Chapitre 2-Première Impression
Ce fut à 23 h 54, un soir d'avril 1952, que l'histoire de la vie de Georges commença. Heure propice aux mystères et aux rêves… Dans une petite ville de Gascogne, à l’intérieur d’une maternité, la température remontait doucement à vingt-trois degrés et l’accouchement se déroulait sans encombre. L’air vibrait du souffle haletant de Rosa Roche. Celle-ci baignait dans une odeur anesthésiante de chloroforme. Insensibles aux effluves, deux sages-femmes à blouse blanche l'entouraient et la calmaient. La parturiente avait besoin de ces présences rassurantes. Comme toutes les mères, elle se demandait à quoi ressemblerait l’enfant qui allait naître. Elle n’avait pas à attendre longtemps, car après quelques minutes, le cri d'un nouveau-né retentissait. Une infirmière, visiblement fatiguée, annonça :
— C'est un beau garçon. Mes félicitations.
— J'en étais sûre. C’est ce que je souhaitais. Je suis heureuse.
Elle regarda la tête du nouveau-né.
— Vous avez vu la marque sur son crâne ?
— Rassurez-vous. Ce n’est rien de grave. C’est courant. C’est une tache de naissance.
Maintenant, un silence agréable s'installait, interrompu seulement par les bruits lointains de l'hôpital. L’accouchée remerciait le personnel médical. Elle mit son nouveau-né contre sa poitrine. Elle profita de ce moment spécial. « Mon enfant est merveilleux. »
On laissa la jeune mère et son poupon se reposer. On prévint René, le mari, de l’heureuse nouvelle. Celui-ci attendait patiemment au fin fond de la pièce à côté.
Il entra. Dans les trente premières secondes, son esprit s'activa à une vitesse fulgurante. Il captura chaque détail de l’enfant pour former une impression immédiate. Son regard, dans le premier contact, révéla une multitude d'émotions successives : hésitation, malaise, contrariété, hostilité, haine. Le cri strident du bébé ajouta une dimension sonore à cette première évaluation. En un instant, son subconscient assembla ces indices pour créer une image initiale totalement néfaste. Cette impression aurait pu être fugace, mais elle s’est ancrée en lui. Elle était tellement tenace qu’elle provoqua une émotion glaciale, tel un voile sombre tombant sur un cœur de pierre.
Cet état psychologique du père est ce que les psychologues appellent un biais de la première impression. Il se produit lorsque les premières informations reçues au sujet d'une personne ou d'une situation influencent de manière disproportionnée la perception. René se forma alors un jugement qui se poursuivit par une réflexion mentale.
— Je te regarde. Tu ne me ressembles pas. Rien, ni tes yeux, ni ton menton, ni même ton odeur… Tu n'es pas l'enfant que j'espérais. Je ne te rêvais pas ainsi. Tu représentes un nouvel échec dans ma vie. Suis-je un monstre ?
Alors qu’il se plongeait dans ses funestes pensées, la voix cristalline de Rosa s’éleva, douce et fragile.
— Quel prénom veux-tu lui donner, mon chéri ?
— Je ne sais pas, je te laisse décider.
— Bien, j'ai le choix, ce sera donc Georges. Je te promets que tu vas adorer ton fils et son prénom.
Cette réponse provoqua quelque chose d'étrange et de troublant au fond des yeux du père. Ses mains, habituées à des gestes mesurés de comptable, tremblèrent légèrement. Une tension sourde se posa sur ses épaules et son dos. Il réalisa avec tristesse qu'il n'éprouvait aucun amour envers un petit garçon qui se révélait être pourtant le sien.
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