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Les deux amis jouaient aux échecs, avachis sur le lit. Une douce musique accompagnait leur partie et se diffusait dans la chambre. Eliah se creusait les méninges et examinait toutes les possibilités. Il appréciait ce jeu mais ne parvenait pas à vaincre son adversaire expérimenté.

« Tu avais quelqu’un sur l’Île ? », demanda subitement Asbel.

Il reprit promptement :

« Un copain, une copine. Peu importe.

- N-non », balbutia le Novichki.

Troublé, il déplaça un pion noir, le laissant à la merci de la reine blanche.

« Je ne t’ai jamais demandé avant, parce que je craignais la réponse. Je me suis montré égoïste. Je voulais un confident, quelqu’un pour me réconforter. Et je savais que tu avais besoin d’argent. Les choses ont changé maintenant. »

Il osa enfin redresser la tête. Ses joues empourprées lui donnèrent un air candide, attendrissant. Ils dormaient parfois ensemble encore. Cependant, depuis leur rapprochement dans la piscine, ils ne s’étaient pas embrassés à nouveau.

« Je… » tenta Eliah.

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Le citoyen de Rianon balaya l’échiquier, qui tomba sur le sol avec fracas, et s’allongea au-dessus de son compagnon. Ils échangèrent un baiser fougueux, à en perdre haleine, avant de se séparer.

« J’avais peur qu’on ne soit plus sur la même longueur d’onde.

Ils ne purent s’empêcher de sourire. Même s’il cachait sa relation à son père, le blond ne ressentait plus aucune gêne à éprouver des sentiments pour l’Îlien. Celui-ci n’aurait su décrire les siens, mais tout son être se tendait vers Asbel. Son souffle s’emballa et une chaleur intense envahit son corps.

À la hâte, les deux jeunes hommes retirèrent leur tee-shirt et leurs lèvres s’unirent une nouvelle fois. Leurs langues entamèrent une danse endiablée, enflammée, quoiqu’un peu maladroite.

« Tu te sens prêt ? » coupa le brun.

L’autre acquiesça, tremblant d’émoi. D’une main tremblante et incertaine, Eliah descendit jusqu’à l’entrejambe de son partenaire et commença de lents allers-retours. Les gémissements d’Asbel résonnèrent à ses oreilles et l’excitèrent encore plus. Il lui mordilla le cou.

Les caresses et étreintes s’enchaînèrent, leurs corps fiévreux s’emboitèrent dans une effervescence incontrôlable. Ils se sentaient soudain pressés, comme si le monde s’apprêtait à s’écrouler. Les derniers vêtements volèrent au sol. Ils rabattirent les couvertures sur leurs membres nus, afin de conserver cette étroite intimité. S’ils leur restaient des doutes, ils furent balayés en quelques secondes. Ne restait plus que la peau douce de son amant, sa sueur âpre, ses soupirs de plaisirs. L’exaltation leur dévorait le bas-ventre.

Eliah glissa un doigt entre les cuisses de son compagnon, s’enfonça doucement en lui, tout en embrassant son dos cambré. Asbel lui susurra des mots obscènes dans le creux de l’oreille, qu’il n’aurait jamais pensé entendre dans sa bouche.

Soudain, une voix résonna dans la maison vide, couvrant la musique :

« Asbel ? T’es où ? »

Ils s’immobilisèrent et échangèrent un regard paniqué avant de se séparer à toute vitesse. Ils finissaient de se rhabiller quand la porte s’ouvrit, dévoilant un jeune homme blond. Mèches bouclées, mâchoire carrée, yeux foncés entourés de cils fins. Le sosie d’Asbel.

Les joues rouges toujours brûlantes, ce dernier présenta l’inconnu :

« C’est mon frère, Dimitri. »

Essoufflé et honteux d’être interrompu, Eliah se contenta de le saluer d’un geste de la tête. Il remarqua alors un détail pour le moins surprenant : la main métallique qui dépassait de la chemise de Dimitri. Il ne put retenir un hoquet, même s’il connaissait la présence des membres bioniques, qui s’étendaient de l’épaule jusqu’aux orteils.

« Je ne voulais pas te faire peur, s’excusa le nouveau venu. On vient de me mettre une nouvelle prothèse et la peau synthétique n’a pas encore été ajoutée. »

Un silence gênant s’installa. Dimitri semblait se délecter d’interrompre son frangin, tandis que celui-ci se dandinait d’un pied sur l’autre, embarrassé.

« On doit y aller. Tout est en place. »

Son cadet devint blême. Il ne paraissait aucunement surpris par cette soudaine intrusion, juste pris au dépourvu. Le Novichki s’approcha en fronçant les sourcils.

« Tout va bien ?

- Parfaitement, répondit Dimitri. Habillez-vous, on va faire un tour.

- T-t-tes euh, tes papiers doivent être disponibles », balbutia Asbel.

Cela ne provoqua aucun enthousiasme à Eliah. Un mauvais pressentiment le saisit. Pourquoi cette soudaine intrusion ? Le frère devait être à l’hôpital. Son teint pâle, ses joues creusées et les cernes sous ses yeux témoignaient d’une santé fragile, malmenée par les opérations et la drogue.

Sevastian était au courant, réalisa-t-il soudain. Il convoquait ses fils et le faux correspondant pour mettre les choses au clair. Pourtant, cela n’expliquait pas la présence de Dimitri, pourquoi ils quittaient la maison. Un détail clochait et il ne parvenait pas à mettre la main dessus.

Sans davantage d’explication, les trois jeunes hommes montèrent à bord d’un vaisseau, stationné à l’extérieur. L’ambiance morose dura tout le trajet. Eliah aurait dû déborder de joie, mais son estomac noué par l’anxiété l’empêchait de savourer sa première sortie depuis des semaines. Son titre de séjour avait vraiment été accepté ou… ? Son amant lui mentait, pour une raison inconnue. Il n’avait pas osé le regarder depuis leur départ. Il gardait la tête baissée.

L’Îlien contempla le paysage défiler, sans éprouver le même émerveillement que la première fois. L’infinité des dunes lui apparut toujours inquiétante, mais leur beauté moins éblouissante. Il se perdit dans ses pensées, son imagination s’emballa. Les pires scénarios s’imposèrent à son esprit ; Sevastian hurlant sur son fils pour avoir agi de façon si stupide, puis dénonçant Eliah aux services de l’immigration. Malgré toute sa bonne volonté et son amour, son ami ne pourrait rien faire pour l’empêcher d’être envoyé au front.

Les citoyens de Rianon restèrent également muets. Seulement une année les séparait, et leur ressemblance était frappante. À cet instant, recroquevillé dans son siège, Asbel était encore plus frêle que son aîné malade. Le Novichki s’était attendu à discuter avec ce dernier, en apprendre davantage sur lui. Une tension inavouée pesait entre les deux frangins. Sûrement à cause de la préférence non dissimulée de leur père.

« Où va-t-on ? », osa-t-il enfin demander.

Asbel sursauta et s’agrippa fermement au siège, sans détacher son attention du paysage désert. Son silence ne fit qu’augmenter la crainte et les doutes d’Eliah. Ils étaient amis, même plus maintenant, alors pour quelles raisons refusait-il de répondre ? Peut-être regrettait-il déjà leur aventure dans la chambre…

« On rejoint votre père ? »

Alors que jusqu’à présent il pianotait sur son téléphone, Dimitri releva enfin la tête, un sourire étrange sur le visage. Un sourire qu’il aurait adressé à une personne profondément stupide. Il n’avait jamais autant ressemblé à Sevastian qu’à cet instant. Le rictus disparut, remplacé par un air ennuyé. Le clandestin se redressa sur son siège, mal à l’aise.

« Oui, on ne va pas tarder à le rejoindre. »

Sa phrase avait sonné comme une menace. Il n’attendit pas de commentaire et replongea son attention sur son écran. Eliah sentit non seulement la déception l’envahir – autant faire une croix sur son titre de séjour – mais l’inquiétude s’accentuait, créant un étau autour de sa poitrine. Où l’emmenaient-ils donc ?

Il tourna la tête vers Asbel dans l’attente d’une réaction mais celui-ci l’évitait. Sa mâchoire contractée attestait de la tension qui l’habitait lui aussi. Peut-être Eliah pouvait-il le pousser à parler…

« On va où ? On ne risque pas de se faire arrêter par une milice ? »

L’absence du quinquagénaire pour les protéger en cas de contrôle éventuel, l’angoissait. On ne lui répondit pas. Dimitri n’avait pas sourcillé. Son frère peinait à rester mutique. Sa jambe droite tressautait, il se rongeait l’ongle de façon distraite.

« Asbel, on est amis, non ? Tu peux me dire où on va, supplia-t-il.

- Arrête de geindre. On ne va pas se faire arrêter pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de conscription obligatoire. Maintenant, tais-toi », tonna l’aîné.

Eliah crut à une plaisanterie, mais rien dans l’attitude de ses interlocuteurs ne prêtait à l’amusement. Son visage se décomposa. Jamais il n’avait remis cette information en question, et sans papiers d’identité, cela lui avait paru logique de rester enfermé dans la villa. Il se tourna vers son compagnon, dans l’espoir d’y trouver du soutien, des réponses. Seul un regard implorant et désolé lui répondit. Lui glaça le sang. Pourquoi lui mentir là-dessus ? La justification qui s’imposa à son esprit lui déplut. Le doute s’insinua dans ses veines, tel un poison. Si Asbel avait menti sur ce point, que lui dissimulait-il d’autre ?

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