Chapitre Douze
Orlan ne se montra pas de la journée, ce qui me convenait parfaitement. Je n'avais toujours pas digéré sa réaction démesurée, et j'avais pourtant conscience que je devais lui présenter des excuses. Ces gens avaient des coutumes, et même si cela me déplaisait fortement d'être coincée dans cet endroit, ils m'avaient sauvé la vie, et ils me laissaient rester avec eux en attendant que les secours arrivent. Même si leurs traditions me semblaient parfaitement ridicules, j'avais l'impression que je devais les respecter.
J'espérais croiser Orlan au dîner, mais il fut absent.
Ornélia haussa les épaules quand je lui en fis part : « Il doit être dans sa chambre. Parfois, il fait son solitaire. Trop bizarre. » Et elle leva les yeux au ciel.
Je pouvais le comprendre, toutefois. Toute cette foule, c'était étourdissant. Le nombre d'habitants dans les villes-dômes étant strictement contrôlé, il était rare que nous nous retrouvions à être trop nombreux au même endroit, excepté pendant les fêtes. Je n'aimais pas trop cette proximité, et pourtant, je n'étais pas réfractaire au contact humain, moi. Je pris le temps de jeter un regard autour de moi. Hommes et femmes étaient tous assis les uns à côté des autres, pourtant, une certaine distance les séparait, quel que soit leur âge. Les adultes ne se touchaient pas, les enfants jouaient ensembles, mais sans se toucher, l'écart étant toujours très marqué. C'était étrange, et en quelque sorte... dérangeant. Subitement, je fus mal à l'aise. Je me rapprochais d'Ornélia, jusqu'à ce que la peau de ma cuisse touche la sienne, mais ce n'était pas suffisant. Je me levais d'un coup.
« Diana ? Est-ce que tout va bien ? »
Ornélia avait l'air inquiète.
« Je suis fatiguée. Je vais dîner dans ma chambre, et me coucher. » Et je remplis mon assiette au hasard avant de fuir cette foule d'inconnus.
Par un formidable hasard, je grimpais à la bonne échelle du premier coup, et me retrouvais sur l'escalier qui menait à la chambre que j'occupais. C'était du moins ce que je comptais faire, mais je m'aperçus que je m'étais arrêtée devant la chambre d'Orlan. L'ouverture était dissimulée par un morceau de tissu, ce semblant de porte qui ne me donnait absolument pas l'impression d'avoir de l'intimité. Comment étais-je sensée signaler ma présence, si je ne pouvais pas toquer ? Je regrettais les visiophones de mon immeuble. Je fis rebondir mon doigt replié contre le bois, en me disant que si Orlan ne se montrait pas au bout de trois, je grimpais jusqu'à ma chambre. Un, deux...
« Qu'est-ce que tu veux ? » L'accueil d'Orlan était à l'image du personnage : grossier, froid, inhospitalier. Et si je lui jetais mes boulettes de viande à la figure ?
« Je suis venue m'excuser. Pour ce matin. » Je me mordais la langue. Je savais qu'il méritait des excuses, mais il me semblait être en droit d'attendre qu'il me présente les siennes également. Il me dévisagea un moment sans rien dire, puis finit par s'effacer pour me laisser passer. C'était très aimable de sa part, et je fis abstraction du soupir qu'il lâcha.
Sa chambre était comme à mon réveil, sobre, utile, sans ornements. Bien différente de celle d'Ornélia, avec ses fleurs et ses affaires qui traînaient partout. Orlan s'était installé à même le sol pour dîner ; décidément, ces gens n'avaient aucun savoir-vivre. Le simple fait de m'asseoir à une table pour manger me manquait plus que je ne l'aurais cru.
Je remarquais un livre ouvert, posé à côté de son assiette.
« Tu lis ? » Il haussa un sourcil dans ma direction, et je rougis. « Je veux dire, il m'avait semblé... je ne savais pas que... je n'ai vu aucun livre, jusqu'à présent, alors je croyais... » Orlan me fixait, impitoyable, alors que je m'embrouillais et finissais par me taire.
« Nous sommes très peu à savoir lire. » m'expliqua-t-il finalement. « Un jour, un homme est venu. Il avait tout un tas de livres. Il m'a appris à lire. C'est dans les livres que nous trouvons le savoir. Nous avons appris beaucoup de choses sur les cultures, sur la construction.. » Il haussa les épaules.
Je m'agenouillais à côté des reliefs de son repas et attrapais son livre. Il était écrit dans une langue que je ne connaissais pas, et surtout, c'était un livre en papier, et non pas une projection ou un écran tactile. C'était la première fois que j'en tenais un entre mes mains. Je tournais une des pages.
« De quoi est-ce que ça parle ? »
Orlan ne répondit pas immédiatement. Il me dévisageait, mais détourna les yeux quand je levais les miens.
« D'un monde dans lequel les individus sont rangés par classe. Il y a cette femme, qui fait partie des personnes les plus belles, et un homme, qui, lui, est un être inférieur. »
Je hochais la tête.
- « Aldous Huxley. Je l'ai lu. Il y a un garçon, si ma mémoire est bonne, qui finit par ne pas supporter que la femme le touche. Comme toi. »
Orlan ne disait rien.
- « Je suis désolée. Je ne savais pas qu'il était interdit de se toucher. Je trouve ça ridicule, mais je ne le ferais plus. »
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