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Le lendemain, Asbel réussit à convaincre Eliah de visiter la maison, même si celui-ci ne voulait pas quitter son lit douillet. Le paysage, à travers les fenêtres, finit de le persuader. Les baies vitrées offraient une vue différente des dunes. Il n’avait jamais contemplé autant de sable et des couleurs aussi chatoyantes et chaudes. L’horizon ondoyait sous l’effet de la chaleur. Cet environnement hostile le fascinait, mais impossible de sortir avant le soir.

Le reste de la villa lui déplut. Tout était si… vide et froid. Les pièces, immenses et meublées avec le strict nécessaire, lui parurent abandonnées, comme si personne ne vivait ici. Le blanc et les pastels prédominaient. L’absence de coloris contrastait avec l’extérieur et son océan ocre. La climatisation rafraichissait constamment les lieux, à tel point que l’Îlien en tremblait parfois. Il souhaitait s’aventurer à l’extérieur, en dépit du climat.

Une oasis entourait la demeure, des palmiers et de la végétation luxuriante créaient une ombre rafraichissante. Des plantes aux teintes vives longeaient un chemin en gravier conduisant aux étangs. Eliah comprit que cet endroit devait représenter le paradis sur cette planète. De l’eau au milieu du désert. De l’eau au milieu de Rianon.

Les montagnes de sable s’étendaient à perte de vue. De chaque côté de la bâtisse, le panorama coupait le souffle, encore plus du côté de la piscine. Asbel lui expliqua que lorsque la chaleur devenait insupportable, le bassin pouvait être recouvert et climatisé. Le clandestin garda ses commentaires acerbes, mais il appréciait de moins en moins cette débauche financière. Avaient-ils vraiment besoin de tout ça ?

Il s’était ainsi attendu à trouver la villa remplie de domestiques, cependant les jeunes hommes demeurèrent seuls. Peut-être que les employés arrivaient plus tard. Par la suite, les lieux restèrent déserts. Les serviteurs se révélèrent être des robots. Ils sortaient des murs et d’autres recoins improbables pour s’occuper du repas, du ménage. Malgré leurs formes harmonieuses, rondes et lisses, il les trouvait inquiétants.

À la fin de leur visite, les amis rejoignirent la chambre d’Asbel pour dégoter des vêtements au Novichki. Il fut enchanté par cette pièce bien plus chaleureuse que les autres. Le blondinet avait installé plusieurs plantes vertes cascadant du haut de ses étagères remplies de livres, qui faisaient sa fierté. L’étranger ne comprit pas l’importance de papier dans un monde où la technologie avait tout remplacé.

De nombreux bibelots témoignaient également de ses différents voyages. Le cœur d’Eliah fit un bond dans sa poitrine en découvrant un aquarium. Son excitation retomba immédiatement en comprenant que de la gelée figée remplaçait l’eau et immortalisait une scène aquatique. Un faux poisson se trouvait pétrifié un milieu de ruines miniatures, de coraux et d’algues.

Le citoyen de Rianon adorait aussi le sport et collectionnait des objets insolites venant d’autres planètes, comme une balle qui paraissait somme toute banale, mais qui se couvrait de piques acérés à des moments aléatoires. Ce jeu provenait d’un monde reculé et barbare. Deux équipes s’affrontaient sur un terrain et la balle ne devait jamais toucher le sol. Toutefois, l’apparition des piques créait une difficulté supplémentaire. L’Îlien fut à la fois horrifié et impressionné par cette histoire. Il passa l’après-midi à questionner son compagnon au sujet de ses nombreux séjours extra-planétaires.

Après le repas, ils se promenèrent dans les jardins. Le soleil se couchait derrière les dunes et les nuances dorées commençaient à disparaître. La chaleur les enveloppa telle une douce étreinte réconfortante. L’ambiance à l’intérieur glaçait les os. Cette sortie permit à Eliah de se détendre. La mort de ses proches l’accablait depuis des jours.

Il contempla l’oasis avec nostalgie. Les plantes grasses et bariolées lui rappelèrent l’Île. Il savait que cette flore ne poussait pas sur sa planète natale, mais il appréciait cette impression familière. Des palmiers encadraient le chemin conduisant à un bassin d’eau claire. Il y distingua des poissons aux écailles écarlates. Quelques oiseaux se rafraichissaient et humidifiaient leurs ailes, aux sublimes plumes. Leurs chants bercèrent la promenade des deux amis. Cela lui mit du baume au cœur de voir des vrais animaux. Tout n’était peut-être pas perdu pour Rianon.

Eliah resta immobile devant le petit étang pendant de longues minutes. Cela lui produisait toujours le même effet. L’Île regorgeait de cette denrée si rare et précieuse ici. À présent et plus que jamais, il comprenait l’envie des habitants de Rianon de conquérir le Sanctuaire. Les insulaires n’avaient pas besoin de toute cette eau, devaient-ils penser. Mais il savait quel mal l’invasion avait causé son foyer. Des milliers de personnes massacrées du fait de leurs croyances et de leurs dons. Des maladies propagées à travers le bétail et l’eau. Des centaines d’animaux disparus en raison de la chasse intensive et du changement de leur habitat. L’Île avait tant souffert. Et la rancœur des Îliens n’avait pas diminuée.

Il se sentait partagé entre les deux camps ; d’une part il comprenait la souffrance et la colère des natifs, mais il ne pouvait contenir une fureur froide à cause du rejet qu’il avait vécu et le massacre des siens. Les larmes lui montèrent aux yeux et il les réprima avec difficulté.

Il poussa un profond soupir et rejoignit le blond qui l’avait attendu plus loin. Il lui adressa un sourire qui se voulut encourageant, mais Eliah ne parvint pas à y répondre. Il avait le mal du pays. Et cet endroit n’arrangeait en rien son moral.

Asbel désigna un grand hamac et ils s’y installèrent. La manœuvre fut compliquée ; dès que l’un commençait à s’asseoir, le tissu ployait sous son poids et soulevait le côté opposé, ce qui empêchait l’autre de prendre place. Plusieurs essais furent nécessaires, accompagnés d’éclats de rire. Lorsque, enfin, ils purent s’allonger tous les deux, Eliah se rendit compte qu’il n’avait pas ri depuis bien longtemps.

Le citoyen de Rianon glissa son bras sous sa nuque. Ils se retrouvèrent blotti l’un contre l’autre. Une vague d’apaisement envahit le Novichki. Il aurait pu s’endormir. Les températures chutaient doucement, le bruit de l’eau le berçait. Les effluves des fleurs lui parvenaient, mélangées à celle de leur sueur acide.

Il dut s’assoupir un peu, car lorsqu’il rouvrit les yeux, la pénombre les enveloppait. L’ambiance, totalement différente, l’effraya un peu. Son ami perçut son trouble, il claqua des doigts et des lumières diffuses éclairèrent les environs.

« Vous venez souvent dans cette maison ? », demanda soudain le clandestin.

Son interlocuteur prit une profonde inspiration.

« Au début, seulement pour les vacances ou les week-end. On a toujours habité en ville, mais je crois que le rythme était trop intense et… Papa a soudain eu envie de s’y installer définitivement. On y est resté des mois, mais ça ne collait pas avec tous nos trajets à La Bulle. Et puis… »

Tout son corps se crispa.

« Il y a eu l’accident. Le chauffeur a perdu le contrôle de l’astronef, avec ma mère et Dimitri à bord. Seul mon frère s’en est sorti. »

Eliah ne trouva rien à dire. La mort de ses parents remontait à des années, pourtant il savait que cette souffrance ne disparaitrait jamais complètement. La même maladie les avait emportés, deux ans après la mort d’Isahora. Hord et sa famille avaient été très présents pour lui.

Au vu des relations tendues avec son père, il craignait qu’Asbel n’ait pas reçu le même soutien. Il resserra son étreinte, pour lui apporter un peu de réconfort.

« Il a perdu une jambe et un bras. Mon père a pu financer de nombreuses opérations pour qu’il ait des membres de remplacements, mais… Dimitri a tellement souffert qu’il a développé une accoutumance à la drogue suite à l’accident. Je ne savais pas comment l’aider alors… je lui en ai fourni quand l’hôpital a refusé. »

Il se racla la gorge.

« Il subit souvent des opérations dans l’espoir d’améliorer sa condition. La dernière remonte à quelques jours. Mon père n’hésite pas à lui offrir les dernières technologies. Dimitri ne le dit pas, mais je sais que les douleurs sont atroces. Alors, cette maison, c’est un peu notre sanctuaire. »

Eliah n’avait jamais rencontré son père, Sevastian, mais il n’avait pas entendu du bien de l’homme jusqu’à présent. Après tout, il avait rejeté son plus jeune fils, à cause de son attirance pour les hommes. Il était souvent absent et leurs relations étaient tendues et superficielles. Néanmoins, il semblait avoir fait tout son possible afin d’aider Dimitri.

« Et tu ne t’ennuies pas ici ? questionna-t-il pour changer de sujet.

- Je sais que le temps peut paraître long dans cette maison isolée. On devrait te trouver une activité ici. Tu faisais quoi comme métier sur l’Île ? »

Le Novichki ne put s’empêcher de contracter la mâchoire. Il hésita. Son ami cherchait à lui remonter le moral, mais il ne rendait pas compte que lui rappeler son ancienne vie agrandissait le creux dans sa poitrine. Il repensa au poste qu’il occupait au village et la honte l’empêcha de dire la vérité. Il se mordilla l’ongle à la recherche d’un mensonge. Dans la pénombre, le blondinet ne pouvait voir le trouble qui traversait ses traits.

« J’aidais le chasseur du village. »

Ce n’était qu’un demi-mensonge. Hord avait élevé Eliah à la mort de ses parents. Ils avaient souvent chassé ensemble dans les environs. L’homme lui avait appris comment pister et se défendre. La blessure d’un sanglier avais mis fin à ses jours. Ses fils avaient pourchassé la bête pour se venger, ce qu’Eliah avait trouvé stupide. L’animal n’avait fait que se protéger après tout. Ils avaient mangé du sanglier les jours qui suivirent. Sa poitrine se serra en repensant à son père adoptif.

« Tu sais te battre ?

- Oui, mais ne me demande pas de démonstration ou tu vas prendre la raclée de ta vie ! »

Asbel laissa échapper un rire. Ils étaient trop bien installés dans le hamac pour songer à se lever.

« On se disputait souvent avec les fils de Hord. Jams n’était qu’un gamin inoffensif mais ses frères… Des petits merdeux », souffla-t-il, perdu dans ses souvenirs flous.

Des flashs lui revenaient, rendus imprécis par la brume.

« Je ne te pensais pas bagarreur.

- On s’entendait bien, la plupart du temps. Sauf quand on parlait de la situation du village. Pour eux, il fallait mener une guérilla contre les Îliens, défendre nos droits, se battre… Mais avec quoi ? On avait quelques vieux fusils au village, pas de quoi lancer une offensive. Sans compter que personne n’avait vraiment l’étoffe d’un guerrier.

- Pourtant le plus féroce est allongé contre moi », ricana son interlocuteur.

Il réussit à arracher un sourire à Eliah, mais ce sujet ne lui rappelait rien de bon pour parvenir à en rire.

« Imaginons pendant quelques secondes, qu’il n’y ait jamais eu de conflits entre vous et les Îliens, tu aurais fait quoi ? »

Une colère sourde l’envahit. Il eut envie de rétorquer qu’imaginer de telles choses le faisaient uniquement souffrir, mais l’air enjoué de son ami l’en dissuada.

« Sûrement pêcheur, comme mon père.

- Ça doit être incroyable de pouvoir voguer sur les flots. Jusqu’où s’étend l’océan sur l’Île ? Tu as déjà fait le tour ? »

Dans son enfance, la pêche était synonyme de divertissement avec sa sœur, mais il savait que cela représentait un travail difficile et très compétitif. Pas une partie de plaisir. Dans l’esprit d’Asbel c’était synonyme de liberté et d’eau à perte de vue. À cet instant, cela avait la même signification pour Eliah. Il rêvait de sentir l’embrun marin lui caresser le visage, le goût salé sur ses lèvres et d’entendre le doux bruit des vagues. Il aurait tant aimé pouvoir prendre un navire et parcourir les flots de l’Île.

« T’es fou, c’est trop grand pour faire le tour en deux jours. Ça mettrait des mois, la planète est immense.

- Il y a d’autres îles habitées ?

- Non, elles sont désertes. La plupart servaient de gisement de minerais. »

Il se redressa un peu et trouva une autre position pour illustrer sa pensée, en accompagnant ses explications de gestes :

« Au milieu de la planète, il y a l’île principale, qui est gigantesque. Je ne sais pas sa taille, je ne possédais pas de carte. Et c’est comme si la planète formait une bulle tout autour d’elle. Un peu comme votre capitale. »

Le regard d’Asbel se perdit dans la vague, il imaginait sûrement à quoi pouvait ressembler le Sanctuaire. Eliah se rappela le faux aquarium dans la chambre du bourgeois. Son amour pour la mer et les poissons devait être bien plus grand qu’il ne l’avait soupçonné.

Il aurait aimé pouvoir lui faire découvrir l’Île et ses recoins, les récifs épargnés par la pêche. Il hésita à lui en raconter plus. Ses souvenirs soulevaient une vague de nostalgie douloureuse. Jamais plus ils ne pourraient contempler ce spectacle.

Comme s’il avait lu ses pensées, le citoyen de Rianon s’empressa de demander :

« Continue à m’en parler. »

Il se réinstalla plus confortablement, cala ses bras derrière sa tête et ferma les yeux pendant qu’Eliah s’efforçait de lui décrire les différents biomes ; les plages infinies de sable fin, les falaises abruptes, les forêts de sapin. Malheureusement, il se rendit rapidement compte que sa mémoire demeurait floue, à cause de la brume. Même si elle n’affectait plus son comportement sur Rianon, elle avait dévoré son cerveau, ruiné une partie de sa vie. Ce fléau seul n’était pas responsable de son manque de précision. Comment pouvait-il parler de l’Île alors qu’il la connaissait aussi peu ? Il avait certes vu ses paysages, mais il n’avait jamais mis les pieds en dehors de son village. Il regrettait tant de ne pas avoir eu l’occasion de visiter Emelle ou encore Neuf Soleils, la capitale.

Enfant, il avait passé de longues heures à se représenter ces cités. Puisqu’il peinait à se rappeler ce qui l’avait entouré, le jeune homme inventait souvent l’architectures de villes inconnues. Il hésita pendant quelques secondes et raconta à Asbel la façon dont Neuf Soleils s’étendait dans les montagnes. Il ne précisa pas que tout ceci était pure invention. Comment aurait-il pu le savoir ?

À mesure que l’inspiration venait, une ville se créait dans son esprit, avec ses habitants et les tourmentes qui les accablaient. Il avait entendu des rumeurs, qu’il inclut dans son histoire. Les prunelles émerveillées de son compagnon l’encouragèrent à continuer. Pendant de longues heures, il raconta comment il aurait souhaité que l’Île soit.

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