Piscine, butin et castagne
La chaleur de l’été transformait la piscine municipale en un lieu de rendez-vous incontournable pour tous les jeunes du village. C’était l’endroit parfait pour se rafraîchir, observer, flirter, et surtout, se faire un peu d’argent facile. Ils venaient de terminer leur première année scolaire, et l’ambiance des vacances d’été leur donnait un sentiment de liberté. Samir, Dragan et Luca y passaient presque tous leurs après-midis, profitant de l’afflux de campeurs et des habitants des villages voisins qui laissaient leurs affaires sans surveillance. La piscine, bordée par le camping où de nombreuses caravanes restaient à l’année, offrait des opportunités qu’ils ne pouvaient pas ignorer.
Mais l’été, ce n’était pas que les vols. Tous les gamins des villages voisins convergeaient vers la piscine, et une ambiance particulière régnait autour du plongeoir des trois mètres. Des "suites" s’y organisaient presque tous les jours. Une dizaine, parfois une quinzaine de jeunes s’élançaient les uns après les autres, enchaînant des figures comme des bananes, des bombes, des cassés, des orgies, des œufs. L’objectif : éclabousser un maximum de monde autour du bassin. Certains soirs, l’eau de la piscine manquait de 50 centimètres, tant elle avait été projetée hors du bassin par ces enchaînements.
Pierrot, le maître-nageur, était une figure emblématique de la piscine. Il passait ses journées à surveiller les jeunes et à faire régner un semblant d’ordre. Un jour, alors que le plongeoir était en pleine effervescence, il décida de tout arrêter. « Ça suffit, bande de fous ! Vous allez vider la piscine, et en plus, il va y avoir un accident ! » cria-t-il en interrompant les plongeons. Le calme était revenu, jusqu’à ce que Marco, un Espagnol un peu provocateur, s’élance et fasse une bombe gigantesque qui éclaboussa Pierrot. Furieux, Pierrot l'attrapa depuis le bord de la piscine et lui gifla sèchement. Il imposait son respect et montrait clairement qui était le patron du bassin sous les regards amusés des autres jeunes.
Pendant ce temps, Samir, Dragan et Luca ne s’étaient pas privés de leurs activités habituelles. « Aujourd’hui, on fait le grand coup, » annonça Luca, assis au bord du bassin, les pieds dans l’eau. Son regard se promenait sur les sacs et objets laissés négligemment sur les transats. Il mâchonnait un bonbon volé la veille, son sourire malicieux habituel sur les lèvres. « Personne ne fait attention ici. Ils sont là pour se détendre. »
Samir, allongé sur sa serviette, fixait l’eau. Bien qu’il ressente de plus en plus de malaise à chaque vol, il se taisait et jouait le jeu comme les autres. Il n’était pas en reste. Il volait aussi, partageait les butins, et ressentait cette montée d’adrénaline à chaque coup réussi, même s’il était plus timide que Luca et Dragan.
Dragan, toujours impassible derrière ses lunettes de soleil, se leva. « On fait comme d’hab. Serviettes, distraction, et on se sert. » Samir hocha la tête, prenant son rôle à cœur, bien que le doute grandissait en lui.
Le plan était simple, parfaitement rodé. Ils repéraient tous les objets voyants laissés sans surveillance, surtout des affaires de campeurs ou des familles distraites. Luca et Dragan faisaient tomber leurs serviettes sur les objets convoités, tandis que Samir surveillait les alentours avant d’en faire autant. Ensuite, en un geste rapide et précis, ils ramassaient portefeuilles, objets de valeur et casquettes d’équipes américaines sous leurs serviettes avant de les glisser dans leurs sacs.
Leur première cible de la journée était un homme assoupi près du bassin, son porte-monnaie visible dans son sac. Luca, en parfait comédien, s’approcha en trébuchant volontairement, faisant tomber sa serviette sur le sac. En un instant, il ramassa la serviette, avec le porte-monnaie dissimulé en dessous, avant de retourner vers Dragan. « Trop facile, » murmura-t-il en glissant l’objet à Dragan, qui le rangea sans même un regard.
Samir suivit le mouvement, plus discret. Il s’approcha d’un autre transat où une montre était posée. Il fit tomber sa propre serviette et, d’un geste rapide, prit la montre avant de s’éloigner. Bien qu'il réussisse à jouer le comédien, Samir sentait une boule se former dans son estomac. Il se rappelait des premières escapades : les cabanes, les caravanes, les petites arnaques de bouteilles... Tout cela semblait presque inoffensif en comparaison de ce qu’ils faisaient maintenant. Là, ils volaient directement des gens, des inconnus qui pensaient être en sécurité.
Après plusieurs vols réussis, ils quittèrent la piscine, leurs sacs remplis de portefeuilles, d’objets de valeur et de vêtements de marques. Samir savait qu’ils avaient franchi une nouvelle limite. Il ne disait toujours rien, mais au fond de lui, il savait que quelque chose devait changer.
Ce jour-là, une violente dispute éclata entre Dragan et Luca. Tout avait commencé par une simple provocation, mais les choses dégénérèrent rapidement. Les insultes volèrent, puis les coups. Dragan, furieux, asséna à Luca un coup qui le fit tomber au sol. Mais il ne s’arrêta pas là. D’un mouvement rapide, il frappa Luca à la gorge alors qu’il était déjà à terre. Samir, pétrifié, n’eut pas le temps de réagir.
C’était une des bagarres les plus violentes qu’il avait vues dans ces villages, bien qu’il se souvenait aussi d’une autre bagarre cette année, où la mère d’un élève et un de leur camarade s’étaient battus. Ce jour-là, notre camarade de classe et cette maman s’étaient battus. C’étaient finalement les élèves eux-mêmes qui avaient dû séparer les combattants, alors que les enseignants passaient à côté, indifférents. Cela s’était passé juste avant la reprise des cours de l’après-midi. Jusqu’à cette année, Samir et ses amis n’étaient que spectateurs des bagarres des plus grands, mais désormais, ils étaient eux aussi acteurs de cette violence qui gagnait peu à peu leur classe.
Luca resta au sol, groggy, tandis que Dragan, essoufflé, se calmait peu à peu. « Ça te servira de leçon, » grogna-t-il en s’éloignant. Cette bagarre marqua leur amitié de manière paradoxale. Dragan avait imposé son autorité, mais au fond, les deux savaient que cela les avait rapprochés d’une certaine manière.
Cette journée restera gravée dans la mémoire de Samir. Il n’avait pas encore réagi, mais cette violence ne lui plaisait plus. Que ce soit les vols ou les bagarres, tout prenait une tournure qu’il ne reconnaissait plus. Mais il était encore incapable de tout laisser derrière lui.
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