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Eliah ressentit un pincement à la poitrine à l’idée de se baigner. Des millions de personnes ne pouvaient y accéder. Il détestait ce privilège sans pour autant parvenir à contenir son envie. Elle le dévorait. Il se languissait de la sensation sur sa peau, de ce gout salé et des embruns de la mer. La piscine n’atteindrait jamais une telle perfection, mais elle le satisferait durant son séjour ici. Même sans sa présence dans la villa, la famille aurait acheté cette eau.
Ils se changèrent et rejoignirent la baie vitrée menant à la terrasse. Asbel activa le mécanisme pour couvrir le bassin. La bâche la protégeant fut enlevée automatiquement.
Les deux jeunes hommes attrapèrent une serviette et foncèrent jusqu’au bassin. Le court trajet nécessitait de mettre des chaussures afin de ne pas se brûler les pieds sur la terrasse. Plusieurs années auparavant, lors des vacances scolaires, Asbel s’était blessé la voute plantaire. Le soleil chauffait toute la journée et chaque centimètre carré exposé à l’extérieur atteignait la température d’un four.
Ils gagnèrent rapidement l’abri. Une verrière aux vitres teintées protégeait de la chaleur. Pour davantage de confort, un système de climatisation avait également été installé.
Ils jetèrent leurs serviettes dans un coin et Eliah plongea sans plus tarder, tête la première. L’eau n’était pas aussi fraiche qu’il l’avait escompté mais cela lui fit le plus grand bien. Son cœur s’allégea soudain.
Le citoyen de Rianon quant à lui rentra doucement, en empruntant les quelques marches.
« C’était un beau plongeon ! commenta-t-il.
- Tu as devant toi le meilleur nageur et plongeur de Rianon, se vanta Eliah.
- C’est pas bien difficile puisque personne ne sait nager sur cette foutue planète. »
Cette réflexion ne lui avait jamais traversé l’esprit, mais cela parut logique au Novichki. La ressource se révélait en quantité insuffisante pour boire, alors se baigner dedans ? Cela devait paraître sordide à n’importe quel habitant. Le blondinet le rejoignit et l’arrosa. Il s’ensuivit une bataille, avec pour objectif celui qui arroserait le plus l’autre. Des litres furent projetés tout autour d’eux et leur rire se mélangea aux éclaboussures.
Ils s’arrêtèrent à bout de force, les joues douloureuses. Eliah remarqua un goût étrange dans sa bouche. Il grimaça de dégoût.
« Qu’est-ce que c’est cette horreur ?
- C’est pour rendre l’eau propre, enlever les microbes, expliqua son ami.
- Pourquoi vous ne faites pas ça pour la pluie ?
- Dans la piscine, on purifie avec le chlore, un produit chimique, pour empêcher les bactéries et les algues. Je ne connais pas tous les tenants et aboutissants, mais c’est toxique. Donc pas la bonne solution pour notre problème majeur. »
Ils barbotèrent ensuite en silence, Asbel se contenta de faire la planche sur le dos tandis qu’Eliah effectuait des longueurs. Il chérissait cette sensation de liberté et de légèreté. Sur l’Île, il avait été privé de la mer pendant une décennie, puisque les Novichkis ne pouvaient quitter leur zone. Depuis son arrivée dans la demeure, il n’avait pas osé y aller. La culpabilité l’en empêchait. Pourtant, de délicieux frissons de bonheur lui parcoururent le corps.
« Il n’y a pas du tout d’eau sur Rianon ? », demanda-t-il soudain.
Le blondinet se redressa et réfléchit. Il s’appuya contre le rebord en pierre.
« C’est dur à dire. Il n’y pas de mer ou de lacs. Parfois il y a des petits coins comme celui-ci, expliqua-il en désignant l’oasis. Mais ce sont des lieux très rares et prisés, tu imagines bien. »
Il examina ses doigts fripés avant de reprendre :
« Il y a plusieurs siècles, les océans recouvraient cinquante pourcents de la planète. Mais il y a eu de terribles conflits sur Rianon, avant l’unification. Les continents se livraient des guerres sans merci. Chaque camp a utilisé des armes chimiques dévastatrices et certaines ont complétement pollué ou tout simplement asséché les points d’eau. Ces affrontements ont duré presque cent ans. »
Eliah écouta, mortifié d’apprendre ceci. Il ne s’était jamais intéressé au passé de cette terre, mais son histoire semblait bien mouvementée. Il n’arrivait pas à comprendre comment des querelles pouvaient conduire à ce genre d’actions disproportionnées.
« Oh mon prof d’histoire serait furax d’entendre des infos aussi vagues », grimaça Asbel.
Celui-ci nagea un peu. Ses gestes maladroits prouvaient son inexpérience. Il avait eu l’occasion de s’entraîner lors de ses passages dans la villa, mais pas assez pour être à l’aise. Eliah lui donna des conseils pour s’améliorer. Il positionna son ami sur le ventre et l’entoura de ses bras afin de lui montrer comment mieux positionner ses mains. Cette soudaine proximité enflamma les joues d’Asbel.
Ils se retrouvèrent face à face, à quelques centimètres. Des perles d’eau gouttaient des mèches du blond et tombaient sur son visage. Il posa une main timide sur le torse du Novichki. Ce dernier retint une crispation. Ils n’avaient pas repartagé leur lit depuis leur départ de La Bulle. À présent qu’il n’avait plus besoin d’argent pour rembourser Oris, Eliah devait-il continuer de simuler son affection ? Il ressentait une attirance physique, sans pour autant l’aimer.
Il craignait qu’Asbel arrête de l’aider s’il découvrait son absence de sentiments. Il avait vu la façon dont le gosse de riche obtenait tout ce qu’il souhaitait. Impossible de prévoir sa réaction s’il était déçu. Il craignait de continuer à jouer cette comédie et que les événements prennent une tournure déplaisante.
Toutefois, quand leurs bouches se réunirent et leur langue s’entremêlèrent, Eliah ne le repoussa pas, même quand les jambes d’Asbel se nouèrent autour de sa taille. Soudain, ses mains se firent plus baladeuses et glissèrent vers le maillot de bain. L’Îlien saisit le poignet de son compagnon, un peu trop fermement, incapable de contenir la panique qui le traversait. Son cœur battait douloureusement la chamade et lui remontait dans la gorge. L’image d’Oris lui avait traversé l’esprit, avec les allers-retours malsains de sa main.
Un éclair d’étonnement traversa les traits d’Asbel. Il se recula, embarrassé.
« Je suis désolé, je…
- Non c’est moi. Je n’ai pas la tête à ça, avec tout ce qu’il se passe. »
Il esquissa un geste vague de la main. Pas la peine de le blesser davantage en mentionnant le contremaître.
« Je comprends. Rien ne presse. »
Malgré son ton léger, Eliah décela sans mal sa gêne. Il lui caressa la joue avec douceur, pour le rassurer.
Ils sortirent de l’eau et s’allongèrent sur des transats tandis qu’un robot domestique leur apportait une collation. Il mit de longues secondes à apaiser son angoisse. Le décor coloré de l’oasis et le clapotis de l’eau finirent par le calmer. Il songea qu’il pouvait presque s’habituer à cette vie de luxe.
« Est-ce que… est-ce que tu sais combien de temps va prendre ma demande de titre de séjour ? » demanda-t-il, timidement.
Il redoutait la réponse. Qu’adviendrait-il une fois son dossier accepté ? Serait-il jeté dehors par cette famille qui l’accueillait ? Une boule d’angoisse se forma dans son estomac. Asbel croqua dans son beignet et finit sa bouchée avant de répondre.
« Je ne vais pas te mentir, vu la situation actuelle, cela risque de traîner un moment. Les services sont surchargés à cause de l’arrivée des réfugiés d’autres continents. »
Même si sa demande aboutissait, la guerre ne serait surement pas terminée. Les deux jeunes hommes ne souhaitaient pas être mobilisés. Une boule se forma dans sa gorge. Son avenir incertain l’inquiétait chaque jour un peu plus.
« Tout va bien se passer, rassura Asbel. Je ne vais pas t’abandonner. »
Un sourire illumina ses traits et le cœur d’Eliah se fit plus léger.
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