De l'école à la rue

4 minutes de lecture

La première année où Samir, Dragan et Luca se retrouvèrent ensemble à l’école marqua plus qu’une simple amitié. C’était une période de changements profonds, où tout un groupe de jeunes cherchaient à affirmer leur identité. Pour beaucoup, cette identité passait par la musique et les vêtements. Au début de l’année, tout le monde écoutait les gros tubes qui passaient à la radio : de la dance, des hits internationaux, des morceaux qui tournaient en boucle. Mais peu à peu, les goûts se raffinaient, et des clans musicaux se formaient.

Un groupe, qu’on appelait les « métalleux », s’imposa rapidement. Ils portaient des t-shirts à l’effigie de groupes comme Nirvana, Guns N' Roses, Iron Maiden ou encore Megadeth. Toujours avec des jeans déchirés, ils affichaient leur appartenance à une culture plus sombre, plus rebelle. Avec leurs cheveux longs, des vestes en cuir ou en jean, ils avaient l’air de vivre dans un monde à part, leur univers forgé par les riffs métalliques. Pendant les récréations, on les voyait branchés à leurs walkmans, hochant la tête au rythme des guitares, complètement absorbés dans leur bulle.

D’autres, au contraire, se tournaient vers la musique électronique. Hardcore, gabber, trance : ces sons venus des raves clandestines et des clubs résonnaient avec l’envie de se perdre dans des rythmes frénétiques. Ils portaient des Buffalos aux pieds, des bombers avec les logos Thunderdome, Dominator, Masters of Hardcore et Resonate, dans la mouvance gabber néerlandaise. Avec leurs cheveux rasés, ils affichaient leur appartenance à une techno qui allait toujours plus vite, toujours plus fort, martelée par des rythmes effrénés.

Au début, lui et son groupe n’avaient pas vraiment d’identité musicale propre. Mais Samir, toujours influencé par la culture américaine, adoptait un style vestimentaire qui le démarquait des autres. Il venait parfois à l’école avec des pantalons à l’envers, à la manière de Kris Kross, ou un bandana noué comme 2Pac. Ses baggys étaient larges, et il portait des baskets comme beaucoup d'autres jeunes. Mais là où les autres avaient des sneakers influencées par le monde du basketball, Samir portait des Nike Air Agassi, issues du tennis. Ces baskets étaient un cadeau de sa marraine, car ses parents n’auraient jamais pu les lui offrir. Ce détail le différenciait encore plus, lui qui avait toujours su se démarquer par son style. Tous ses habits semblaient refléter cette différence, et chacun de ses choix vestimentaires en disait long sur son besoin de s'affirmer.

Le rap américain exerçait sur Samir une fascination profonde. Même s'il ne comprenait pas toutes les paroles, il était attiré par l’attitude des rappeurs, leur présence, et leur manière d’imposer le respect. Il passait des heures à écouter des artistes comme 2Pac ou Kris Kross, se sentant connecté à leur énergie. Mais au fil du temps, ce n’était plus suffisant pour lui. C’est Dragan qui leur fit découvrir le rap de rue. Le film La Haine joua un rôle déterminant dans cette transition. Dragan, après avoir vu le film, insista pour qu'ils le regardent ensemble. Ce n’était pas qu’un film : c’était un choc. La brutalité des images, le noir et blanc, mais surtout la bande sonore, marquée par des titres puissants issus de la rue, résonnèrent en Samir comme une révélation. La compilation de musiques inspirées du film incluait des artistes comme MC Solaar et Sens Unik, mais ce furent surtout deux morceaux en particulier qui leur donnèrent un nouveau sens. Avec cette compilation, ils découvraient un autre style de rap, plus brut et plus direct, qui racontait des histoires bien plus proches de leur quotidien.

"Ça, c’est du vrai," avait lâché Dragan avec cette assurance tranquille qu’il avait quand il voulait marquer un point. Samir et Luca acquiescèrent en silence, encore sous le choc du film. Dragan, qui adorait déjà les films de gangsters et l'univers des banlieues, plongea Samir et Luca dans un nouvel univers musical. Les groupes qu’il leur fit découvrir, venus de Sarcelles et Mantes-la-Jolie, parlaient d'une dureté qu’ils n’avaient jamais entendue auparavant. C’était cru, brutal, et pourtant cela résonnait avec leur propre quotidien, même dans leur village suisse tranquille. Ce n'était pas juste de la musique : c'était un miroir de la colère et de la révolte qui bouillonnait en eux.

Dès lors, le rap américain perdit un peu de sa magie pour Samir. Il ne cherchait plus l'exotisme des paroles, mais le concret. Il voulait du réel, du tangible, et le rap français, avec ses récits de galères et de survie, correspondait à ce qu’il vivait au quotidien. Samir se plongea dans ce rap de rue qui ne mâchait pas ses mots. Il voulait entendre de la colère, de la révolte, des histoires qui faisaient écho à son envie de se démarquer, de se révolter. Ce film influença aussi leur manière de s'habiller : hauts de training, baskets blanches, pantalons Levi's. Leur style vestimentaire changea en même temps que leur rapport à la musique.

Luca, lui, suivait le mouvement, bien qu’il n’ait jamais été aussi passionné par la musique que Samir et Dragan. Pour Luca, le rap était juste une autre forme de rébellion, un moyen de se fondre dans un groupe, de partager cette nouvelle identité musicale. Mais pour Samir, c’était devenu bien plus que ça. Chaque chanson était un miroir de son besoin de se démarquer, de crier qu’il existait. Samir commença même à écrire ses propres textes, griffonnant des rimes dans un cahier qu’il cachait au fond de son sac.

À ce moment-là, ils n’avaient encore aucune connaissance de la culture hip-hop. Pour eux, le rap était tout. Ils ne comprenaient pas les autres aspects de cette culture : le graffiti, la danse, l’art du DJing. C’était seulement les mots, les sons, qui comptaient. Et ils se plongeaient dans cet univers avec une passion dévorante.

Annotations

Vous aimez lire Malik Michel El-Suisse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0