Chapitre Onze
J'avais mal partout en me réveillant, et je me sentais perdue. Il faisait très sombre, parce qu'évidemment, en sortant de la grotte, Orlan n'avait pas jugé utile de laisser la lampe allumée. Je m'étirais en ronchonnant. Un trait de lumière dessinait un motif sur le sol rocheux, et je me faufilais à l'extérieur, percluse de douleurs. Le soleil m'éblouit, mais je l'accueillais avec soulagement. Il faisait frais, et le sable était encore humide. Je suivis les traces qu'Orlan avait laissé en quittant la grotte. Il se tenait debout, près de la cuve en pierre de son potager. Elle était remplie d'une eau claire. Il s'arrosait le visage avec un plaisir manifeste.
« Bonjour. »
En me voyant, son visage s'assombrit. Encore ! Je serrais les dents, alors qu'il se détournait.
« Elle est potable ? »
Orlan me gratifia d'un regard méprisant : « Bien sûr. L'eau de pluie est propre. »
Évidemment, suis-je bête. J'étais trop fatiguée pour lui dire ma façon de penser sur son attitude, et j'avais besoin de me rincer la bouche.
L'eau était fraîche, avec un léger goût qui restait sur la langue. Tout en me débarbouillant sommairement, je regardais Orlan qui s'assurait que son installation avait résisté à l'orage. La toile tendue au dessus du carré de terre avait protégé l'ensemble. Je profitais de son air satisfait pour lui suggérer de faire couler l'eau, maintenant que la cuve était pleine. Il réfléchit un moment, puis haussa les épaules et dévissa prudemment le bouchon. Un mince filet d'eau s'écoula. Nos regards se portèrent aussitôt sur les tuyaux fixés au dessus des carrés de terre. Et tout fut arrosé, comme prévu.
J'ignorais si c'était la fatigue, ou la fierté d'avoir imaginé cette installation, mais je bondis de joie en poussant une exclamation. Orlan lâcha un cri ravi, ce qui me surprit. Mais ce fut lui le plus stupéfait lorsque, emportée par mon enthousiasme, je me jetais contre son torse pour le serrer dans mes bras. Sa réaction fut immédiate, et violente. Il me repoussa brutalement, toute traces d'allégresse ayant disparue de son visage. Il arborait un masque d'horreur. C'était moi qui le dégoûtait, qui le révulsait, je le voyais dans ses yeux.
« Est-ce que tu es folle ?! »
J'avais perdu l'équilibre quand il m'avait poussé, et j'étais au sol. Il me toisait sans dissimuler sa répulsion.
« Moi, je suis folle ? » Je murmurais. « Tu me jettes par terre, et c'est moi qui suis folle ? » Je me relevais en le fusillant du regard, incrédule devant une telle réaction.
« Tu n'avais qu'à pas me toucher. » me cracha-t-il au visage, et je sentis que je perdais patience. Qu'il ne m'apprécie pas, c'était une chose. Mais il allait un peu loin.
Je lui hurlais dessus, incapable de me maîtriser. J'étais fatiguée, j'avais mal au dos, et j'en avais assez qu'il me traite comme une lépreuse. « Ce n'était qu'une accolade ! Fais toi soigner, espèce de malade ! » Et je le plantais là, furieuse.
Je courus jusqu'à me retrouver sous les arbres, et ne m'arrêtais pas lorsque je croisais des villageois intrigués, et curieux. De toutes façons, je savais qu'ils me trouvaient étrange, avec mes vêtements, mon ignorance, mes habitudes alimentaires. Je courus jusqu'à déboucher dans les sources chaudes, et j'aspirais une bouffée d'air moite. La colère s'estompait peu à peu, mais je restais incrédule devant le comportement d'Orlan. Incrédule, et blessée. Je me sentais vexée.
Je m'obligeais à me déshabiller et me plongeais entièrement dans l'eau chaude, malgré ma course dans les bois qui m'avait fait transpirer. L'eau chaude m'enveloppa et mes muscles endoloris se détendirent imperceptiblement. Je soupirais, et tentais une nouvelle fois de faire le point sur ma situation. Le dirigeable à bord duquel je me trouvais s'était écrasé, et à ma connaissance, j'étais la seule survivante. J'ignorais tout de l'endroit où je me trouvais, et pour ce que j'en savais, ce pouvait être dans un coin du globe encore inexploré, pour une raison qui m'échappait encore. Je ne savais pas quand les secours viendraient me chercher, et je me refusais à formuler cette pensée : s'ils venaient...
« Diana ? »
La voix d'Ornélia me fit lever les yeux. Elle était nue, un pied dans l'eau, un savon à la main, et me dévisageait avec curiosité -encore. Derrière elle se tenaient deux blondes, deux sœurs. L'une me contemplait sans broncher, la seconde me souriait timidement. Je notais cependant qu'elles restaient loin de moi et se baignaient à l'extrémité du bassin. Ornélia me rejoignit sans hésiter et me tendit son savon. Je détestais le savon qu'ils utilisaient. Il sentait les plantes, et n'avait pas l'air très conseillé pour les peaux sèches. Comme je m'étais précipité dans l'eau sans réfléchir, je n'avais pas mon nécessaire de toilettes avec moi. J'attrapais donc son savon et me frottais les cheveux avec, tout en regrettant mon shampoing révélateur d'éclat.
« J'ai une question. » Je ne lui laissai pas le temps de me demander ce que je faisais là, et encore moins comment j'allais.
Elle me jeta un coup d'œil et s'enfonça dans l'eau jusqu'au menton, les cheveux flottants autour d'elle.
« C'est au sujet d'Orlan. » ajoutais-je. Elle sembla soulagée et se redressa, l'air attentif, et je poursuivis : « Pourquoi il n'aime pas que je le touche ? »
Un petit cri étouffé me fit tourner la tête en direction des deux sœurs, qui me jetaient un regard consterné. Sans demander leur reste, elles sortirent du bassin pour se sécher. Apparemment, c'était un sujet épineux.
« Tu as essayé de toucher Orlan ? Tu l'as touché ? » me demanda Ornélia d'une voix blanche.
Pourquoi cela semblait-il si grave, que je touche son frère ? Je n'étais pas malade. Je n'étais pas contagieuse, je n'allais pas le contaminer ou je ne sais quoi. A moins que... et si c'était lui, le malade ? Il avait l'air en bonne santé, mais pour ce que j'en savais...
« Non. » hasardais-je en observant la réaction d'Ornélia.
Elle lâcha un soupir de soulagement.
« Est-ce qu'il est malade ? » demandais-je. Je m'imaginais les pires scénarios : un virus mortel qui le privait de tout contact humain, sous peine de tuer la personne qui le touchaient. C'était bien le genre de choses qu'on pouvait trouver dans un endroit pareil. Malgré l'eau chaude, je frissonnais.
« Il n'est pas malade. » me rassura Ornélia. Alors il était juste un peu secoué ? « Seulement, ça ne se fait pas de se toucher. »
Très bien. Alors on en était là. J'étais perdue au beau milieu d'une forêt, avec des gens qui vivaient dans les arbres, et qui ne se touchaient pas. Avais-je affaire à sous-branche des mormons ?
« Tu ne pouvais pas le savoir, évidemment. Ce n'est pas grave. » Ornélia m'offrit un sourire, que je lui rendis faiblement.
Cela expliquait l'obstination de leur médecin à ne pas me toucher. Les hommes et les femmes de cette communauté devaient être interdits de contacts entre eux, probablement jusqu'au mariage. D'ailleurs, se mariaient-ils ?
Nous ne parlèrent plus de contacts, et je passais la journée avec Ornélia à trier les objets qu'ils découvraient de temps en temps. Tout me laissait penser qu'il avait dû y avoir d'autres crashs, avant le mien. C'était curieux, je ne me souvenais pas en avoir entendu parler aux informations. C'était peut-être bon signe.
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