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Quatre jours après le départ, l’expédition rejoignit le premier portail. Tout le monde à bord ne parlait plus que de ça, aux repas, dans la salle de commandement, dans les couloirs. La plupart n’avait jamais emprunté d’accès clandestin et beaucoup se posaient des questions. Ce fut donc un spectacle très attendu quand le vaisseau arriva enfin en vue. Ils se regroupèrent tous au meilleur point de vue, devant les immenses baies vitrées.

Le portail ressemblait à un anneau géant flottant dans l’espace. De nombreux engins, plus petits que le leur, entouraient la structure. Il s’agissait des mercenaires, engagés par Sevastian, qui sécurisaient la zone. Des astronautes effectuaient leurs ultimes sorties extravéhiculaires afin d’apporter les derniers ajouts et modifications à la structure.

L’excitation montait peu à peu dans le public. La salle de contrôle fut en proie à une agitation qui angoissa Eliah. Son ancien ami dut le percevoir, car il lui prit la main et ils s’éloignèrent dans les couloirs. La foule diminua enfin. Ils se retrouvèrent dans un coin tranquille, avec une vue tout aussi impressionnante.

À mesure que leur véhicule spatial approchait, ils apercevaient nettement l’amoncellement de fils, de tuyaux et de systèmes électroniques connectés les uns aux autres. Les jointures jaunies et vieillies, les plaques de métal dépareillées ou encore les traces de rouille témoignaient de l’usure et de l’emploi récurrent de l’appareil.

Le Novichki essaya de se rassurer en se rappelant que Sevastian avait employé des moyens colossaux dans ce périple ; il devait donc avoir choisi les meilleurs composants possibles et surtout les meilleurs techniciens pour lui assurer une traversée sans danger. Le quinquagénaire n’aurait jamais entrepris lui-même le voyage s’il n’avait pas été certain d’arriver en un seul morceau.

Pourtant, cela ne suffit pas à apaiser entièrement Eliah. Être dans l’espace créait en lui un malaise constant. Sur Rianon, il avait fini par comprendre et s’habituer aux coutumes et à la technologie. Dans le vaisseau, il n’y parvenait pas. Il craignait toujours qu’un problème survienne. Cette coquille de métal représentait une bien maigre protection face au vide de l’espace.

Il sortit de ses pensées lorsqu’une pellicule transparente recouvrit le centre du portail. On pouvait voir à travers et apercevoir très clairement les étoiles de l’autre côté, sans soupçonner un seul instant que cette chose accomplissait de tels miracles. L’Îlien ignorait le fonctionnement de cette machine. Seraient-ils téléportés à l’autre bout de la galaxie, où leur vitesse était-elle augmentée ? Alors qu’il allait poser une question, les vitres devant eux devinrent soudain plus opaques.

« La lumière risquerait de nous brûler les yeux », expliqua simplement le citoyen de Rianon.

Le vaisseau s’avançait tant qu’ils ne voyaient même plus les bordures de l’anneau géant. À l’instant même où la pointe entra en contact avec la bordure transparente, une puissante lumière les aveugla. Le Novichki porta la main à ses yeux et perdit soudain l’équilibre. Asbel le retint de justesse, l’air habitué à cette situation.

Ce fut fini en quelques secondes. Il se retrouvèrent de l’autre côté du portail, l’espace avait changé. Les étoiles et constellations ne correspondaient pas à celles devant eux un peu plus tôt. Comme il lui avait expliqué, aucune planète ne se situait à proximité, afin de ne pas être repéré. Eliah se frotta les paupières tandis que le hublot reprenait sa couleur d’origine.

« C’est tout ? », demanda-t-il, presque déçu.

À ses côtés, le blondinet laissa échapper un rire. Il avait croisé les mains dans le dos et observait le vide avec des yeux brillants. En cet instant, il ressembla tellement à son père que le prisonnier en eut un frisson glacé. Il n’aimait pas cette lueur. Il pouvait sentir la cupidité et la soif de découverte. Son cœur se serra ; Asbel représentait lui aussi un danger.

« Oui, c’est tout. Tu sais, notre technologie est assez avancée pour qu’on utilise des portails sans être tous assommés. Ça secoue un peu plus qu’un portail officiel, mais c’est une chose à voir au moins une fois. »

Eliah fit la moue.

« On a plus qu’à attendre patiemment l’arrivée sur l’Île maintenant ? demanda-t-il.

- On en a encore deux à franchir : un dans trois jours et l’autre dans six jours.

- Pourquoi plusieurs, pourquoi pas franchir la distance d’un seul coup ?

- Seuls les portails officiels permettent une telle prouesse, et il faut des ingénieurs et des moyens que nous n’avons pas. »

Ils restèrent un moment à contempler l’infinité obscure devant eux. Asbel vanta les capacités du commandant et de son équipe à gérer la trajectoire et la traversée des anneaux. Pourtant, une barre d’inquiétude marquait son front. Son interlocuteur n’eut même pas besoin de l’interroger, il finit par se confier :

« Même si mon père ne cesse de répéter que le capitaine est doué, qu’il a je-ne-sais combien d’années d’expérience, il n’est jamais allé sur l’Île. Personne à bord n’y est jamais allé. À part toi. »

Eliah haussa les sourcils, étonné. Il se gratta la tête tout en réfléchissant. Sevastian était un revendeur d’eau, étrange qu’il ne soit pas entouré davantage de spécialistes de l’Île ou de personnes ayant déjà effectué le trajet. L’homme n’avait-il pas une compagnie pour se charger de ses préparations ? Il en fit la remarque à Asbel.

« Seul le gouvernement a la mainmise sur l’Île. Les revendeurs exploitent d’autres planètes depuis des décennies, mais aucune n’est aussi abondante en ressource. Après l’échec de la colonisation, Rianon a rapidement créé ce statut de sanctuaire, pour qu’elle seule en profite. Des équipes ont été formées spécialement pour s’y rendre. Personne n’a le droit de communiquer la moindre information à ce sujet, sous peine de mort. Il n’existe rien, aucun renseignement à exploiter. »

Il imaginait parfaitement Oris révéler n’importe quel secret, mais ne fit aucun commentaire. Il comprenait la convoitise que causait sa terre natale. Depuis des années, les citoyens de Rianon étaient bercés par ces histoires de Sanctuaire, de richesses infinies. Toutefois, cela ne justifiait en rien le comportement de Sevastian.

« Mon père pressentait déjà, depuis une décennie, que les choses allaient mal tourner sur l’Île. Il a trouvé un poste au Ministère de la Guerre, pour avoir des contacts et des ressources pour monter une expédition. Il n’avait plus qu’à attendre le moment opportun pour partir. »

Eliah retint un frémissement. Le plan du militaire était mûrement réfléchi. Il convoitait cette eau depuis déjà bien longtemps. Et l’arrivée d’un insulaire n’avait fait qu’arranger ses plans.

Il se contenta de rester silencieux, l’air sombre. Sur un ton plus joyeux, Asbel reprit :

« Bref, ce sera une expérience pour nous tous ! Je suis certain que ça va bien se passer. Papa sait ce qu’il fait, aucune raison de s’inquiéter. Nous avons un vaisseau bien équipé et moderne, un équipage compétent. Tout va bien se passer », répéta-t-il.

Ils aperçurent une comète, au loin, qui laissa une traîné blanche et brillante derrière elle.

« C’est vraiment magnifique », souffla l’Îlien.

Des doigts se glissèrent entre les siens.

« Je suis heureux de partager ces moments avec toi. Si seulement…

Eliah se crispa et se dégagea.

« Tu ne devais pas rejoindre ton père en salle des commandes, après le passage ? » coupa-t-il brusquement.

Il recula. Le citoyen de Rianon se mordilla la lèvre.

« Je… On pourrait peut-être…

- J’ai dit : ton père t’attend en salle de commandement, non ?

- Oui, tu as raison. Désolé. »

Il commença à s’éloigner, mais s’arrêta.

« Tu vas rester là ?

- Où veux-tu que j’aille de toute façon ? Que veux-tu que je fasse ? Il y a des centaines de militaires, toi, ton père et l’équipage pour vérifier que je me tiens à carreau, donc qu’espères-tu ? Que je me jette dans l’espace ? Remarque, ça serait plus agréable que de supporter votre présence », cracha le Novichki.

L’agressivité dans sa voix précipita le départ d’Asbel.

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