1 - 4 - Les mondes interdits - Le Maître

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Les mondes interdits

L’Autre Lune est passée. Je n’ai pas réussi à la décrire, pas plus que je ne suis parvenu à décrire la Chimère. Oh, bien sûr, j’ai exposé ses effets sur les hommes; Je me suis servi des souvenirs que j’avais des notes du Registre pour expliquer sa place dans les panthéons, et j’ai même décrit quelques-unes de ses actions. Et pourtant, je n’ai pas encore dit à quoi elle ressemblait. Ce n’est pas par mauvaise foi, ou par paresse, que je ne l’ai pas fait, non… C’est que… j’arrive à peine à me la représenter… Je me rappelle que le monde entier était suspendu aux interprétations que les nations donnaient à ses actes, mais presque pas de la Chimère elle-même.

Elle m'apparaît comme une ombre, dans ces souvenirs, comme une trace dansante et volatile que je n’arrive pas à fixer avec précision. Je me rappelle des statues qui la représentaient, de leur regard impérieux… Mais le reste : rien… Antar avait raison de se poser la question. Peut-être suis-je Antar Gin?... Non, impossible. Après tout, je crois que le corps que j’habite est celui d’une femme, si j’ai bien compris ce qu’était une femme. Sa question résonne en moi…

Qu’est ce que la Chimère? On ne peut pas comprendre grand chose à cette histoire, si on ne comprend pas ce qu’elle était… Je vais y arriver… Pas tout de suite, mais j’y arriverai… Je la décrirai, je sais que j’y arriverai…

  • Le Maître

Il se passa plusieurs saisons sans que les rêves de Lymfan ne semblent devoir se concrétiser. Il faut dire qu’un événement fâcheux lui confirma vite une vérité très difficile à digérer: Séclielle n’était pas une ville aussi gorgée de sainteté qu’elle le pensait, et les habitants de la capitale étaient aussi sinon plus médiocres que les autres êtres humains qu’elle avait croisé durant sa courte existence.

Après qu’Etius lui ait donné le mark d’or, et après le passage de l’Autre lune, Lymfan avait foncé vers la légendaire boutique de Séguon l’humble, un apothicaire et alchimiste connu jusqu’aux confins des cinq royaumes. Elle comptait y acheter de précieux artefacts, des décoctions fabuleuses et des fleurs secrètes; Or, avant d’entrer dans la boutique, elle commit l’erreur de faire une halte devant un étal splendide, sur lequel brillaient quelques pommes fraîches. Leur éclat lui rappellèrent doucement qu’elle mourait de faim. Elle approcha du marchand, lui désigna le plus rouge des fruits; mais, quand elle voulut payer, le vendeur grogna, et refusa abruptement de prendre l’argent. Il n’avait, d’une part, pas la monnaie sur une telle somme, et, d’autre part, pas du tout confiance en cette fille de rien, qui devait certainement lui présenter une pièce contrefaite: ou pire, volée.

Après l’avoir ramassée en rougissant, Lymfan, affamée, s’était ainsi entêtée à tenter sa chance dans d’autres boutiques, mais aucune d’entre elles ne semblait disposée à accepter le mark; Pire, encore, une vendeuse de poisson hargneuse finit par la dénoncer à la garde, et un soldat émacié et puant finit par l’expulser tout bonnement du quartier - non sans avoir dérobé la pièce d’or à la jeune fille, qu’il avait, lui, bien reconnu comme étant une vraie, et qu’il était certain qu’elle avait dû voler quelque part…

Lymfan eut beau protester, pleurer, se débattre comme un fléau, rien n’y fit: la pièce était perdue. Elle poursuivit même le garde jusqu’à le voir disparaître dans un bordel; mais on lui refusa l’entrée, et elle rentra chez son cousin en pleurant. Sa mémoire exceptionnelle lui permit de retrouver sa route sans aucun mal, mais lorsqu’elle arriva dans la boucherie et qu’elle expliqua ce qui s’était passé, Adri éclata de rire en crissant: “un mark d’or! Bah voyons!”

Elle commençait à comprendre: personne ne pouvait croire qu’elle avait de l’or dans les mains. Depuis qu’elle était arrivée, on l’avait prise soit pour une menteuse, soit pour une folle; Par une curieuse sagesse qui lui était propre, elle ne l’avait pas pris personnellement. Elle l’avait tout de même mal pris. Si tout le monde la prenait pour une mythomane, ça ne pouvait vouloir dire qu’une chose: que les habitants étaient habitués à la tromperie, que la cité était pleine de menteurs, qu’elle débordait de vice, et que Séclielle n’était depuis longtemps plus la ville décrite par les Révélations de Gabriel. Elle pleura sa fortune volée quelques semaines, mais cette désillusion, elle la souffrirait tout au long de sa courte et tragique existence.

Ici, il y avait les maestros et le reste; elle faisait partie du reste. Par cet état de fait, son statut social lui apparut alors clairement pour la première fois de sa vie, et les cours qu’elle suivait au Séminaire n’adoucirent pas cette révélation-ci. Elle n’était qu’une moins que rien.

Afin de devenir maestro, il fallait franchir plusieurs étapes: D’abord, on entrait au Séminaire, où l'on devenait “apprenti”. Elle avait franchi cette étape le jour du passage de l’Autre lune: la vieille dame qui avait voulu l’en empêcher la toisait depuis, chaque fois qu’elle entrait dans le Séminaire.

Elle y suivait des cours dans les amphithéâtres de la tour, des cours qui reprenaient les bases du pavi, et que Lymfan trouvait totalement inutiles, compte tenu de sa propre maîtrise de ce langage… Rationnellement, toutefois, il faut dire qu’être apprenti était déjà un accomplissement en soi, et que le simple fait d’avoir pénétré les salles basses de la tour lui ouvrait les portes de nombreux métiers d’église, habituellement réservé à la petite bourgeoisie; mais elle ne voulait pas devenir prêcheuse, ni diriger les odes funèbres, ou marier les manants.

C’était bien le prestigieux titre de maestria, qui l’obsédait; elle voulait, elle aussi, traquer les désignés. Comme Ezia Féléis. Elle voulait, elle aussi, guider et protéger les laïcs, comme cet homme, son maître d’autrefois, qui l’avait guidée et protégée dans le chaos du Nord. Pour cela, il lui fallait donc franchir trois autres étapes; D’abord, il lui faudrait trouver un nouveau maître, ce qui ferait d’elle une “tutellée”. Puis, elle devrait recevoir l’Onction, un saint onguent qui conférait aux maestros leurs pouvoirs phénoménaux. Enfin, elle passerait un examen final, et deviendrait maestria...

Malheureusement, la première de ces étapes semblait déjà infranchissable. Les autres élèves de l'amphithéâtre (des enfants de commerçants prospères, pour la plupart, qui la méprisaient presque autant qu’ils ne l’effaraient par leur pédance et leur maniérisme) lui avaient laissé entendre que seuls les membres des cinq familles électrices pouvaient espérer être pris sous l’aile d’un maître; C’était des oncles qui formaient des neveux, des père enseignant à leurs filles, des grandes cousines élevant le cadet de leur famille, mais jamais des princes prenant des paysannes sous leur aile, ça, non, ça ne s’était jamais vu…

Rien n’aurait pu faire renoncer un esprit si obstinément buté que celui de Lymfan; Toutefois, au bout d’une saison et demie, elle commençait doucement à désespérer, et se mit à haïr Séclielle avec une ferveur renouvelée.

Le matin, elle marchait seule dans les rues jusqu’à atteindre le Séminaire; Là, elle assistait à des cours éminemment soporifiques, qui expliquaient très mal des choses qu’elle avait déjà comprises, et partout elle sentait des regards hargneux et jaloux se poser sur sa nuque; Elle n’avait rien à faire ici.

L’après midi, elle rentrait à la boucherie, et se devait alors d’aider son cousin comme il le lui avait demandé: ses mains d’enfants devaient plonger dans la chair et le sang, vider des oies, remplir des boudins et écerveler des moutons. Parfois, la chair à vif lui rappelait le cadavre du maestro que le désigné avait tué, dans les ruines de la cité de Phénok; D’autres fois, les membres découpées lui évoquaient les massacres dont elle avait été témoin dans son Nord natal. à chaque fois, elle serrait les dents, et déployait des trésors de volonté pour ne pas vomir sur la précieuse marchandise.

Malgré ses dons pour l’apprentissage, elle parvenait rarement à se rendre efficace. Elle sentait les yeux noirs de Muche, le fils de son cousin, qui avait quelques saisons de moins qu’elle, se poser sur ses mains douces et maladroites avec un mépris sans mystère: Lui travaillait avec acharnement, sans jamais sourire, comme une miniature d’homme déjà rompu par son labeur. Elle n’avait rien à faire ici.

Toute la famille travaillait cette viande, dans un silence de meurtre, mais on en mangeait rarement, et les plats du soir étaient généralement constitués de galettes dures et de soupes insipides. Quand elle allait se coucher, elle était généralement si trempée de graisse poisseuse qu’elle la sentait pénétrer jusque dans les moindres fibres de son corps. Comme les bains coûtaient chers, elle ne se lavait qu’une fois par semaine, et les traces d’entrailles qui la tâchaient jusqu’aux coudes ne passaient pas inaperçus au Séminaire; bientôt, toute sorte de rumeurs et de légendes circulèrent à son propos, et sa réputation pénétra les hautes salles bien avant elle.

Seule la mer parvint à lui faire apprécier la capitale. Au final, elle la trouvait bien plus fascinante que tous les monuments splendides qui grouillaient dans les rues; Pour elle, ils leur manquaient la simplicité de l’insondable. Elle finit par découvrir un petit quai désert qui tournait le dos à la ville, et prit l’habitude d’y passer chaque matin avant d’assister aux cours inutiles. De là, elle appréciait la solitude, comme seuls les croyants savent le faire: en ne se sachant pas seule. Elle pensait à la Chimère, et pensait savoir que la Chimère pensait à elle.

Comme Séclielle était une grande ville, les occasions de se retrouver seule se firent de plus en plus rares. Elle aurait voulu lire, mais n’avait jamais possédé personnellement quelque chose d’aussi précieux qu’un livre. Oui, seule la mer parvenait à lui rendre un peu de cette sensation d’infini inexplicable qu’elle avait ressenti en parcourant le livre saint, des vertiges auparavant. Parfois, elle repensait à l’endroit qu’elle avait quitté. Toujours quand elle était seule, jamais trop longtemps.

Plusieurs semaines passèrent ainsi. Puis, la session fut sur le point de se terminer, et la saison d’Extellar approcha. La neige fondit, et les nuages omniprésents de la saison des nuées laissèrent place au bleu éclatant d’un ciel sans fioritures.

Elle avait fini par se dire que sa connaissance du pavi devait n’être qu’un détail aux yeux des puissants; Des incompétents comme Etius Gin recevaient l’Onction, et elle, elle était condamnée à errer au seuil du Séminaire jusqu’à la fin de sa vie.

La réalité était bien plus terrifiante. La nouvelle avait ébranlé les cinq dynasties. Une enfant qui connaissait tous les alphabets intimes, et qui lisait le pavi comme si ç’avait été une écriture banale; Une prodige investie des secrets de chaque famille, sans qu’aucune ne lui en ait révélé un seul. Les Féléis étaient pointés du doigt: C’était du Nord, qu’elle était originaire, la petite démone; Les Sahis étaient critiqué pour leur inaction face à la menace, et les autres manigançaient pour tenter de lui extorquer les lettres claniques qu’elle avait apprise par “déduction”. Elle avait surgie de nulle part, et certains auraient bien voulu qu’elle retourne d'où elle était venue.

Les lettres claniques étaient des trésors inestimables, sans lesquels il était impossible de bien comprendre la Musique. Ceux qui les connaissaient toutes étaient appelés des “apôtres”; Mais ils les avaient apprises après de longs vertiges de labeur, en rendant service à chacune des cinq familles, travaillant dur pour gagner la confiance de chaque clan. Et une gamine prétendait les avoir apprises par déduction!

Nombreux furent les maestros débutants qui demandèrent l’autorisation d’aller la chercher pendant l’une des sessions du matin. Si elle connaissait les lettres, alors, elle pourrait leur apprendre... La plus insistante d’entre toutes fut Téléma Féléis; L’ambitieuse tenait absolument à ce que Lymfan devienne son apprentie, et elle tenta de la prendre sous son aile pendant une très longue période. Pourtant, c’est bien dans les plus hautes sphères de l’Eglise que le cas de Lymfan finit par se jouer.

Ignorante du fait que son irruption dans la ville avait fait tant de vacarmes, elle s’enlisait dans le silence de sa routine. C’est un des matins où elle admirait la mer sur ce quai que les échos finirent par lui parvenir.

“Alors, c’est toi, Lymfan.”

La jeune fille se retourna, et reconnut instantanément la personne qui lui avait parlé: C’était Leïa Gin, l’électrice d’Indor. Une femme immense, coiffée comme un homme, aux mains épaisse et aux lèvres éternellement pincée; une maestria de renom, considérée comme la femme la plus puissante du Suprêmat.

Le jour du passage de l’Autre Lune, elle avait été la grande muette; La ville l’avait ignorée, alors elle avait ignoré la ville. Tous les électeurs avaient parlé face à la foule, babillant discours saint et révérations de la Chimère; Tous, sauf elle. Lymfan l’avait vue refuser de monter sur l’estrade, sous les huées silencieuses de la cité de l’aube. Comprenant vite qu’elle avait affaire à une noble, la jeune fille se releva, et s’inclina religieusement.

“C’est un honneur, Votre Majesté.

  • Appelle-moi “maître”, ordonna Leïa. C’est amusant, que tu te promènes ici…” Elle se tourna vers la mer. “Tu savais qu’autrefois, la ville continuait au-delà de ce quai? La majorité des habitants vivaient dans cette partie de la cité, et elle a tout bonnement disparu.
  • … Qu’est ce qu’il s’est passé?... Maître!
  • Le Fléau l' annihilée, déclara Leïa sans émotion. C’était il y a bientôt deux siècles… On raconte que la ville n’a jamais retrouvé sa gloire d’antan… Elle fit une pause, et regarda Lymfan de haut en bas. On m'a dit que tu savais lire le pavi.
  • Ou.. Oui, maître. Je l’ai…
  • Apprise toute seule, d’après la rumeur.

Lymfan rougit, et hocha la tête. L’Avalionne fut étonnée de la modestie de la petite. Elle continua.

  • Le titre de maestro se transmet uniquement dans les cinq familles. C’est stupide, n’est-ce pas? La maîtrise du pavi est la plus importante des compétences du maestro; et pourtant, c’est une chose aussi triviale que le sang, qui définit la capacité d’un être à accéder à ce rang. Sais-tu pourquoi?
  • … Non, maître, mais je trouve ça très…
  • Injuste? Sans doute, mais il y a une raison. C’est parce que, comme toi, le Fléau ne faisait pas partie des cinq familles.

Lymfan demeura interdite un moment. Pourquoi l’Avalionne lui disait-elle ces choses? Instinctivement, elle ressenti l’urgence de se différencier du mal incarné qu’était le Fléau, alors, elle répliqua:

  • Mais, depuis, les maestros ont bien adopté des gens du peuple, n’est ce pas? A Oïa, il y avait Solar Féléis, qui…
  • Solar Féléis est un bâtard, Lymfan. Sais-tu ce que cela signifie, d’être un bâtard?

Elle hocha la tête honteusement. Le silence semblait s’éterniser, aussi Leïa continua-t-elle:

  • … On dit que tu as rencontré mon frère. Qu’est ce que tu as pensé de lui?
  • Et bien, je dirais qu’il a l’air un peu médiocre, mais gentil.

Leïa sourit alors de toutes ses dents.

  • Tu es plutôt du genre franche. Son sourire disparut aussitôt. Ça ne t'aidera pas, si tu veux devenir mon héritière.

Elle lui tourna le dos, et partit en direction des pentes. Lymfan la regarda s’éloigner sans comprendre. L'apôtre s’arrêta, et se retourna vers elle en lui lançant un regard pressant.

  • Alors? Tu me suis?

Lymfan s'exécuta. Son cœur battait la chamade; était-il possible que…? Elles se mirent à gravir les pentes ensemble. Leïa marchait si vite que Lymfan était obligée de trotter pour rester à ses côtés.

  • Tu viens d’Oïa, n’est ce pas…?
  • Oui, maître.
  • Je vois… Dis-moi, Lymfan. As-tu déjà eu le moindre lien avec les Féléis…?
  • Et ben… Ma mère nettoyait le linge de l’électeur…

Leïa sembla réfléchir un instant aux implications que suggérait cette phrase. Se pourrait-il que cette gamine…?

  • Et que fait ta mère, maintenant?

Lymfan resta silencieuse. Face à cette discrétion, l'apôtre ne préféra pas insister pour le moment. Après tout, le passé de la petite ne l’intéressait pas du tout. Seul son avenir lui importait.

  • Je ne suis pas sûre de bien comprendre, maître. Vous avez décidé de me…?
  • Prendre comme apprentie.
  • Mais… Vous avez dit que le Fléau était comme moi…

Leïa s’arrêta.

  • Le Fléau a disparu bien avant ma naissance. Ce diable est quelque part, ça ne fait aucun doute, mais quel que soit la civilisation qu’il dévaste, ce n’est plus notre problème. Aujourd’hui, le véritable fléau qui menace notre pays, c’est la faiblesse de mes frères. Tu vas m’aider à secouer l’un d’entre eux… Si tu t’y prends bien, que tu me rends fière de toi, je te promets que je t’offrirai un avenir bien plus radieux que tout ce que tu es en droit d'espérer. Tu ne seras peut-être que régente, puisque ton sang reste… impur… Mais, tu vivras confortablement, et si tu es docile, je te ferai même recevoir l’Onction. Pour ça, il va falloir que tu m’en dises plus, sur toi….

Lymfan se tut à nouveau. Son maître haussa un sourcil. Finalement, le passé de la petite avait l’air plus intriguant que prévu. Elle haussa les épaules. Après tout, elles venaient à peine de se rencontrer: Il était inutile d’être trop envahissante…

Leïa garda le silence. Comme Lymfan n’osait pas le briser, il dura jusqu’à ce qu’elles arrivent à destination. La jeune fille avait du mal à croire ce qui était en train de se passer. L’Avalionne elle-même! Qui venait la chercher dans son coin secret, et qui lui demandait de la suivre! Elle remerciait la Chimère en silence, en baissant la tête dans une attitude religieuse. Elle pensait qu’elle avait de la chance, sans se douter qu'elle maudirait ce jour jusqu'à la fin de sa vie.

Au début, Lymfan pensait qu’elles se dirigeaient vers le Séminaire. Quand elles arrivèrent dans les hauteurs de la ville, Leïa tourna alors vers une rue que Lymfan n’avait jamais prise auparavant. Quelques instant plus tard,elles se retrouvèrent face au Kymérion, le splendide palais des Avalions.

C’était un véritable chef d'œuvre de verre bleu, qui semblait avoir été taillé dans un morceau de mer. On ne pouvait le voir que depuis les plus beaux quartiers de la ville - Il avait quelque chose de mystique, là, juché sur cette île blanche détachée de la ville, scintillant près des vagues, vivant de reflets et d’arêtes. Ses hautes tours aigus semblaient se mêler au bleu des voûtes, et la plus haute d’entre elles retenait une immense flamme rouge.

On ne pouvait accéder au palais bleu qu’en passant par le pont d’Eden. C’était un autre édifice majestueux, un de plus dans la ville, qui se présentait sous la forme d’une immense passerelle de verre blanc, qui terminait sur un escalier de marbre bleu, et descendait jusqu’au niveau du Kymérion. Lymfan dut presque dévaler ces escaliers quatre à quatre, pour rester au niveau de la reine-électrice.

Avant d’entrer dans le palais, Leïa s’arrêta brusquement. Elle marchait devant Lymfan, et celle-ci la heurta avec autant de violence que si elle avait été un mur. L'apôtre se retourna lentement, et regarda la petite fille dans les yeux.

“Pourquoi veux-tu devenir maestria?

  • Je deviendrais apôtre, maître.

Leïa sourit.

  • ça ne fait aucun doute. Mais, tu ne réponds pas à ma question.

Lymfan baissa les yeux. Elle prit une longue inspiration, et répondit:

  • Pour servir la Chimère. Pour protéger les miens de la menace que représentent les désignés.
  • Ha. Haha. Je ne te pensais pas si croyante. Maintenant dis moi; Quelle est ta véritable motivation? Pourquoi veux-tu devenir apôtre, Lymfan, fille de Selir? Est ce le pouvoir ? La gloire? Ou bien est-ce l'appât du gain, qui t’as mise sur cette voie?
  • … J’ai grandi très près du Fantasme, Maître. J’étais dans la foule, le jour de la Percée.

Le visage impassible de Leïa Gin fut soudain traversé d’une émotion violente, comme si un souvenir terrible venait de traverser son esprit. Pour la première fois, elle eut l’air vraiment vieille.

  • Que la Chimère nous garde de revivre un jour une chose pareille. Très bien. Avant d’entrer dans le palais, il faut que tu saches une chose: Il est vivant.
  • … “il” est vivant? répéta Lymfan après un silence.
  • Le palais, précisa Leïa. Le Kymérion n’est pas gardé: Il n’en a pas besoin. Ce n’est pas un bâtiment comme les autres… Si tu entres ici, ce sera en temps qu’apprentie de l’Avalionne: par conséquent, le Kymérion se souviendra de toi, et ne te rejettera pas. Comprend bien qu’il s’agit là d’une relation qui vous unit tous les deux, et sur laquelle je n’aurai que très peu d’impact... S’il arrivait qu’il te juge indigne de moi, le Kymérion pourrait bien se venger, même si tu n’es pas à l’intérieur de ses murs. Par conséquent, tu dois comprendre une chose: me suivre ici, c’est abandonner à tout jamais le privilège d’être une laïque. Dès que tu passeras cette porte, ton corps et ta vie appartiendront à l’Eglise de Gabriel, et ta seule loi sera celle de l’Orchestre. Il n’y a pas de retour en arrière envisageable…

Elle se tut, et Lymfan crut qu’elle allait continuer à parler. Pourtant, son maître se retourna sans plus de cérémonie, et entra dans le palais. Le “privilège” d’être une laïque?... Après un court silence et un regard méprisant vers la ville, la jeune fille lui emboîta le pas sans la moindre hésitation.

Notes du Registre

Le Registre admet qu’il n’a pas encore trouvé Dieu. Toutefois, le Registre connaît le Diable. Plusieurs noms lui ont été attribués: Le Fléau, Tio, le Païen… Sa légende n'a que deux cents vertiges*, mais a déjà affecté toutes les civilisations du monde. Dans le monde entier, son évocation est synonyme de juron ou de malédiction, et personne ne sait s’il est encore vivant.

* Remarque: environ 167 années, dans le calendrier impérial.

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