4 - Ceci n'est pas la civilisation de la science

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Le rapport entre la science et les consommants est parfaitement dissonant : elle est utilisée à la fois comme argument d’autorité quand elle sert à justifier le discours capitaliste – à mentir quant à sa valeur ou son fonctionnement – mais devient une vulgarité quand elle s’y oppose sans aménagement possible au culte de la marchandise. Le consommant se dit rationnel quand le corps, poussé par la vitalité, à besoin d’être maté par la conservation, puis libre d’envie quand l’âme est prise dans les tourments auto-destructeurs. La science joue tour à tour le rôle de bourreau et celui d’une contrainte dérisoire.

Le consommant n’est jamais rationnel : il glorifie la civilisation par les progrès de la médecine sans jamais pouvoir considérer les drames écologiques et meurtriers qu’elle génère ; il dit valoriser la culture cosmopolite mais ne comprend cela que sous la forme si vide et si désincarnée de la marchandise ; il plaide l’universalisme de l’égalité humaine comme raison suffisante de la société même qui dépend de l’esclavage de masse structurel et mondial ; le culte du soi est célèbre constamment mais bien sûr sous la forme dépersonnalisée et narcissique du spectacle ; la critique du système – même quand elle est identitaire, récurante – est intégrée comme une habitude et jamais concrétisée par aucune action politique ; il parle de l’amour des autres civilisations, de leurs valeurs primitives, mais accepte de nourrir un système qui les exterminent, les chassent, les rendent misérables ; il dit aimer les relations sociales mais ne les vit qu’à travers la marchandise, jamais pour sa transcendance ; sa position sur les narcotiques est d’une telle soumission qu’il rejette moralement tous ceux pouvant révéler une puissance ou une jouissance, pour s’adonner aux léthargiques, aux drogues idiotes et serviles ; il porte au cœur de sa philosophie la science sans jamais y intégrer l’analyse scientifique même, ou l’ensemble des méthodes : il réalise l’exploit d’utiliser la science uniquement dans un aspect moral, comme simple argument d’autorité pour la confirmation du spectacle.

Être capable de telle contradiction sans pouvoir à un moment s’en rendre compte, sans pouvoir s’y opposer : c’est là un signe puissant de la domination de la conservation, de là la soumission de l’esprit rationnelle sur la peur. Il en vient à utiliser la science tel le chrétien son dieu, comme un bouche trou philosophique passe partout, comme une flatterie hypnotique adressé à la raison – pour toujours la maintenir faible, docile.

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La prétention ultime du consommant : la croyance au libre arbitre. Ce concept le mieux réfuté de l’histoire de la science et de la philosophie, porté par une naïveté totale par le peuple même se considérant comme l’aboutissement du savoir et de la rationalité. Il y croit et la structure sociale le transmet pour une raison : cette croyance est une arme magnifique pour la décadence.

Seul le libre arbitre permet d’être à ce point dominé : pourquoi vouloir se libérer si on se sent déjà comme tel ? Le consommant peut dès lors totalement se définir par l’extérieur, tomber dans l’ensemble des pièges identitaires : toujours, lorsqu’on se croit libre, nous sommes incapables de voir la domination. Les dominations et narcotiques ne semblent qu’une broutille insignifiante. Seul le libre arbitre permet de donner tant d’autorité aux caprices et aux besoins matériels, ressenti comme une volonté personnelle : la volonté inhibe la curiosité vis-à-vis des causes réelles des actions, elle empêche la spiritualité de se développer.

Le libre arbitre oppose au déterminisme évident de la nature une fierté, de sorte à donner à la question politique, psychologique et philosophique un enjeu identitaire – que l’ensemble des questions extérieures engagent la personne même dans la réflexion, pour devenir incapable de tout recul.

Elle est une croyance folle, une opposition radicale à la science, à ses méthodes, à son histoire, elle est la clé de voûte de tout le système des consommants : elle justifie les fuites, les réévaluations, l’ignorance dans le confort de l’orgueil sans jamais dompter l’instinct – bref, elle est l’incarnation conceptuelle et moderne de la décadence même.

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