Chapitre 5 - L'Université

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Vincent bailla en entrant dans sa douche.

Désormais étudiant officiel à l'Université, on lui avait permis de faire partit de l'internat pour des raisons évidentes : il était devenu boursier. Curieusement, Escoffier l'avait recommandé, ce qui lui avait conféré un statut particulier. Même si l'entrée de Vincent avait été payée de sa poche, toutes les fournitures nécessaires à sa scolarité seraient pris en charge.

Ce système avait été proposé dès la création de l'Université par l'Archon Yennaria elle-même : les élèves sont à ses yeux tous les mêmes, nobles ou non, et seuls ceux qui se démarquent par leurs prouesses ont le droit à la bourse. Sachant que Vincent avait obtenu un score de 100/100 à son examen d'entrée, alors qu'il était tombé avec le professeur le plus strict et le plus grincheux qui n'avait jamais donné un score supérieur à 70 à un élève, on parlait de lui comme d'un nouveau prodige.

Pour un voleur, se faire connaître n'était pas bon. Mais Vincent souriait : il avait accompli sa première tâche. Restait à savoir si cette dernière lui permettait d'accomplir la suite de son merveilleux plan.

Prendre une douche lui fit le plus grand bien ; la plupart de ses ablutions, il les faisait dans la rivière qui descendait de la montagne, avec un gros savon qui ne sentait que le gras juste pour se débarrasser des immondices. Mais Fontaine était une nation assez avancée pour construire un système de canalisations et des mécanismes comme les douches.

Où Vincent en avait-il eu entendu parler ? Les livres, encore une fois...

Ici, le savon sentait la lavande, parfum peu cher et facile à produire en masse. Mais l'odeur douce était une caresse pour ses narines, aussi il frotta avec attention toutes les parties de son corps couvert de cicatrices. Il y en avait beaucoup, certaines n'étant pas encore complètement brunes.

Quand il eut terminé, il sortit de la douche.

Pour se changer les idées, il ouvrit la fenêtre de la chambre : il se trouvait face au jardin, mais personne ne flânait sur les bancs entourés des fleurs, des fontaines et des petits oiseaux pépiants. Vincent sentit le vent frais sur sa peau nue, appréciant le contact du marin qui le caressait avec douceur.

- Et ça c'est notre chambre, à moi et à Vinc... fit la voix de Henry en ouvrant brusquement la porte, mais s'arrêta net.

Vincent se retourna, pour découvrir qu'Henry, le visage aussi rouge qu'une tomate, était accompagnée...

Cette fille...

Quand il croisa son regard d'ambre, elle le rendit avec un air farouche. Puis elle le toisa de la tête aux pieds, comme si elle... le jugeait ? D'ordinaire, Vincent n'aurait pas sourcillé, ou il aurait juste fait le paon. Mais là, pour la première fois de son existence, il sentit croître en lui une sensation étrange, brûlante, comme si ses entrailles s'étaient retournées et s'enroulaient dans tous les sens.

- Vincent ! cria Henry en se cachant les yeux. Tu aurais pu t'habiller tout de suite !

- Je...(ce dernier n'arrivait pas à répliquer, puis il dit : ) Excuse-moi...

Il attrapa son pantalon et l'enfila en toute hâte, tandis qu'Henry se confondait en excuses.

- Il est comme ça à cause du fait qu'il ne côtoie jamais grand monde, expliqua-t-il précipitamment. Il faut pas lui en vouloir, en mer les gens se lavent nus, et il a fait un long service là bas en tant que mousse. Je suis vraiment navré, j'aurais du toquer et...

- Ce n'est pas la peine, répondit tranquillement la fille. Ce n'est pas comme si ton ami Vincent était une horreur sans nom.

C'était la première fois qu'il entendit sa voix. Celle-ci était mesurée, fière et étrangement attirante. Comme un rayon de soleil qui perce les nuages d'hiver, offrant une chaleur méritée dans un froid glacial. Vincent frissonna, mais ça n'était pas à cause du vent.

D'un geste vif, il attrapa sa chemise et l'enfila, bouton par bouton, mais il s'emmêlait les pinceaux. Pour tenter de reprendre le contrôle, il demanda :

- Tu as l'air de connaître mon nom. Henry, présente-moi ta charmante amie, veux-tu ?

- Voici Lumine Fallenstar, une de mes camarades de classe. Lumine, voici mon très regretté ami Vincent D'Ambroise.

- Enchanté de faire votre connaissance, et ce dernier tendit sa main.

- De...même, répliqua Lumine en lui rendant sa poignée. Vous avez déjà acquis une certaine réputation au sein des premières années.

- Oh ? En quoi, si je puis me permettre ? fit mine de s'étonner Vincent.

- Apparemment, vous avez réussi à passer le test de M. Escoffier à la perfection. Et que, malgré votre statut non noble, vous avez jusqu'à réussi à faire en sorte qu'il vous recommande.

- Vous me flattez trop !

- Je ne flatte jamais. Je constate, signala la jeune fille avec un regard méfiant, puis se tourna vers Henry : Je te laisse, je dois aller me changer pour le cours de sport. À tout à l'heure.

- À tout à l'heure, sourit Henry en lui disant au revoir de la main. Quand elle ne fut plus là, il se tourna vers Vincent avec un air horrifié : Tu pourrais me dire quand tu prends ta douche, j'aurais pu aviser !

- Relax... Elle n'avait pas l'air d'être choquée, non ?

- Elle doit te prendre pour un exhibitionniste... Aaah... Et moi qui croyait que ma première amie universitaire n'allait pas m'associer à un voyou dans ton genre...

- Je suis blessé ! rigola Vincent en tapotant l'épaule de son ami. Mais ne t'inquiète pas : elle a dû voir que tu étais un type sérieux et intelligent, ça l'a tout de suite attiré !

- Tu...Tu crois ?

- Mais oui, gros bêta !

- Soit dis-en passant, changea de sujet Henry, tu as beau être dans une autre classe, nos cours pratiques nous mélangent. Je pourrais enfin voir comment tu arrives à faire toutes les merveilles d'ingénieur que tu accomplissais au domaine !

- C'est pas grand-chose, tu sais... Un peu de savoir par-ci, une goutte de talent par-là...

- N'empêche que tu es impressionnant. Comme si t'avais ça dans le sang.

Le regard de Vincent s'assombrit un instant, avant de redevenir pétillant et rieur. Il tapota encore l'épaule de son ami puis enfila sa tenue de sport avant de sortir de la chambre ; Henry était très pudique, surtout en présence de Vincent d'après Robert. Le premier se demandait bien pourquoi... Il chassa ces pensées inutiles d'un haussement d'épaules, et descendit les escaliers.

Après avoir traversé les longs couloirs de l'académie, il sortit pour atteindre le terrain de sport. Là-bas, une quarantaine d'étudiants discutaient entre eux, s'étiraient ou griffonnaient sur un bloc-notes, le cours n'ayant pas encore commencé. Vincent s'approcha d'un groupe de deux garçons et une fille, qui se tournèrent vers lui.

- Bonjour !

- Bonjour... fit la jeune fille, rousse et portant des lunettes, en détournant légèrement le regard

- Salut ! fit un blondinet au regard vif et vraisemblablement agité.

- Hey ! (le type qui l'avait interpellé était un grand gaillard aux cheveux rouges et aux sourcils proéminents, avec un nez épaté) Mais t'es celui dont tout le monde parle, non ?

- Le Ravissard ? se moqua Vincent.

- Mais non ! Le "petit prodige d'Escoffier" qu'on te surnomme. Moi c'est Pascal Thibault, lui c'est Edmond de Villiers (il montra le blondinet qui lui sourit de toutes ses dents en levant son pouce) et elle c'est Annette Lafaille (la jeune fille s'inclina poliment). C'est quoi ton petit nom.

- Vincent D'Ambroise, répondit-il. Diantre, je ne pensais pas que vous seriez si prompt à vous acoquiner avec une personne de mon rang...

- Que veux-tu dire par "de mon rang" ? demanda naïvement de Villiers, un noble si on se fiait à son nom.

- Je n'ai pas de sang bleu.

Les trois amis se régardèrent, puis les deux garçons éclatèrent de rire. Ce fut la fille qui répondit à la confusion de Vincent :

- Bien qu'il n'y ait qu'Edmond qui soit noble de naissance, aucun d'entre nous n'aime traîner avec ces vantards.

- Ouaip, confirma le dit Edmond en croisant ses bras derrière sa tête. Je préfère la compagnie de gens qui m'apprécient pour ce que je suis plutôt que des personnes qui ne regardent que mon rang.

- Bien d'accord, ajouta le gaillard.

Vincent sourit : même ici, la noblesse dévoilait ses faiblesses. Pour soutenir la conversation, il s'enquit :

- Si Edmond... Je peux t'appeler Edmond ?

- Bien sûr, c'est plus sympa !

- Merci... Si Edmond est noble, d'où venez-vous ? Si cela n'est pas trop indiscret ! ajouta Vincent avec un faux regret pour sa "maladresse".

- Je suis la fille de deux chercheurs, répondit Annette. J'étudie l'épistémologie afin de devenir historienne.

- Moi, je suis le fils d'un capitaine de la Garde, clama avec un regard fier Pascal. Je souhaite étudier l'histoire pour dépasser mon père en grade et le rendre fier !

- Pour ma part, c'est ma famille qui m'a envoyé ici pour me faire des contacts, haussa des épaules Edmond. Je ne regrette pas vraiment ma venue, mais j'aime pas trop étudier de base... Et toi ?

- Fils de pêcheur (les autres écarquillèrent des yeux ; ils pensaient peut-être qu'il était bourgeois, fils d'artisan ou même d'artiste), et je viens étudier l'histoire politique de Fontaine, ainsi que le droit.

- T'as pris la matière la plus difficile, frissonna Edmond, et ses deux amis acquiescèrent.

- Ah bon ?

- Oui, soutint la fille à lunettes. C'est la matière qui est considérée comme la plus élitiste et la plus difficile à apprendre, non seulement parce que le programme est chargé mais aussi à cause des nombreux stages que l'université d'accomplir ! Et il n'y a que trois élèves qui ont prit cette option chez les premières années !

Des nombreux stages, hein ? Bien, ça m'arrange... Mais il était curieux de savoir qui d'autre que lui avait voulu braver les affres de l'option droit. Vincent sourit avec une fausse gêne, en se frottant l'arrière du crâne :

- Je pensais que ce serait simple, ha ha...

- Tu vas roter du sang, gémit Edmond, avant de s'attirer un regard noir d'Annette, et il se ravisa : Mais si tu veux, on peut devenir potes !

- Cela ne vous dérange pas de traîner avec le "prodige" ? ironisa le nouvel argenté.

- Mais non, tu as l'air d'être quelqu'un de fiable et d'honnête, sourit Pascal. Crois-moi, je sais sentir ses choses là !

Tu dois être enrhumé, alors....

- Merci, les...

- "amis" ? compléta Edmond en tendant sa main.

Vincent la prit avec un sourire, puis ils continuèrent à discuter de choses connues des étudiants seuls, jusqu'à que la professeur arrive.

D'un coup, le jeune argenté se pétrifia.

Leur professeur de sports n'était autre que Brigitte Leavitt en personne ! Tandis que tout le monde la regardait avec déférence et admiration, Vincent faillit lâcher un "tss" de mécontentement ; pourquoi était-elle là ? Est-ce que Ghislaine l'aurait... Non, pensa-t-il à toute vitesse. Si c'était le cas, je serais déjà derrière les barreaux en train de compter les gouttes d'eau s'écrasant contre les pierres.

L'hypothèse la plus probable résidait dans le fait que, de par le statut spécial de Leavitt, elle avait été recommandée comme professeur cette année. Sa présence était tout à fait justifiable, mais cela ralentirait peut-être Vincent... ou pas.

Un plan commença à germer dans son esprit, comme l'idée qu'il avait eut pour l'Université. Un plan à la fois diabolique et génial, qui lui permettrait de se débarrasser du Capitaine Leavitt en bonne et due forme.

- Que ce soit clair ! cria-t-elle à la foule d'élèves qui se massait devant elle. En vous inscrivant à l'Université, vous êtes automatiquement considéré comme faisant partie de la Garde, jusqu'à que vous décidiez du contraire ou non à la fin de votre cursus.

Elle marcha devant le rang de personnes qui s'était formé. Elle ne s'arrêta que pour regarder certains qui ne semblaient pas assez concentrés pour leur lancer un regard autoritaire pour les faire redresser.

- Notre Université n'est certes pas l'Académie de Sumeru. Presque tout le savoir que nous avons accumulé viennent de nos scientifiques qui ont étudié là-bas.

Elle s'arrêta, faisant face à tous les élèves. Malgré le fait qu'elle avait le même âge qu'eux, sa posture et son charisme la faisait paraître gigantesque.

- Mais ce qui fait notre force, c'est notre droiture. Le respect de nos lois. Notre indéfectible attache à l'égalité et la justice. Et c'est en apprenant à agir comme un soldat qu'on apprend à respecter les règles de la société (elle présenta la terrain). C'est ici que vous vous entraînerez deux à quatre fois par semaine, en fonction des options que vous avez choisi en entrant dans cet établissement.

Elle se tourna vers Vincent, qui se tendit.

- Toi !

- Oui, madame ?

- Tu vas nous faire une démonstration de tes talents, vu que tu t'arroges le titre de "génie".

- Je ne..., mais la capitaine la coupa :

- On ne discute pas mes ordres, gronda-t-elle en caressant le martinet qu'elle utilisait à coup sûr pour les provocateurs. Va sur le parcours, et montre-nous comment tu te débrouilles.

Vincent soupira, et marcha lentement jusqu'au départ du parcours : il s'agissait d'un espace simple pour travailler sa vitesse, ses réflexes et son agilité. Construit avec un assemblages de pièges non mortels et de différentes épreuves physiques, ce parcours avait l'air d'être quasiment impossible pour un nouvel élève pas entraîné.

Du gâteau, pensa l'argenté avec un tel ennui qu'il faillit bailler.

- Eh bien ? cracha Leavitt. Qu'est-ce que t'attends ?

Il s'élança.

Le premier obsctale, c'était des piliers tournoyants avec des morceaux de bois accrochés à sa surface de différentes longueurs ; Vincent plia son corps dans tous les sens, retrouvant la joie de l'adrénaline et du danger, et passa au travers du premier obstacle en une trentaine de secondes. Le second, c'était de l'escalade ; chose simple pour lui, il gravit la fausse montagne avec l'agilité d'un chat de gouttière. En quarante secondes, il avait escaladé les 90 mètres requis, puis descendit par un toboggan.

Le dernier obstacle, c'était la vitesse : une piscine longue de cent mètres était remplie d'un fluide non-stalaquien, un liquide qui se durcissait en fonction de la force qu'on lui appliquait. Si la personne courant dessus n'était pas assez rapide , il s'enfoncerait comme dans de la vase.

Vincent se brouilla sous les exclamations étonnées de élèves.

En environ une dizaine de secondes, il avait dévoré toute la longueur. Et en tout, le parcours ne lui avait prit que deux minutes. Surjouant sa victoire, il passa sa main dans ses cheveux humides tout en regardant Leavitt d'un air narquois ; celle-ci, en revanche, lui jetait un regard d'une fureur insondable.

- Bah alors, vous autres ? hurla-t-elle en se tournant vers le reste de la classe, ce qui les firent sursauter. Vous allez rester là à le regarder ? Faites-moi le tiers de ce qu'il a fait d'ici la fin de la semaine, où je vous promets que vous allez le regretter, finit-elle en faisant claquer son martinet.

Les élèves blêmirent, puis affrontèrent l'épreuve un à un. Personne ne fit un aussi bon score que Vincent, mis à part Pascal qui réussit à faire un temps deux fois supérieur à lui, ce qui compte tenu de sa corpulence restait impressionnant.

Soudain, un élève qui tenait un chronomètre cria :

- 11 secondes ? Wouah ! Tu es trop forte, Lumine.

Vincent se tourna vers l'élève, et il la vit : elle ne lâchait même pas une goutte de sueur, fière et puissante comme quand il l'avait vu le premier jour. Elle croisa son regard, et Vincent sentit clairement le défi qu'elle lui lançait.

Enfin, un adversaire à ma taille !

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