Chapitre 4-Pressentiments et Platanes

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Après l’épisode du clerc de mairie, René avait besoin d’aérer son esprit. Dans ce but, il décida de se rendre à un endroit qu’il aimait, les allées d’Étigny. Il longea le Café Darolles. À l’intérieur, un juke-box jouait en boucle « Rock the Joint » de Bill Haley. Afin de se réchauffer, il esquissa un pas de danse et remonta le col de sa veste. Après avoir dépassé l’Hôtel de France, il gravit quelques marches.

Arrivé sur les allées, il foula une pelouse pour atteindre une dalle bétonnée. Là, un banc l'attendait. Il s'assit. Malgré sa position confortable, il ressentait une vague de malaise. Vous savez, ce genre de pressentiment que quelque chose tente de vous communiquer un message étrange. Soudain, les paroles de Bill Haley commencèrent à se distordre, devenant étrangement incompréhensibles et inquiétantes. Le rythme entraînant se transforma en une mélodie discordante et oppressante. Ce changement eut une conséquence sur le cerveau de René. La perturbation musicale était le signe avant-coureur d'événements surnaturels troublants à venir. Sur un couplet, sa vue se brouilla. Les passants autour de lui réagissaient de manière inhabituelle ; certains se figeaient, d'autres paraissaient perdus en une transe étrange. Il se ressaisit.

Alors qu’il étira ses bras. Il leva les yeux et les rayons du soleil l’éblouirent. Une nuée d’oiseaux s’envola d'une toile d'araignée de branches entrelacées. Il se sentait isolé au milieu des promeneurs. Sans la présence de Rosa, son épouse, à ses côtés, c’était un homme seul, perdu dans une marée mouvante. Il ne se reconnaissait pas dans ces gens qui bavardaient, riaient, se pressaient les uns contre les autres. Il fumait plusieurs cigarettes en prenant soin d’éparpiller les mégots éteints à l’intérieur d’une poubelle à sa droite. Il songeait nerveusement aux difficultés qu’engendrait le fait d’être père. Celui-ci était un voyage complexe parsemé de défis et de découvertes. Il se trouvait confronté à un mélange d'agitations intenses et contradictoires, au terme duquel la haine l’emportait.

Au beau milieu de ces allées, majestueusement dressés, une quarantaine de platanes trônaient là. Leurs feuilles, suivant un ballet élégant, tombaient en vol plané, d'une lenteur d'abord, puis plus rapidement, lorsque l'angle de chute devenait aigu. Sous ce spectacle de danse, deux fillettes, l'une à vélo et l'autre à trottinette, franchirent l'allée face à Georges. Les gamines déposèrent leurs jouets au sol, puis se couchèrent, abritées par les arbres. La première, une brune, celle qui avait la bicyclette, posa une question à la façon dont le font les enfants pour s'amuser en jouant sur les sonorités de la langue.

— Tu préfères les brocolis ou les « brocoulous » ? demanda la brune en riant.

La blonde, aux yeux violets, plissa les yeux, intriguée.

— C'est quoi, les « brocoulous » ? Ça n'existe même pas !

— Mais si, c'est comme les brocolis, mais avec un nom rigolo ! répondit la brune avec un sourire malicieux.

— Ah, d'accord ! Moi, j'aime bien les brocolis normaux, surtout quand maman met du fromage fondu dessus. Mmm, trop bon !

La brune fit une grimace exagérée.

— Beurk, moi j'aime pas trop, ça sent bizarre !

— N'importe quoi, c'est super bon ! T'es juste difficile, voilà tout !

— Et toi, avec tes cheveux longs, on dirait une princesse !

Les deux filles éclatèrent de rire, oubliant presque leur jeu de mots initial. En vérité, l'interrogation avait été choisie, un peu au hasard, pour meubler un silence. La belle blonde n’avait toujours pas apporté de réponse, mais ce n'était pas grave, parce que son amie répéta la question qui fut interrompue par un bruit bizarre.

Une rumeur parcourait la foule. Les personnes s'agitaient, se poussaient pour tenter d'apercevoir ce qui se passait. C'est alors que la clique de la compagnie des Sapeurs-Pompiers du Gers, dont les uniformes brillaient tant par le pittoresque que par l'élégance, apparaissait en haut des escaliers et marchait d'un pas martial et cadencé. Les graciles jeunes filles accompagnèrent d'un regard sucré les virils soldats du feu. Le cortège passa à côté des gamines et s’avança au milieu de la photosphère du lieu, à l’endroit où l’espace se dérobait à la vue.

De son côté, perdu au fil de ses pensées sombres, René observait distraitement la scène devant lui. Cependant, alors que le cortège s'éloignait, une douleur fulgurante lui vrilla soudain le bas du dos. Il fut pris de vertiges. Il ressentait parfois cette gêne lancinante, mais jamais avec une telle intensité. Il se crispa, le souffle coupé, tandis qu'une vague de chaleur l'envahit. Pressentant que l’alerte n'était pas anodine, il réalisa que ce mal de dos allait bien au-delà d'un simple inconfort passager. Il devenait le symptôme d'un mal plus profond, qui risquait de bouleverser son existence. Il aurait des répercussions sur tous les aspects de sa vie, y compris sa relation naissante avec son fils.

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