. Quel mémorable premier baiser. Aline nous lâche, nous laisse et se met à l’écart en se frottant frénétiquement l’entre jambes. Tout debout, il se positionne tendrement en moi et Aline revient nous enlacer et nous serrer pendant qu’on se tortille lentement en elle. Nos corps chauffent et ruissellent, nos peaux glissent et le plaisir monte tout doucement pendant de longues minutes. Je sens qu’on pourrait faire durer nos ébats pendant des heures. J’ai des fourmillements jusque sur le bout de mon nez et je me mets à rire de bonheur. Et il entre en moi à me soulever, j’en ai le souffle coupé, puis il me redescend doucement dans des vagues beaucoup plus calmes, mais je sens la suite arriver alors je m’accroche à Aline. Je me réveille au sol, je crois que j’ai perdu connaissance. Je suis en état second, entre deux mondes, complètement détendue.
- Aline ? Tu pourras me le prêter ?
- C’est autre chose que les anciens modèles, hein ?
- Je n’y suis pour rien mesdames, c’est Maëlle qui m’a tout appris.
Tant que Willem existe, pas besoin de conversion. Il sait y faire avec les terriennes. Qu’est ce que ça doit être avec les locales ! Finalement, la conversion, pourquoi pas ? Pour comparer. Rien que pour çà.
Et on retourne en salle de réception comme si ne rien n’était. Énola est revenue de sa promenade avec Pierrick. Elle remarque mes joues rouges et me fait un clin d’œil. Aline me demande :
- Au fait, il est où ?
- Sûrement avec Sœur Marion, quelque part.
Le dimanche après-midi, tout est permis.
*
Comme on est voisines, je la croise souvent dans le Parc Central où je promène Pierrick. On se pose à l’abri dans une tente chauffée au Boui-boui où Aléna vient nous servir des boissons chaudes et sucrées accompagnées de petits gâteaux secs. Pierrick est hypnotisé par les guirlandes clignotantes de toutes les couleurs et une musique de chants de Noël plane discrètement autour de nous.
- Lisa, il y a quelque chose qui cloche.
Elle se met à rire :
- Un peu oui, tu m’as vue ? Je suis Marielle. Prête pour la conversion. J’ai la sensation que en tant que terrienne, on est condamnées à disparaître. Le système ne veut plus de nous. On doit s’adapter à la planète C. Arrêter d’être des animaux qui se prennent pour des êtres humains faillibles et mortels. C’est fini tout ça.
- Ou ça commence. Marielle, on est mieux ici que sur Terre.
- Oui. Que dit ton médecin, Hilde ?
- Mon bébé est non genré. Il ne survivrait pas à la conversion. Je suis repartie pour six mois.
- Très bien. Tu me connais. On ne peut pas dire non à la vie et toutes ces conneries. Aujourd’hui j’ai une vision différente des choses. Je me transforme et je vis avec une locale qui se prend pour Dieu.
- Marielle, c’est moi la patiente, tu n’es pas censée parler autant de toi.
- Je ne suis plus ton médecin Aurélie. Je ne suis plus Lisa. Je peux même te le prouver avec un test génétique. Je l’ai fait quand c’est arrivé à Aline.
- Ce sont des antennes génétiques. Elles font leur boulot. C’est pour ça qu’on est immortels.
- Exactement Aurélie. On n’a plus besoin d’être n’importe qui. Tu veux que je te dise : le concept de l’âme a enfin son rôle à jouer. C’est tout ce qui nous raccroche à notre véritable identité.
- Et les garçons ?
- Il n’ont aucun problème, ils ne sont pas concernés, comme d’habitude. Sauf que, ils vont se faire rares et peut-être un jour disparaître.
- C’est vraiment leur méchant dictateur qui a programmé tout ça ?
- Non, il n’a pas le niveau. Ça vient d’ailleurs, Aurélie.
- Ça vient d’en haut ?
Et on se met à rire.
- Leur B5 leur dira. Mais en attendant va voir ton médecin et elle te dira ce qu’il ne va pas. Elle est bien meilleure que moi, elle traite l’être en son entier. Je devrais aller la voir aussi. On y va ensemble ?
- Oui mai sinon je voulais te dire, de patiente terrienne à médecin terrienne : mon quotidien est saturé d’orgasmes.
- Moi aussi Aurélie, moi aussi. Avant on avait la douleur, maintenant on a ça. C’est le paradis des meilleurs péchés capitaux, ils sont autorisés pour les immortels.
- Lisa, c’est quoi le plan ?
- Greta a eu le contrôle jusqu’ici. Maintenant c’est à Énola de jouer. Je la comprends tu sais, Greta. Elle en a assez. Elle a perdu sa planète. Elle veut confier celle-ci à de meilleures mains. Elle a lâché son destin. Moi aussi Aurélie. J’ai eu ma dose. Sur Terre avant la fin du monde. Pendant la fin du monde. Et ici après la fin du monde. Je décroche. Je lâche mon corps et mon esprit. Je deviens quelqu’un d’autre.
- Mais t’es toujours aux premières loges, avec Énola. Et moi dans tout ça ?
- Tu as amélioré la planète C. Tu nous rend plus vivantes avec les ressources que tu as mises en place. Plus conscientes. Moins sous l’emprise des antennes. Mais il y a tout le reste qu’on a apporté aussi. Ce qu’ils appellent l’Invisible. Ça plus les antennes plus toi égal la recette absolue. Il n’y a plus à lutter. Il n’y a plus à combattre. C’est la retraite. Effaçons nous dans nos vies banales. Et au pire il nous reste les Chevaliers de l’Apocalypse.
Et on se met à rire. Elle est bien bonne celle là.
- Tu sais, Aurélie, j’ai hâte d’oublier, de m’oublier. Je n’étais pas heureuse sur Terre. J’ai fait tellement d’efforts pour la quitter. Je l’avais là, toute entière derrière ma main depuis la station spatiale. Mais devant ma main j’étais toujours moi, dans un environnement hostile et artificiel, sombre et froid. Et de ce néant a surgit Alexeï. Et je suis redescendue avec un peu de lui en moi, et Lambert et né, et il nous a retrouvé. En arrivant ici sur la planète C je les ai perdus tous les deux. Ils n’étaient qu’une vague d’espoir qui n’a fait que passer. Et j’ai surfé sur d’autres vagues d’amour pour finir par m’échouer sur la plage, sur ma plage, chaude, faite de sable fin, sur lequel on peut se tenir debout et avancer. Pour moi, cette plage, c’est Énola.
- Je n’en suis pas encore là, loin de là. Je suis toujours la même Aurélie, je tourne même en boucle avec Patrice, même mes journées sont cycliques.
- Au contraire, c’est bien, tu as atteint l’éternité, tu es en orbite autour de ton Paradis Aurélie. Patrice comme départ et fin de tout. Sans les épreuves avant lui. Et sans celles entre lui non plus j’espère. Je te souhaite une douce révolution.
- Merci mystique Marielle, tu as bien changée.
- Normal, je couche avec l’Invisible.
Pierrick a faim, il réclame à manger. Je le prends dans mes bras et j’offre un de mes seins à son visage froid. Mon petit bébé que j’aime, je suis sa maman adorée. Marielle nous regarde d’un air attendri.
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