La découverte de la ville
Le voyage en train depuis leur gare de village jusqu’au centre-ville durait environ 15 à 20 minutes. Chaque fois que Samir, Dragan et Luca posaient le pied en ville, c’était comme entrer dans un autre monde. La ville était à la fois fascinante et frustrante pour eux. Ils passaient des heures à flâner dans les magasins, à scruter les vitrines, attirés par tout ce qu’ils voyaient : des jeux vidéo, des vêtements, des accessoires qu’ils ne pouvaient pas se permettre. La ville leur offrait une nouvelle forme de liberté, mais aussi une prise de conscience. La valeur des choses. Ils n’étaient plus dans leur village où tout semblait accessible. Ici, il fallait faire des choix.
Leur frustration s’apaisait parfois dans les salles d’arcades, où ils oubliaient le temps. Street Fighter, Daytona, les parties de billard... Ils y passaient des heures. Il y avait même une salle où le pop-corn était gratuit, un luxe qui les amusait autant que les jeux eux-mêmes. Entre deux parties, ils découvraient aussi les McDonald's et les kebabs bon marché, devenant vite des habitués des fast-foods.
Mais leur véritable trésor, c’était les magasins de disques. À cette époque, les CD de rap étaient rares. Ils passaient des heures à écouter un maximum de titres aux casques, avant de se décider à acheter un album. Ils scrutaient les pochettes, les crédits, les dédicaces. Ce qui les fascinait, c’était de voir que tout ce petit monde du rap français semblait se connaître. La majorité des groupes venaient de Paris, quelques-uns de Marseille, et plus rarement des groupes de province. Il y avait aussi des groupes suisses, dont Sens Unik, un groupe local qu’ils avaient toujours suivi avec un intérêt particulier.
À l’école, leur comportement commençait à changer. Samir, Dragan et Luca répondaient de plus en plus aux profs, sans vraiment les craindre. Leurs résultats scolaires, pourtant, ne s'en ressentaient pas. Samir et Dragan faisaient partie des meilleurs de la classe. Malgré cela, ils savaient déjà que cette année serait leur dernière ensemble. Samir et Dragan redoubleraient pour passer en supérieur, tandis que Luca continuerait en options, bien qu’ils restent dans le même collège.
Cette année-là, Samir et d’autres élèves furent sévèrement punis pour avoir lancé des boules de neige depuis le haut de la cathédrale sur des passants en contrebas. Comme punition, ils passèrent un mercredi après-midi en retenue avec leur prof de physique. Ce dernier les obligea à calculer la vitesse, la hauteur, et l’impact des boules de neige. C’est à ce moment-là qu’ils réalisèrent que leur bêtise aurait pu tuer quelqu’un. Quand ils avaient lancé les boules, ils n’avaient pas mesuré la gravité de leur geste. Ce qui leur paraissait être une simple farce s’était avéré bien plus dangereux qu’ils ne l’auraient imaginé.
Lors des camps de ski, un autre fossé se creusait. Il y avait une différence évidente entre les familles suisses qui faisaient du ski chaque week-end, louaient des chalets à la saison et passaient leurs vacances de Noël et de février sur les pistes, et les autres. La pratique du ski avait un certain coût, et Samir, Dragan et Luca, eux, n’étaient pas de ceux qui pouvaient se le permettre. Ils se retrouvaient toujours dans les groupes de débutants, ne partageant pas la même expérience ou les mêmes privilèges que leurs camarades de classe.
Lors des courses d'école, les blagues et les farces ne manquaient pas. Ils trouvaient toujours une nouvelle victime parmi leurs camarades. Un jeu favori consistait à se tenir tous par la main, formant une chaîne, puis l'un d'entre eux touchait le fil électrique destiné aux vaches. Celui qui se trouvait en bout de chaîne, la "victime", se faisait secouer par la décharge. Les éclats de rire résonnaient dans les champs à chaque fois que le dernier de la chaîne recevait la décharge. Personne n’y échappait, tout le monde finissait par y passer à un moment ou un autre. C’était devenu une sorte de rite entre eux.
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