Chapitre Neuf
Le soir, je partageais avec Ornélia mon tube de soin solaire. Elle m'apprit qu'ils ne s'exposaient que très rarement au soleil, préférant le couvert des arbres. Ceux qui faisaient le voyage jusqu'au village de pêcheurs dont elle m'avait parlé se protégeaient avec des chapeaux et des capes, et faisaient une cure de tomates et de carottes avant une trop longue exposition. Manger des légumes pour éviter les coups de soleil, quelle idée.
Ornélia avait si peu l'habitude de profiter du soleil qu'elle avait la peau écarlate, et je lui promis qu'en appliquant mon soin, elle aurait un joli teint caramel demain. Elle ignorait ce qu'était du caramel, mais l'apaisement que lui procurait ma crème suffit à la rassurer. Elle me raccompagna à ma chambre sitôt le dîner avalé -uniquement des légumes, cette fois- et je me retrouvais seule à nouveau. Je ne lui demandais pas de rester dormir avec moi. J'étais moins angoissée. Cette lumière que j'avais aperçue, j'étais persuadée que c'était celle d'une ville-dôme. Probablement le reflet sur un capteur solaire. J'avais bien l'intention d'y retourner le lendemain, et j'étais certaine que je pourrais enfin rentrer chez moi. Je m'endormis avec cette pensée.
****
Lorsque je rouvris les yeux, il faisait encore nuit. Il n'y avait pratiquement pas de bruit, à part quelques pépiements d'oiseaux de temps en temps, et un tapotement régulier, mais très léger. Je guettais, à la recherche de ce qui m'avait réveillée. L'air était humide, mais je sentais comme une différence. C'était plus lourd, plus épais. Mon t-shirt me collait à la peau. Je me levais pour écarter la toile qui me servait de porte.
Le village était calme, et partiellement plongé dans l'obscurité. Seules quelques lampes éclairaient les arbres. Je tendis l'oreille, au moment où un grondement lointain retentissait. En me penchant, je reçus une goutte d'eau sur la joue. Quand je levais les yeux, je ne voyais que des feuilles, un feuillage si dense que le ciel n'était même pas visible. Pourtant, les étoiles devaient se voir, sans la surface d'un dôme et les lumières de la ville pour les dissimuler. J'étais réveillée, de toutes manières, alors en profiter.
J'enfilais mes bottes et descendis échelles et ponts de cordes en courant. Je me souvenais du chemin menant vers l'étendue de sable, vers l'amas de roches au milieu duquel Orlan voulait planter des légumes. A mesure que je m'en approchais, le grondement devint plus fort, le tapotement également. Je trottinais vers l'orée de la forêt, avant de comprendre : il pleuvait.
J'avais déjà entendue la pluie tomber, sur des enregistrements, pendant les classes de découverte de la nature. En revanche, je n'avais jamais vu la pluie tomber. Je n'avais jamais sentie les gouttes s'écraser sur ma peau.
J'accélérais et dépassais la bordure de la forêt jusqu'à déboucher sur le sable mouillé. Je marchais sur quelques mètres, laissant les arbres derrière moi. Sans l'abri des feuilles, je me retrouvais instantanément trempée. Je lâchais une exclamation, à mi-chemin entre la surprise et le ravissement. La pluie tombait fort, elle était presque tiède. Un puissant flash lumineux éclaira les environs en m'éblouissant. J'eus le temps d'apercevoir un entrelacs de traits blancs déchirer le ciel, comme des fissures. L'obscurité retomba. Il y eut un claquement, suivi d'un formidable grondement. J'avais l'impression que la terre tremblait, je sentais le grondement jusqu'au fond de ma poitrine. C'était effrayant. C'était beau. Je tendis les mains vers le ciel, et riais.
« Qu'est ce que tu fais ? »
Orlan me fixait avec incrédulité et fureur. Ses cheveux étaient plaqués sur son font à cause de la pluie. Il n'était pas content du tout.
« Est-ce que tu es folle ? »
Il me criait dessus.
« C'est la première fois que je vois un orage. » Je hurlais à mon tour pour me faire entendre.
« C'est dangereux ! Retournes dans la forêt ! » Il tendit un doigt vers les arbres. « Tout de suite ! »
Un nouvel éclair illumina le ciel, suivit de près par un grondement. Orlan leva un regard inquiet vers les nuages noirs.
« C'est juste un orage. C'est beau ! »
Orlan hurla de plus belle : « Non ! C'est dangereux ! Rentre ! »
Ses paroles furent interrompues par un nouveau flash de lumière, à la différence que cette fois, l'éclair fonça droit vers le sol, à quelques mètres de nous, pour exploser en une gerbe d'étincelles. Des flammes léchèrent le sable avant de s'éteindre avec la pluie battante. Je restais bouche-bée. Un nouvel éclair fendit les cieux pour exploser à un mètre de moi, et je lâchais un cri. Orlan m'intima aussitôt de le suivre, ce que je fis sans attendre. Un troisième éclair explosa à l'endroit où je me trouvais.
Orlan me conduisit vers un tas de rochers et se faufila dans un trou pratiquement indétectable. Je m'y glissais à mon tour. Une fois à l'abri, j'entendis une dernière explosion, mais nous nous enfoncions dans la grotte et le son de la pluie devint diffus. J'avançais à tâtons, les mains tendues devant moi. J'entendais plus que je ne voyais Orlan avancer, sans hésitation. Il y eut un crissement, et une lueur apparut, jusqu'à éclairer complètement la grotte. Orlan l'avait aménagé. C'était très sommaire, une fois de plus : un matelas, quelques couvertures, une lampe, quelques vêtements.
« C'est cosy. » risquais-je en reprenant mon souffle.
Il me fusilla du regard : « Qu'est-ce que tu fichais dehors ? En plein orage ! Tu es stupide ? »
Je haussais les sourcils. D'un geste impatient il se détourna et attrapa une serviette.
« Je ne pouvais pas savoir...
- Les orages sont dangereux. Tout me monde sait ça. La foudre frappe tout ce qui n'est pas à l'abri. Tu aurais pu être foudroyée !
- Je ne savais pas ! C'est la première fois que je vois un orage ! » criais-je à mon tour. Il me jeta un coup d'œil exaspéré et éberlué, presque incrédule. « Il ne pleut pas, chez moi. Je n'avais jamais vu d'orage. » ajoutais-je moins fort.
Pendant que j'essorais mon t-shirt du mieux que je pouvais, Orlan me fixait sans rien dire. Il finit par me tendre une serviette. Je lui tournais le dos pour enlever mon t-shirt et me sécher, et au bout d'un moment, il me eta des vêtements, un pantalon et une tunique. J'aurais pu m'offusquer, mais quand je lui jetais un coup d'œil, je m'aperçus qu'il s'était reculé jusqu'au fond de la grotte, le nez presque collé à la paroi. Je me déshabillais complètement, et une fois séchée, j'enfilais sa tunique et le pantalon. Et ensembles, nous attendîmes que l'orage se termine.
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