Chapitre Neuf
Diana
« Tu dois boire. »
Je me retournais. Orlan me tendait une tasse.
J'évitais son regard en me redressant. Je n'aurais pas supporté d'y voir toute la pitié qu'il devait ressentir à mon égard. Un mélange de compassion et d'une compréhension qu'il pensait avoir. Il devait imaginer savoir ce que j'éprouvais. Que pouvait-il comprendre ? Sa famille n'était pas morte. Ni ses amis. Son stupide village avec ces arbres immenses tenait toujours debout. Il n'avait pas foulé les ruines du monde dans lequel il était né.
Moi, oui.
Je me raccrochais à cette parcelle de colère qui je le savais, allait très vite être à nouveau étouffée par ma douleur. La tasse contenait un liquide très fort, une sorte de tisane aux plantes. J'avais le ventre vide à force de vomir mais Orlan ne me laissa pas m'écarter et m'obligea à finir son breuvage.
« Ça te fera du bien. » m'expliqua-t-il avec douceur.
Et le pire c'est qu'il avait sûrement raison. Je n'étais pas consciente lorsqu'il m'avait retrouvée, je ne m'étais réveillée qu'en sentant qu'il appliquait sur mon front une sorte de pâte froide et gluante qui sentait assez mauvais. Il m'avait laissée pleurer, une fois encore, sans rien dire.
J'avais passé plus de temps à sangloter ces dernières heures que durant les dix dernières années. Pleurer ne servait à rien et mon métier ne me permettait pas de me retrouver les yeux gonflés et le visage rougi. Je m'étais toujours sentie capable de tout affronter. Les mauvaises notes à l'école, les ruptures amoureuses. Les disputes avec mes parents, les échecs professionnels. Je ne pleurais jamais, parce que bon sang, ça ne servait à rien.
J'essuyais une larme.
Orlan était capable de rester si silencieux que j'aurais pu oublier sa présence. Il aurait pu sortir et s'en aller, je ne l'aurais pas remarqué. Pourtant il était là, assis contre le mur. Je lui avais demandé de rester, de ne pas me laisser seule et j'étais soulagée qu'il m'ait écoutée. Je ne voulais pas être seule.
Je l'étais déjà suffisamment.
« Tu n'étais pas au courant ? chuchotais-je.
- Je te jure que non, souffla Orlan sans bouger.
- Tu me promets ?
- Je te le jure. » répéta-t-il. Il attendit un moment avant d'ajouter : « Je savais que... personne ne viendrait.
- Personne ne vient jamais, soufflais-je.
- Personne ne vient jamais, confirma Orlan. Mais j'ignorais tout du reste. Je croyais que Samuel était parti vivre ailleurs ou qu'il n'avait pas survécu. Il disait vouloir vivre dans les montagnes, et.. »
Il s'interrompit, ferma les yeux et déglutit.
« Je te jure que je ne savais pas. Je ne comprends pas, je ne comprends toujours pas.
- Moi, je comprends très bien. »
La migraine refluait, moins puissante que les vagues dévastatrices qui m'avaient pliée en deux et m'avaient fait rendre mon repas. Elle battait toujours au même rythme que mon cœur, mais quoi que m'ait fait boire Orlan, c'était efficace. Je me léchais les lèvres. Elles étaient sèches et craquelées. Orlan le remarqua et me tendit une nouvelle tasse, remplie d'eau cette fois. Il me recommanda de boire doucement et je lui obéis. Il parlait doucement, tellement que sa voix couvrait à peine le bruissement de la nature dehors. Il faisait encore nuit noire. Pour me trouver, il avait dû fouiller tout le village de fond en comble. Plus de douze heures avaient dû s'écouler depuis que j'avais fuit la ville-dôme en ruine. Il m'avait cherchée et il m'avait trouvée. Je m'étais montrée méprisante, voir insultante, envers lui. J'avais proféré des menaces, qui certes n'avaient aucune chance de se réaliser, je le comprenais maintenant, pourtant il était parti à ma recherche. Il m'avait trouvée, il avait pris soin de moi. Il avait soigné mes mains coupées par ma fuite dans les arbres. Il avait fait disparaître ma fièvre. Il était juste là.
Je levais les yeux vers lui.
Il n'y avait pas de pitié dans son regard. Il n'y avait pas de compassion, pas de compréhension erronée. Je voyais ses yeux verts, éclairés par le globe de lumière qu'il avait emporté avec lui. Il n'hésita pas. Sa main essuya une nouvelle larme, écarta mes cheveux humides de mon front. Il se pencha vers moi et posa ses lèvres sur sommet de mon crâne. Je me laissais aller contre lui et il me serra dans ses bras. Orlan transgressait la loi la plus importante de sa communauté, une nouvelle fois. Pour moi.
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