Chapitre Dix
Je prenais place sur une couverture, et il s'installa aussi loin que possible.
« Est-ce que tous les orages sont comme ça ? »
Orlan garda le regard fixé devant lui, mais il finit par me répondre : « Tous les orages sont dangereux. C'est pour cette raison que nous ne sortons pas du couvert des arbres, normalement. » Il appuya ses paroles d'un regard entendu. « Mais ils sont nécessaires. Ils apportent de l'eau à la terre, et aux arbres. »
Il parlait sur un ton paisible, comme si nous n'avions pas été sur le point de nous faire foudroyer quelques instants plus tôt. Au bout d'un moment, il me demanda : « C'est vraiment la première fois que tu vois un orage ? » Il me jeta un nouveau coup d'œil.
« Nous n'en avons jamais, là où je vis. Je sais qu'autrefois, il y avait de formidables tempêtes, avec des vents qui soufflaient si forts, que les arbres étaient arrachés du sol. »
Orlan buvait mes paroles.
« Mais aujourd'hui, la pluie ne tombe plus. C'est parce qu'il n'y a plus de nuages. C'est la première fois que je vois de la pluie. » Je souriais. « C'est beau. »
Orlan hocha la tête : « Je sais. »
Je me rendis compte à quel point il devait être habitué à des choses que je ne connaissais pas. Je pensais à l'océan, par exemple. Peut-être même à la neige. Le réchauffement de la planète avait entraîné la disparition totale des chutes de neige, mais j'avais vu de vieilles photos de paysages enneigés. D'après les livres, c'était blanc, et très froid. S'ils avaient des arbres et des orages, ils devaient avoir de la neige.
Au moment où je m'apprêtais à poser la question à Orlan, il me prit de court : « Comment est-ce que c'est, l'endroit d'où tu viens ? »
Il avait beau s'obstiner à ne pas me regarder, ses yeux brillaient de curiosité. Je réfléchis à sa question.
« C'est beau, mais d'une façon différente. Nous n'avons pas de pluie. Nous ne pouvons pas rester au soleil. Ses rayons sont devenus trop forts, ils sont filtrés par les dômes qui recouvrent nos villes. Si tu marchais en dehors du dôme à certaines heures de la journée, tu serais brûlé. »
Orlan me regardait franchement cette fois-ci, sans hésitation et sans chercher à détourner le regard. Cela me faisait plaisir de constater que la curiosité l'emportait sur l'hostilité qu'il semblait éprouver me concernant. Je ne savais toujours pas pourquoi il ne m'aimait pas, mais au moins il ne m'ignorait plus.
« Tu sais, nous n'avons pas d'arbres non plus. » ajoutais-je afin de maintenir son intérêt éveillé. Je n'avais pas envie qu'il se détourne pour bouder une nouvelle fois. Mais à ces mots, son visage s'assombrit. Il n'avait pas l'air ravi par cette révélation.
« Je sais. Je t'ai vue quand Ornélia t'a fait visiter. Tu regardais les arbres. J'ai compris que tu venais d'un endroit où il n'y en a pas. » Il fronçait les sourcils. « Pas d'arbres, pas d'orages, pas de soleil. Qu'est-ce qu'il vous reste ? »
J'ouvrais la bouche pour répondre, mais ne trouvais rien à dire. Ce qu'il nous restait ? Je pourrais citer l'eau courante, pour commencer. L'électricité, l'énergie. La technologie. J'avais toujours été particulièrement fière de la société dans laquelle j'étais née, et cela me vexait de voir que, sous prétexte que nous n'avions pas de stupides arbres, nous étions inférieurs. Je pinçais les lèvres.
« Tes précieux arbres ne vous rendent pas supérieurs. Quand les secours arriveront, que se passera-t-il ? Nous manquons tellement de ressources naturelles que tes arbres, que tu aimes tant, seront rasés ! »
Je savais que c'était cruel, mais c'était la vérité. Le gouvernement ne se ferait certes pas prier en voyant une telle mine d'or.
Pourtant, ces menaces semblaient n'avoir aucun effet sur Orlan, qui s'appuya contre la roche, les jambes croisées devant lui. Agacée, j'insistais : « Tu as entendu ? Ton village disparaîtra ! Et de tes arbres... il ne restera que de la poussière ! »
Mes mots sonnaient de façon plus théâtrale que je ne l'aurais souhaité, et je me sentais un peu ridicule. Mais c'est à peine s'il réagit.
« Ça n'arrivera pas. » affirma-t-il avec assurance.
Ce fut à mon tour de le fusiller du regard, mais il m'ignora à nouveau, alors je croisais les bras. Et je boudais.
Le temps passa, lentement, avec pour seul bruit de fond l'averse, à peine perceptible. Orlan avait les yeux fermés, mais je ne pensais pas qu'il dormait. J'envisageais un moment de relancer la conversation, mais y renonçais en songeant avec quelle certitude il avait affirmé que son précieux village serait en sécurité. S'il savait à quel point il se trompait.
Nous savions tous pour quelles raisons notre planète était devenue si aride. A force de consommer, l'homme avait fini par épuiser les ressources naturelles. Les forêts avaient été rasées, la pollution avait entraîné un réchauffement climatique qui avait tout d'abord augmenté le niveau des océans, avant de tellement les polluer qu'ils avaient fini par s'assécher. Leur village avait beau avoir échappé à tout cela, une fois que les secours poseraient le pied au milieu des arbres, le gouvernement saurait qu'il restait un endroit inexploré, et fertile. Je pouvais déjà prédire ce qui allait arriver. Les arbres seraient rasés, et le bois redistribué aux plus offrants : des compagnies d'ameublement qui fabriqueraient des meubles hors de prix, ou des particuliers fortunés qui pourraient se vanter d'avoir du bois dans leur collection. Ensuite, le sol serait utilisé pour des cultures. Nous avions les connaissances théoriques pour reprendre l'agriculture et même l'élevage, il ne nous manquait que des terres fertiles.
Orlan se moquait de tout cela. Il était bien trop occupé à m'envoyer son dédain en pleine figure. J'aurais aimé l'accabler de funestes présages, mais je finis par me rendormir, le dos contre la roche, bercée par le son de la pluie.
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