Orlan

Je ne serais pas assez rapide. Je le sus au moment où je m'élançais dans les escaliers, mon globe de lumière éclairant le chemin. Diana était déjà deux étages plus bas et elle s'éloignait de plus en plus, sans se soucier de l'obscurité. Lorsque je quittais l'arbre de pierre qu'elle appelait immeuble, elle était déjà loin et je ne la distinguais pas.

Je grimaçais. Cet endroit était dangereux.

« Je suis désolé pour ton amie. »

Samuel se plaça à mes côtés, m'adressant le même regard hanté qu'il avait depuis qu'il avait compris qu'il ne pourrait jamais rentrer chez lui. Bien sûr, à l'époque, je ne savais pas de quoi il s'agissait.

Et maintenant, est-ce que je comprenais davantage ?

Samuel était resté parmi nous pendant plusieurs semaines, à attendre que quelqu'un vienne le chercher. Je savais que Serafia fondait de grands espoirs en lui. Elle espérait qu'il finirait par accepter de se reproduire. Samuel était encore jeune et ses cheveux blonds faisaient figure d'exception au milieu de notre village. Elle lui avait présenté plusieurs femmes en âge de porter un enfant, mais elle ignorait quelque chose que Samuel m'avait confié : il avait déjà une famille.

Une famille. Il m'avait expliqué ce mot, que nous ne connaissions pas. Il ne voulait pas s'installer dans notre village. Il voulait rentrer chez lui, comme Diana. Alors Serafia lui avait dit qu'il n'avait pas simplement eu un accident. Il s'était perdu dans un endroit que nul ne connaissait chez lui et que personne ne trouverait jamais. Elle lui avait parlé des autres voyageurs perdus, qui avaient atterris dans notre village, avant ma naissance. Et elle lui avait présenté Nia.

Nia était très vieille, mais elle était comme lui. Elle aussi avait eu un accident. Elle aussi avant attendue des secours qui n'était jamais venus. Puis elle s'était résignée, et avait intégrée notre village.

Samuel n'était pas resté. Nia avait fini par mourir et il n'y avait plus eu de visiteurs, jusqu'à Diana.

Je serrais les poings.

« Tu te caches dans ces ruines depuis longtemps ? demandais-je à Samuel.

- Je ne me cache pas, rectifia-t-il. Je suis retourné à l'endroit où mon avion s'est écrasé, et j'y suis resté quelques jours, avant de trouver cet endroit. » 

Du bras il engloba les ruines, cet endroit que nos règles ont toujours interdit d'approcher. Je comprenais le danger d'un gouffre dissimulé dans l'obscurité, mais pas le danger dont Serafia nous avait tant parlé.

« Je ne comprends pas ce qu'est cet endroit. »

Samuel hocha la tête.

« C'est normal. Le concept de voyage temporel t'est complètement inconnu. Mais tu comprends ce qu'est le passé, ce qu'est le futur ? »

Je hochais la tête. Nous n'accordions pas beaucoup de valeur au passé, à ce qui n'était qu'un souvenir, en revanche nous avions une conscience aiguë du futur, de ce qui n'existait pas encore.

« Diana et moi représentons ton passé. Ton monde est notre futur. »

Je gardais le silence, persuadé qu'il se jouait de moi. Ses paroles se frayaient un chemin dans mon esprit, mais je peinais à y voir la vérité. Et surtout, je ne comprenais pas comment ce pouvait être possible.

« Lorsque nous avons eu cet accident, Diana avec son dirigeable, moi avec mon avion, nous avons franchi une porte. Une porte entre ton passé, et notre avenir. Je vivais ici, il y a des centaines d'années. J'ignore combien, je n'ai trouvé aucune trace de ma vie ici. Et, des siècles plus tard, Diana est née, et a grandie ici. Avant de devenir ton monde, bien avant, c'était le notre. »

Diana disait que ce n'était pas chez elle, ici. Elle n'avait pas tout à fait tort, mais pas tout à fait raison non plus.

Je devais la retrouver.