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Sevastian revint plusieurs fois. Il emmena son fils rendre visite à Dimitri, toujours hospitalisé. Du fait de son travail au Ministère de la Guerre, l’homme pouvait protéger Asbel des milices surveillant les vaisseaux.
À son retour, le bourgeois livrait un rapide résumé de la situation catastrophique dans La Bulle et ses environs. Les forces de l’ordre cherchaient les derniers garçons non mobilisés afin de les envoyer au front. Cela dissuada Eliah de vouloir partir. Un étau se refermait autour de lui. Même s’il obtenait ses papiers d’identité, jamais il ne pourrait survivre sur cette planète.
Plus d’un mois s’écoula sans qu’il ne quitte le domaine. Une certaine routine s’installa. Les jeunes hommes s’occupaient tant bien que mal. Ils paressaient toute la matinée, se levaient tard. L’après-midi, ils se consacraient au sport, notamment la natation, ou à d’autres activités amusantes. Asbel lui fit découvrir les jeux vidéo, le piano, ainsi que d’étranges jeux tels que les échecs ou encore le gydétra.
L’Îlien passait également de longues heures à s’enregistrer. Ses trous de mémoire lui donnaient envie de s’arracher les cheveux, mais il persistait. Il racontait son enfance, la façon dont il aurait aimé que les insulaires se comportent. Sa terre natale revenait beaucoup dans leurs conversations. Le blond ne se lassait pas des histoires du Novichki.
Celui-ci avait bien vite remarqué l’attrait pour ce sujet. Asbel lui avait expliqué qu’au début de l’invasion de l’Île, les habitants d’ici n’avaient qu’une idée en tête : se rendre au Sanctuaire et échapper à leur quotidien lugubre. Pourtant, la colonisation avait pris fin en seulement quelques décennies ; les Îliens opposaient une farouche résistance et n’acceptaient pas les colons.
Rianon avait donc arrêté son expansion, mettant un terme au rêve de millions de ses citoyens. Seule l’importation s’était poursuivie. Le gouvernement avait récupéré les documents, les livres, les albums, les rapports la mentionnant ; tout ce qui concernait l’Île avait disparu. Les hautes instances voulaient dissimuler leur échec. Seule restait la légende, qui se transmettait de génération en génération. Quant aux Novichkis, ils avaient refusé tout rapatriement et préféré le danger plutôt qu’une terre stérile.
Dimitri et son frère avaient été abreuvés par ses histoires dès leur plus jeune âge. Au début, lorsqu’Asbel le questionnait sur sa planète d’origine et qu’Eliah refusait de répondre, il percevait la déception et la peine de son ami. Celui-ci n’avait même jamais vu de représentation de l’Île, au vu de leur caractère prohibé. Il ne lui restait que les récits de cet authentique insulaire. L’unique personne à en être revenue et avec la possibilité d’en parler.
Cédant à ces demandes, le clandestin inventait la plupart des situations et des descriptions. Cela ne causerait aucun mal, personne n’était en mesure de vérifier. Bâtir une autre réalité lui permettait également de moins souffrir. Son foyer lui manquait terriblement. La peine s’estompait mais la culpabilité demeurait. Il ressentait moins de remords à évoquer sa patrie, puisqu’il avait été rejeté et abandonné par ses habitants. Sa haine envers les autochtones avait à peine faibli. Et puisque Rianon avait abandonné la colonisation et la vente d’eau, il n’y avait plus aucun risque pour le Sanctuaire, alors ils pouvaient bien en discuter.
Il aimait les étoiles dans les yeux d’Asbel, son front plissé par la concentration, ses mains fébriles. Son intérêt, ses requêtes pour apporter toujours plus de véracité aux propos. Toutes ses heures passées ensemble renforcèrent leur complicité.
Une forte affection naquit entre eux. Eliah ne tombait pas fou amoureux, et doutait même d’en être capable. Toutefois, il s’attachait au gosse de riche. Une tendresse inexplicable, peut-être l’envie de combler la solitude de son ami. Ce dernier, totalement délaissé par son père dans cette immense demeure, se raccrochait à l’Îlien.
« J’ai l’impression qu’il aurait préféré que ce soit moi qui meurs dans l’accident. Je sens sa déception.»
Sevastian n’apparaissait que pour conduire son fils à l’hôpital, voir Dimitri. Leurs habitudes se voyaient chamboulées quand il revenait d’une excursion avec son père. Le jeune homme regagnait la maison épuisé et éprouvé. L’état de son frère n’était que rarement évoqué. Son mutisme incitait Eliah à ne pas insister.
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