VZ0
Solène vient discuter avec sa fille Maëlle pour voir où elle en est dans sa sorcellerie. Ça fini en dispute et Maëlle s’en va en claquant la porte. Solène a à peine remarqué ma présence, comme si je n’existais pas. D’ailleurs, est-ce que j’existe vraiment. Elle vient me voir et s’assoit à côté de moi.
- Et toi, mon pauvre petit Vincenzo, comment tu te sens ?
- Prisonnier. En otage. Ta fille est une sorcière. Elle m’a enlevé mon Aline et a placé son Willem à ma place.
- Et avec Aline, ça se passait comment ?
- Comme deux paumés un peu perdus, on était dans le même état d’esprit. Solène, qu’est ce que je dois faire ?
- À toi de voir mais je dois te dire que Maëlle est ta cousine, par son père, Paulo, le fils de ta cousine germaine Zoé. Paulo, je l’ai connu à Russell, au lycée. Ce n’est que bien plus tard et sans son autorisation que j’ai donné naissance à Maëlle et Willem. En étant avec toi elle se venge. En envoyant Willem dans les bras de ma grand-mère elle se venge. Elle est en colère.
- Dès que je me sauve et elle retrouve. Aide-moi, Solène.
- D’accord, je vais faire ce que je peux. On ne doit pas la laisser faire. Viens avec moi. Elle n’osera pas venir te récupérer. Enfin, j’espère. Ensuite je dois aller séparer ma grand-mère et mon fils et tout rentrera dans l’ordre.
Et elle se met à rire et continue :
- Ces situations sont absurdes.
Elle me prend la main et se lève. C’était sérieux. Je peux la suivre. Elle précise :
- Je vais te trouver des vêtements chauds. J’habite à Sylvania maintenant.
Et on part. Dans la navette elle est pensive. Elle a toujours ma main dans la sienne. Je lui presse pour la sortir de ses pensées. Elle me regarde et elle me sourit :
- J’étais dans tes pensées. Tu n’es pas un monstre. Moi je t’aime bien. Et tu es beau comme tout, comme ta mère. Je l’aime bien aussi. Vous n’êtes pas juste des victimes, d’accord.
- Tu es gentille Solène, je t’aime bien aussi.
- Je sais. Ça va aller.
- Tu vois aussi l’avenir ?
- Non, je n’ai pas cette option de l’Invisible. Comme quoi, tout peut arriver. On n’est pas prisonniers d’un destin.
- C’est aussi l’occasion de lui donner une bonne leçon à ta fille, non ?
- Non, elle en est à un stade où rien ne peut fonctionner pour la raisonner. Si je t’emmène avec moi c’est parce que tu me l’as demandé. Tu as osé m’appeler au secours. Tu as pris une décision. Tu vois, tu existes, vraiment.
Et elle m’embrasse sur la joue. Et elle pose sa tête contre mon épaule. Et elle serre ma main.
*
On se retrouve à une réception à la mairie.
- Mais en fait, qu’est ce qu’on fait là ?
- Toi je ne sais pas mais moi je dois faire de la représentation. J’ai un emploi fictif que Rachel m’a inventé : conseillère municipale, adjointe à la mairesse dans le domaine de la sécurité, de la sûreté et du souverainisme. Je dois avoir un bureau et une équipe quelque part. On est plein comme ça. On est ses élus. Elle nous a choisi. Mais Sylvania est une ville rodée, elle fonctionne toute seule.
On tombe sur Phoebe. Elle n’a même pas l’air surprise. Hilde est là aussi. Elles discutent, elles plaisantent, je suis invisible. Mais pas pour Phoebe. Elle me prend à l’écart.
- Alors, encore sur la même lignée à ce que je vois.
- C’est une malédiction.
- Heureusement que Noëlle est occupée avec un vrai homme de pouvoir.
- Adé, j’ai pas choisi d’être moi. Mais j’assume. Ou alors je suis lâche, de ne pas disparaître, de ne pas changer de nom. Je ne suis qu’une sorte d’erreur mais j’ai encore quelques repères. Ma mère. Et cette lignée. Dans les deux cas je reste une sorte de victime d’un chaos malsain sans fin. Sauf qu’avec Solène je me sens bien. Elle a la gentillesse de sa grand-mère et le charme de sa fille. Tu me voyais sans doute avec Noëlle. Noëlle le double d’Émilie. Émilie ma grand-mère. Je suis une aberration qui se répète même dans les multivers.
- On appelle ça un écho, dans le langage de l’Invisible. Le message est assez clair. Tu l’as bien compris. Je ne sais pas ce que tu vas en faire. Mais toutes les alarmes clignotent autour de toi.
- Je suis une menace. C’est ma nature même. Peut-être que toi et tes copines vous devriez me faire disparaître, d’un claquement de doigt. Ou alors je dois rester sous vos yeux pour vous rappeler que la menace est toujours là ?
Solène et Hilde viennent nous séparer et elles disputent presque Phoebe qui s’excuse à peine de son comportement. Je suis redevenu invisible. Je m’éclipse mais je suis arrêtée par Rachel qui a tout vu. Elle me prend la main :
- Vincenzo, donne-leur une chance, elles ont perdu leur planète, elles ont peur pour la nôtre, elles voient le mal partout. Sois indulgent. Mais te laisse pas faire. Et suis ton instinct. Qu’est ce qu’il te dit ?
- D’être gentil, avec Solène.
- Alors va la retrouver. Ne te sauve pas.
J’y vais. Hilde est en train de tirer Phoebe, de l’éjecter de la réception. Solène est choquée, inquiète même.
- Je m’excuse, Solène.
- Non Vincenzo, tu as bien fait de lui tenir tête. C’est toujours pareil avec l’Invisible. Ils sont lourds, ils exagèrent tout. Moi je ne vois rien de mal en toi Vincenzo.
- Tu es sûre ? Dis-le moi dès que ça arrive, d’accord ?
- D’accord.
- Alors il faut que je te montre quelque chose.
Je l’emmène à la navette. Direction l’Est. On fonce dans les montagnes.
- Vincenzo ?
Je lui tends la main. Elle la prend. Les falaises s’approchent. Elle a confiance. Elle n’a pas peur. On ralentit. Un tunnel noir apparaît devant nous, on entre, on se pose. On descend. On est dans une sorte de grand hangar à l’intérieur de la montagne.
- Des installations comme celle-ci, il y en a partout. Dans les montagnes. Sur l’île entière. Et au-delà. Même sous l’océan. C’était des bases. De la guerre. La quatrième. Celle qu’ils ont perdu. Il y en a eu neuf.
- Ils ont perdu contre qui ?
- Cette chaîne de montagne séparait deux peuples, l’Est et l’Ouest. L’Est a envahi l’Ouest et ils se sont intégrés. Ils ne sont pas retournés à l’Est.
- Pourquoi ils se sont battus ?
- L’Est a attaqué parce qu’ils étaient en difficulté de survie. C’était leur façon de demander de l’aide. Pour les autres guerres, celles d’avant et celles d’après, c’était juste parce qu’ils n’avaient pas la même version de leur même histoire. La politique, ça a fait des dégâts. Tu as vu la taille du Parlement à Sylvania ? Il y a avait beaucoup de politique, beaucoup trop.
- Comme tu as eu accès à ces installations ?
- Je n’ai pas besoin de code ou de clé. C’est biométrique. J’ai la même empreinte que Vivien. Je vais te montrer quelque chose.
Je l’emmène à bord, dans ma soucoupe volante, on décolle, il n’y a pas d’apesanteur, accélération constante.
- On est hors antennes, on a chaud, soif, mal, on se sent revivre, souffrir, hors du coton anesthésiant de la planète C.
Mais elle ne se sent pas bien. Elle voit la planète C s’éloigner par le hublot et elle commence à paniquer. Je lui tiens la main et on redescend. Elle respire à nouveau normalement.
- Tu vois Solène, c’est ça qu’elle voit Adé. Du jour au lendemain je peux me retrouver devant un bouton rouge qui coupe les antennes ou un truc du genre. La vie sur la planète C, ça tient à peu de choses. Certains sont prêts à tout pour la préserver. D’autres les affrontent, comme Énola, qui a ramené Vivien pour nous mettre tous face à notre cauchemar, l’affronter de son vivant. Elle est audacieuse. Elle a confiance. Elle n’a pas que des pouvoirs absolus, elle a aussi la Foi. Greta ne pouvait pas garder tout ça pour elle toute seule. Elle a dû et elle a su partager. Et à l’origine de Greta il y a qui ? La menace ultime. Lui, moi. Mais je ne crois pas que Greta a suivi le programme. Parce qu’elle a su exister en dehors du programme. Parce qu’elle maîtrise le programme. Et que maintenant c’est son programme. Et elle est un exemple, une guide. Pour tous les autres programmes, comme moi.
Solène s’approche et me serre dans ses bras. On sort de la soucoupe et on rejoint la navette pour rentrer à Sylvania.
*
On va voir ma mère, elle nous invite pour le déjeuner à Laguna City. Elle est très affectueuse avec moi. Solène comprend tout, voit tout, sent tout et elle aime bien Victoria, elle est pour elle une sorte de Greta, magnétique mais égarée. Après le repas, je débarrasse et je vais en cuisine pour les laisser discuter en privé mais je les entends :
- Victoria, tu devrais reprendre le contrôle, ralentir les substances. Tu es si belle, si inspirée, si inspirante. Comme ton Vincenzo, tu peux en être fière, malgré tout.
- Merci Solène, j’ai fait de mon mieux, malgré tout. Et toi aussi, comment peux-tu être la fille de Noëlle et la mère de Maëlle ?
- Parce que je l’ai décidé. Parce qu’on n’est pas seulement notre code génétique ou autre. On est plus que ça.
- Mais on l’est quand même Solène. J’ai sans doute reproduit sur Vincenzo ce que j’ai subi moi-même. Je lui ai fait son éducation, si tu vois ce que je veux dire. Je ne sais plus si c’est encore considéré comme bizarre avec la génération des gémeaux et maintenant des iel. Comment ils font eux, ils font ça tous seuls ?
Et elles se mettent à rire. J’y retourne pour m’imposer, me montrer, les empêcher de trop se rapprocher parce qu’avec ma mère je sais comment ça peut finir quand quelqu’un lui plaît. Et Solène est sous le charme aussi. Elles se reprennent. Je ne suis pas invisible. J’ai l’impression d’exister, entre elles. Il est temps de partir avant que ça dégénère. En rentrant elle me raconte :
- J’étais visuellement la même au lycée. Pas très intéressante.
- Moi je te trouve très belle.
- Ah bon ? Pourtant je ne suis pas aussi brune qu’Aline ou aussi blonde de Maëlle, je suis un peu rien du tout entre les deux. En fait, ce qui a intéressé ton cousin, c’était que j’étais une terrienne.
- Tu as le visage d’Aline tu as aussi sa gentillesse. Et tout le reste doit te venir de l’autre côté, de l’autre monde, de la Terre, de ton père.
- Je ne sais pas. Il était un homme de pouvoir, pas moi.
- Tout comme moi alors.
Elle me sourit.
- Très juste. On a un point commun ?
- Seulement un ?
Je la regarde. Elle me regarde. Elle ne m’a jamais mal regardé comme moi je me regarde mal. Et qu’est ce que j’ai sous les yeux ? Une terrienne arrivée ici au début de sa vie de femme. Une lycéenne qui a fait des petits avec son premier petit ami local, Paulo, le fils de ma petite cousine germaine génétique.
- Tu as un faible pour ma lignée ?
- C’est la meilleure, la plus controversée, celle à l’origine de tout, non ? C’est pas la définition de Dieu, ça ? Même Greta en découle avec tout le reste. Moi ma lignée, elle part en vrille. Ma grand-mère va avoir un iel avec mon fils. Dans l’immoralité indécente de nos lignées, je pense qu’on est à égalité, non ?
- Mais toi, tu n’as rien à te reprocher.
- Toi non plus Vincenzo. Et tu as une mère aimante qui assume. Et je t’aime bien aussi. Il y a ceux qui voient le mal partout et il y a les autres. Si tu t’acceptes comme tu es, je t’accepte comme tu es.
On arrive sur le toit de la Mairie. On rend la navette de fonction. On descend dans la rue et on marche jusqu’au quartier central où elle a sa maison. Nos mains se frôlent, elles s’attrapent pour descendre un escalier. On passe par le parc et devant la fontaine on s’arrête. Elle s’agrippe à mon bras. Elle pose sa tête sur mon épaule.
- Vincenzo ? Qu’est ce que tu attends pour m’embrasser ?
- C’est là qu’on se quitte ?
- Ou c’est là que tout commence, à toi de voir.
*
Je ne l’embrasse pas. Mais je ne la quitte pas.
- Solène, tout le monde mélange ses fluides et marque son territoire. J’aspire à une communication plus évoluée. Ils font ça pour s’appartenir, être exclusif et inclusif. Est-ce qu’on ne pourrait pas juste être amis ?
- Tu déconnes ?
- Oui.
Et je l’embrasse. Elle rit.
- En fait, je crois que tu as raison. Tu n’es pas encore mon ami. Tu es juste un invité. Après tout, pour le reste, tu as ma fille. Ou ta mère.
- En fait, j’aimerais sortir de ces schémas.
- Il va falloir tenir tête à Maëlle alors. Et ensuite, me séduire. Qu’est ce que je peux attendre de toi ?
- Rester sage. Je suis une menace. Et ton devoir est de maîtriser la menace à Sylvania.
- D’accord, je vais t’enfermer dans ma cave. Suis-moi.
Je la suis. Je lui reprends la main.
- Solène, je préférerais qu’on se parle franchement.
- D’accord. Restons ensemble, au contact, je dois t’avoir à l’œil. Mais pas plus. Ton voyage dans l’espace m’a donné mal au ventre.
Elle a une petite maison comme tout le monde dans le quartier central. J’investis sa cuisine pour lui préparer une boisson chaude relaxante. Je lui amène dans le salon, elle est recroquevillée dans son fauteuil.
- Tiens, c’est du sans Philtre.
- Oui, c’est ça l’idée, je t’héberge pour te surveiller.
Tout se dénoue en elle. Elle est à nouveau opérationnelle. Elle me prépare la chambre d’amis et ensuite on prépare le dîner ensemble. Elle est inquiète :
- Demain je ne peux pas t’emmener au travail. Tu vas aller où ?
- Je peux pas rester ici ? J’avais prévu de me reposer et de dormir.
- D’accord mais on ne doit pas voir qu’il y a quelqu’un. Sinon tu vas te faire harceler par les voisines désœuvrées.
- Je vais m’enfermer dans la cave.
- Tu les connais pas, elles sont prêtes à creuser un tunnel.
On fait la vaisselle, on range, on fait notre toilettes et :
- Bonne nuit Vincenzo. Sois sage.
Je suis réveillée par son bisou. Il fait jour.
- Bonne journée, bonne chance. J’y vais. À ce soir ?
- Solène, je pensais qu’on allait petit-déjeuner ensemble.
- Bonne idée. Tu as raison. On vit ensemble. Je vais le préparer.
Je m’habille et je la rejoins en cuisine pour l’aider. On chahute un peu, on s’amuse, on rit. Puis elle part en me faisant un petit signe. Je vais me recoucher et je dors. Je me réveille pour finir de m’installer, m’organiser. Je vais dans son bureau et je récupère un bloc note où je fais des listes. Dehors il fait gris et froid. J’allume le feu. Je prends un livre. Je m’endors. J’allume l’écran du salon mais il n’y a rien d’intéressant. Je trouve une radio mais elle ne marche pas. Alors je la bricole. J’entends la porte d’entrée. Je vais voir discrètement. Elle est là, debout dans la pénombre, immobile, elle écoute, elle attend :
- Vincenzo ?
Je me montre, elle accoure, je cours aussi vers elle et on s’étreint longuement.
- Vincenzo. J’ai pensé à toi toute la journée.
- Pas moi, j’ai bien dormi.
Je lui enlève son manteau, elle jette ses chaussures et elle s’installe près du feu. J’apporte deux boissons chaudes que je pose sur la table basse et elle me tire sur le canapé avec elle. On regarde le feu, blottis l’un contre l’autre. On finit pas s’endormir.
*
Je l’aide à mettre sa ceinture face au grand miroir. Elle sent bon. Elle est belle avec ses cheveux tirés et le visage dégagé.
- On dirait quelqu’un d’autre.
- Je suis quelqu’un d’autre. Je suis devenue antipathique. Prépare tes valises, on va bouger.
Elle me donne des cartes d’accès pour que j’assiste au spectacle. Dans le petit amphi de la Mairie, elle est prise à partie par des agents des forces de l’ordre pendant son discours de politique générale. On entend les insultes :
- Tu ramènes du boulot à la maison !
- Oui c’est ma façon de gérer la menace, vous devriez faire pareil.
Puis d’autres, moins audibles. Ça la fait rire.
- Oui j’essaie de résoudre certains problèmes familiaux, qui n’en n’a pas ? (…) Écoutez, je vais vous laisser le temps de les résoudre aussi, je vois madame le Maire que vous laissez faire alors je décide de dissoudre toutes les forces de l’Ordre de Sylvania, les agents prendront le relai pour une durée indéterminée et ce n’est plus votre problème, ce n’est plus mon problème non plus, I Quit !
Et elle ferme son micro, elle jette ses badges et fait un bras d’honneur à ceux qui ne la respectait pas et qu’elle vient de virer avant de démissionner. Elle me rejoint sur le toit, on saute dans la navette et elle commente :
- Tu as vu, c’est toujours un peu musclé les réunions de travail. Surtout quand on essaie de s’impliquer. Mais tout va bien, Rachel ne savait pas comment se débarrasser de cette police municipale douteuse, voilà qui est fait. C’est ça la politique.
- Et maintenant ?
- On part en vacances, cap à l’Ouest.
Et ses plages de sable fin sous le soleil. Tous les gens sont gentils ici. On est loin de l’ambiance froide des polémiques et des confrontations de Sylvania. À l’Est ils veulent se sentir vivants, humains, faillibles et sensibles. À l’Ouest on y vient pour s’anesthésier. On se retrouve dans une grande maison blanche au toit plat en bord de plage à Laguna Beach. La maison d’à côté doit être celle d’Alice, qui vit au Village maintenant, sous un autre nom.
- Un autre nom, voilà ce qu’il me faut.
Elle se retourne vers moi, elle a un drôle de regard.
- Vince.
Et elle s’approche doucement, elle me prend le visage et elle m’embrasse. Et je l’embrasse. Et elle me pousse sur le lit. Je baisse mon pantalon. Elle soulève sa jupe et elle me chevauche. Elle a la douceur d’Aline et l’audace de Maëlle. Elle est le mélange parfait. Heureusement, elle y va doucement. Je veux que ça dure. Je pense à autre chose. Aujourd’hui c’est la fête de mon père, on est le 10 mars. J’espère qu’il ne va rien se passer de grave, qu’il va rester terré comme une arme de dissuasion à ne jamais utiliser. Je me concentre sur les yeux de Solène. Elle me regarde s ans me voir. Ses yeux sont ni vert, ni bleu, ils sont entre les deux. Je crois qu’elle est ailleurs. Qu’elle pense à autre chose elle aussi. Alors je passe sur elle pour la tirer de ses pensées. Je la couvre de baisers. J’enlève ses habits et les miens. On se retrouve nu à nue, peau à peau, et je retourne doucement en elle, je la laisse m’accueillir et je reste immobile comme dans une locale.
- Vince, tu vois ma grand-mère et ma fille.
- Maintenant je ne vois plus que toi. Et toi tu vois quoi ?
- J’ai vu Paulo, mais avec toi j’ai l’impression d’avoir le vrai et pas la copie.
Elle me fait rire. Et je lui donne un grand coup qui lui fait ouvrir la bouche et enfoncer ses ongles dans mon dos.
- Encore !
Et encore et encore et encore puis plus rien pour la laisser respirer avant de recommencer. Et à chaque fois on est de plus en plus ensemble. Et le reste du monde commence à disparaître. À la fin il n’y a plus que nous. Et on s’abandonne l’un dans l’autre.
*
Mercredi 11 mars 2116. On se réveille doucement. Elle me murmure des mots gentils :
- Maintenant je suis ta femme. Je veux rester dans tes bras. Jamais on ne m’avait aussi bien baisée. J’ai ta semence en moi. On est un couple maintenant. On va rester là, sous le soleil, exactement, juste en dessous. Et on sa se faire oublier. On va s’oublier l’un dans l’autre. Pour faire un nous. Solène et Vince. Vince Solène. On dirait du latin. Un langage secret et sacré.
Je lui fais des gros câlins mais pas plus. Il faut économiser le désir, il est précieux. On se lève, on se lave, on prépare le petit-déjeuner et on va se déclarer à la mairie, à pied nus, on passe par la plage sans se lâcher. On arrive au City Hall. Les employés sont bronzés, ils portent des couleurs criardes, on la l’air de réfugiés, de l’Est.
- Bienvenue à Laguna Beach, on va vous trouver des sandales.
- Non merci, ça va aller, on est venus par la plage, on a déjà une maison là-bas. On vient se déclarer. Solène Leclère et Vince Raymond.
Elle me regarde avec étonnement :
- C’est le nom de jeune fille de ma grand-mère.
- Moi aussi.
Elle regarde les affiches. Ils recrutent.
- Je verrai quand je connaîtrai la ville si je dois m’engager dans un domaine ou un autre.
Personnellement, je vais me rapprocher du service de gestion météo. Je trouve qu’il fait beaucoup trop chaud. Il faut que je retrouve mes diplômes sur le sujet avant d’aller voir le service en question. Il y a sûrement quelque chose à faire. Je suis sûr qu’on serait mieux avec quelques degrés de moins. Mais Laguna Beach n’est qu’une annexe de Laguna City et le représentant local mis en place par Carla n’est qu’un illuminé qui danse tout nu pour faire tomber la pluie. Tout se joue ailleurs. Quelque part.
- Solène, moi j’aimerais ajuster la météo de ta ville. Mais vu mon pedigree on ne me laissera jamais approcher les systèmes qui concentrent toute cette chaleur chez nous et tout le froid à Sylvania. Il y a quand même quelqu’un à qui je pourrais faire passer un message, mais je ne le connais pas, mais tu pourrais m’aider à le voir, car c’est un terrien.
- Big Bang ? Il est pas mieux que l’illuminé déguisé en grenouille et qui chante sur le toit du City Hall. Mais je suis sûre qu’il aimerait aussi te parler. Même de météo. Mais tu me vois demander à ma copine Adé qui demanderait à sa copine Hilde qui demanderait à son père ?
- Ce serait peut-être plus direct avec Greta.
- Greta ? Elle ne sait même pas que j’existe. Mais en fait, il y a plus simple. Il faut laisser un message dans le Dark pour le Réseau C. Et là, c’est lui qui viendra à toi.
- Solène, je suis Vincenzo le bani, la menace, je n’ai pas accès à tous tes trucs d’élus terriens.
- Si, tu y a accès Vince, avec moi. Je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a un darkmono. Ha ah ! Je vais y faire poster un message de ta part. Un truc codé que seul Big pourra repérer. Et un jour tu le verras débarquer derrière toi pour discuter.
*
Quand la lumière du jour cesse de nous aveugler, la raison reprend sa place dans nos esprits. Et on discute un peu avant de s’endormir.
- Finalement, non, je ne vais pas m’investir dans la vie politique de cette sous-ville, même si je n’aurais pas eu grand-chose à faire à part en tirer toute la gloire de cette banlieue dortoir de Laguna City.
- Ouais, en plus tu aurais dû être sous les ordres de ma cousine qui est avec le père de tes enfants. Moi pareil, je laisse tomber le climat. Big m’a envoyé un message en trois étapes : 1 - c’est une formule à modifier ; 2 – je dois trouver un mathématicien qui la maîtrise ; 3 – ce sera pas facile parce que c’est un code géré par les antennes.
- Bon, affaire classée, on reste en vacances, au repos, à l’écart. Personne ne viendra me réclamer. Tout le monde a sa vie.
- Et moi donc. Si ma mère arrête les substances, elle se rendra compte qu’elle a d’autres beaux enfants à revendiquer, que je n’étais qu’un mauvais rêve. Pour toutes les femmes de ma vie, je ne suis plus qu’un fantôme à oublier.
- Et on va s’aimer, sous le soleil et sous la couette, on va même faire un iel qu’on va élever comme il faut avant de le lâcher à Russell où il va vite nous oublier aussi.
- Mais iel sera extraordinaire, à la croisée de deux lignées, je le vois bien participer à la B5, comme toutes celles de sa génération.
- Le fils maudit et sa terrienne, ils hantent la maison blanche de la plage, celle à côté de celle d’Alice, la légende qui a disparu.
- On est des copies d’Alice et Victor.
- Ils se sont aimés longtemps, ils ont eu une belle histoire.
- Et bien pour commencer, ou pour finir, je veux juste m’endormir dans tes bras.
- Et faire de beaux rêves.
- Demain, on se lève pas.
Bisous. Voilà. On est à une balise. Tout peut s’arrêter là. C’est à cet instant qu’il faudra revenir pour tout recommencer, le jour où l’on maîtrisera le temps, ce temps infini qui ne nous fait plus défaut. On a le temps. Le temps de tous les possibles. Le temps de tous les impossibles. En attendant, bonne nuit.
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