Le Dernier Service
Après la rupture avec Dragan et Luca, Samir se sentait à la fois soulagé et perdu. Il avait mis fin à sa complicité avec eux, mais il savait aussi que cela marquait un tournant dans sa vie. Désormais, il allait devoir se construire un autre chemin, loin des petits larcins et des magouilles. Mais ce n’était pas si simple. Le village, bien que paisible en apparence, regorgeait de tentations et d’influences malsaines.
Samir avait déjà commencé à fréquenter la bande des Marais, un groupe avec qui il avait des liens de longue date. Ils venaient du même quartier, et bien avant la rencontre avec Luca et Dragan, Samir avait fait sa scolarité avec certains membres de cette bande. Ils passaient du temps ensemble à faire du roller, à construire des cabanes dans la forêt ou à faire des tours en vélo sur des chantiers. Le groupe partageait aussi une passion commune pour le rap, ce qui renforçait leur lien. Enfants, ils jouaient aux légos, collectionnaient des timbres, faisaient de grosses parties de Monopoly, ou passaient des heures sur la Super NES chez Julien, tandis que Samir et ses frères jouaient encore sur la NES.
Julien venait d’une famille qui ressemblait étrangement à celle de Samir. Ils étaient trois frères, tous espacés de deux ans. Samir avait le même âge que le frère du milieu. Le père de Julien, ingénieur charpentier, était l’un des premiers dans le quartier à posséder un ordinateur. Sa mère, enseignante, était respectée dans la communauté. Ces souvenirs d’enfance partagés avec la bande des Marais apportaient à Samir un certain réconfort. Il se sentait encore connecté à ce groupe, malgré sa récente histoire avec Dragan et Luca.
Le passage de Samir de la bande de Dragan à la bande des Marais ne fut donc pas une rupture totale avec le passé, mais plutôt un retour à une amitié plus ancienne et plus stable. Cette nouvelle bande était différente. Julien, un peu plus âgé que les autres et leur meneur naturel, était charismatique, rusé, et savait comment éviter les ennuis. « Ici, on fait gaffe à ce qu’on fait, » lui avait dit Julien. « On prend des risques, mais on ne se fait jamais choper. Si jamais t’as des soucis, surtout, parle pas de nous. »
Samir comprenait les règles tacites de ce nouveau groupe. Julien, bien que plus subtil que Dragan et Luca, n’avait rien d’un enfant de chœur. Et pourtant, Samir trouvait un certain réconfort dans cette nouvelle dynamique. Les vols étaient plus discrets, moins violents, mais tout aussi excitants. Avec Julien à la tête de la bande des Marais, tout semblait bien plus calculé.
Cependant, il n’avait pas totalement coupé les ponts avec Dragan et Luca. Même s’ils ne traînaient plus ensemble, ils se croisaient parfois dans les ruelles du village ou dans les petits commerces. Luca, fidèle à lui-même, lui lançait des piques à chaque rencontre, essayant de le rabaisser pour avoir quitté leur bande. Dragan, lui, restait silencieux, mais son regard en disait long. Il se sentait trahi.
Un événement marquant survint lorsqu’un jour, Dragan et Luca décidèrent de braquer le petit magasin où ils avaient autrefois commencé leurs arnaques de bouteilles consignées. Cagoulés et armés d’un pistolet à bille, ils menacèrent le gérant. Ils braquèrent la caisse et s’enfuirent avec l’argent. Ce coup, bien plus audacieux que leurs précédentes magouilles, fit trembler le village. Samir n’avait pas participé à ce braquage, mais il savait ce qui s’était passé.
Malgré cela, Samir garda le silence. Il ne balança jamais ses amis, même dans les moments les plus tendus. Pour cela, Dragan et Luca l’ont toujours respecté. Son intégrité, bien que parfois mal placée, leur montrait qu’il restait fidèle à un code d’honneur, même s’il avait décidé de prendre ses distances.
Le point de non-retour arriva quelques mois après leur séparation. Un soir, alors que l’hiver approchait, Samir reçut un coup de fil de Dragan. C’était inhabituel. Ils ne se parlaient plus depuis longtemps, mais ce soir-là, Dragan avait besoin de lui. « Samir, j’ai besoin d’un service, » dit Dragan d’une voix pressée. « Tu pourrais me passer des gants en plastique ? Ceux que t’as chez toi, pour faire le ménage. »
Samir, pris au dépourvu, ne sut quoi répondre sur le moment. Il savait que Dragan tramait quelque chose, mais il ne voulait pas en savoir plus. Il hésita longuement, partagé entre son envie de couper les ponts et son attachement résiduel à Dragan. Finalement, il céda et lui donna les gants sans poser de questions. Dragan repartit en vitesse, sans donner plus de détails.
Ce n’est que quelques jours plus tard que Samir apprit ce qui s’était passé. Dragan et Luca avaient décidé de cambrioler la bijouterie du village. Avec les gants en plastique pour éviter de laisser des empreintes, ils avaient pris une grosse pierre et fracassé la vitrine en pleine nuit. En quelques minutes, ils s’étaient emparés de plusieurs bagues, montres et colliers avant de disparaître dans l’obscurité.
Le village entier fut choqué par ce cambriolage. Les rumeurs allaient bon train, mais personne ne soupçonnait encore Dragan et Luca. Samir, quant à lui, se sentait piégé. Il n’avait pas participé au vol, mais il avait fourni les gants. Même si son rôle avait été minime, il savait qu’il était impliqué, et cela le rongeait de l’intérieur. Chaque regard des habitants lui semblait chargé de suspicion, même s’il savait qu’ils ne pouvaient rien prouver.
Quelques semaines plus tard, Samir reçut une convocation de la police. Ses mains tremblaient en lisant la lettre. Il se demandait si c’était pour le cambriolage de la bijouterie. Malgré sa décision de s’éloigner, il avait toujours peur d’être rattrapé par ses erreurs passées.
À sa grande surprise, la convocation n’avait rien à voir avec la bijouterie. Il s’agissait d’une enquête sur des dommages à une maison abandonnée dans le village, une affaire qui impliquait une cinquantaine de jeunes des villages voisins. Julien, qui était impliqué dans cette histoire, avait donné une consigne claire à Samir et aux autres membres de la bande des Marais : « Ne parlez que de la maison. Ne mentionnez rien d’autre. »
Samir suivit ces instructions à la lettre. Quand il se retrouva face aux policiers, il garda son calme et ne parla que des faits concernant la maison abandonnée. Il savait que, s’il disait la moindre chose en plus, cela pourrait le plonger dans des ennuis bien plus graves. Les heures d’interrogatoire furent longues, mais Samir garda son sang-froid. Au final, il s’en sortit avec une peine légère : quelques jours de travaux d’intérêt général pour violation de domicile et dommage à la propriété. Il se jura que ce serait la dernière fois qu’il aurait affaire à la justice.
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