Chapitre 2 - Le goût de la mort (1/2)

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Lucian avait passé le reste de la journée à flâner, humant de temps à autres la douce odeur de la gerbe de jasmin, se demandant s’il n’allait pas aussi passer une partie de la soirée à l’auberge du Rouge-Gorge à Futés. C’était une idée qui lui plaisait pas mal, et même si il était seul la plupart du temps, il appréciait pouvoir se poser à une table et prendre un verre en toute tranquillité. Il décida donc de repasser aux dortoirs pour y déposer ses fleurs, et ensuite, il reviendrait pour terminer cette journée à l’auberge. Il prit donc le chemin de la caserne, évitant de croiser au passage le regard de ses camarades. Il ne voulait pas que ces derniers croient certaines choses en le voyant arriver ainsi, avec des jasmins dans les bras. Mais il lui faudrait passer par la porte principale, et les gentilles moqueries ne tarderaient pas à arriver. Ce qui ne loupa pas lorsqu’il arriva devant la grande porte d’entrée. L’un des gardes étouffa un rire en le voyant. Quant à l’autre, il l’interrogea sur un ton amusé :

— Eh bien, Lucian… Tu avais un rendez-vous galant mais ta donzelle n’est pas venue ?

Le chevalier s’était mis à rougir légèrement avant de répondre d’un ton légèrement agacé :

— Non, c’est autre chose.

— Un petit ami peut être ? Je ne te pensais pas de ce genre-là. Mais tu sais que ces mœurs sont interdites par la volonté de la grande déesse quand même ?

Le jeune homme secoua la tête, cette fois-ci, son interlocuteur allait trop loin à son goût.

— Comme si je n’étais pas au courant…Et comme si c’était mon genre… Je n’ai pas ce type de comportement indécent par rapport à d’autres…

Car il savait que certains de ses compagnons ne se gênaient pas pour ça, malgré les interdictions et les lois. Ce qui se passait entre les murs des Chevaliers de l’Ordre n’en sortait pas. L’interlocuteur de Lucian poussa un soupir ennuyé et s’excusa piètrement.

— Désolé, je ne voulais pas te froisser.

L’autre étouffa encore un rire en détournant la tête. Sans rien répondre, Lucian s’avança dans la cour avant de prendre la porte qui lui permettait de rejoindre rapidement sa chambre.

Si de l’extérieur l’endroit semblait calme, à l’intérieur, c’était un chaos inhabituel qui l’avait accueilli. Les chevaliers couraient de partout à travers les couloirs, armés pour la plupart, se rendant tous en direction de la cantine. Des cris et autres hurlements en provenaient, ne rendant pas la situation plus sereine. Le jeune homme prit rapidement le chemin de sa chambre qu’il ouvrit en trombe, se demandant ce qui pouvait se passer pour que les siens soient autant sur les nerfs. Lucian jeta le bouquet sur son lit, et lança coup d’œil à son épée. Cette dernière était rangée dans son fourreau, attendant sagement au pied du lit. Devait-il la prendre pour se défendre au cas où les choses tourneraient mal ? Il resta indécis quelques secondes, puis s’en empara, la libérant de sa protection. Courant comme un fou tout comme ses collègues, il arriva rapidement à la cantine, où les gens étaient agglutinés, hurlant des insultes et autres mots fleuris qu’il avait surtout l’habitude d’entendre dans les tavernes. Se faufilant avec difficulté au travers, il parvint néanmoins à se frayer une place jusqu’aux premières loges où il put découvrir avec horreur la situation.

Sur le sol gisait l’un de ses camarades. Le visage gonflé et sanglant de ce dernier indiquait qu’il avait reçu une sévère correction. Debout, Luca se tenait fièrement juste au-dessus de lui, un large sourire carnassier aux lèvres. La lame de son épée était posée sur le cou de sa victime, empêchant à cette dernière la moindre tentative de fuite. La voix de l’épéiste résonna la salle, à moitié couverte par les brouhahas incessants de ses compagnons d’arme.

— Nicolas Konrad, par le pouvoir que me confère ma fonction de Chevalier de l’Ordre, je vous destitue de ce titre. Votre trahison envers vos propre frères d’armes est l’une des pires choses qu’il m’ait été donnée de voir. Tout ce que vous pourrez dire ou faire pourra être retenu contre vous. Maintenant, debout !

L’ordre avait été donné sèchement. Le dénommé Nicolas tenta une première fois de se mettre sur ses genoux avant de s’affaler lourdement sur le sol. Luca l’attrapa par le col, le soulevant de force, lui hurlant à l’oreille :

— DEBOUT ! Et plus vite que ça !

Le blessé se releva avec peine en titubant, toujours maintenu par son tortionnaire. Les coups gratuits qu’il avait reçus quelques minutes auparavant l’avait à moitié assommé. Son visage gonflé et tuméfié avait une apparence vaguement humaine. Il avait le souffle rauque, et semblait chercher de l’aide autour de lui. Aide qu’il savait qu’il ne trouverait jamais ici. Son regard croisa celui de Lucian qui se figea sur place, incapable de faire quoi que ce soit pour lui venir en aide. Il se retrouvait dans la même situation que la veille ne pouvait rien faire pour changer ça. Luca interpella un camarade, lui demandant sur un ton brusque d’aller chercher le général.

— Dites lui de me rejoindre rapidement dans la salle de torture. Je pense que notre traître a besoin de subir la question extraordinaire puisqu’il ne veut pas délier sa langue.

S’extirpant de la foule, tirant le pauvre Nicolas qui se prenait quelques remarques désobligeantes agrémentées de crachats au passage, Luca remarqua le visage effaré de son frère. S’arrêtant un instant, il lui fit signe de tête l’invitant à venir avec lui. Lucian ne voulait pas. Par la déesse, il ne voulait pas le moins du monde assister à ce qui allait arriver. Mais un refus serait mal vu. Pire encore, il pourrait être considéré comme parjure au même titre que cette pauvre victime et partager son sort. Le chevalier de l’Ordre, tenant toujours son épée en main, s’approcha de son frère, le suivant à contrecoeur.

Très vite, alors qu’ils se mouvaient dans les couloirs sinistres, les hommes s’éloignèrent de leurs congénères, et le bruit de l'attroupement aussi, ne laissant plus qu’un lourd silence entre les murs. Lucian l’avait brisé d’une simple question qui lui brûlait les lèvres :

— Quel est son crime ?

De ce qu’il avait pu comprendre, Nicolas Konrad avait été reconnu comme un traître à l’Ordre, mais il n’en savait pas plus. Sans se retourner vers son frère, trainant toujours l’infidèle qui avait un mal fou à avancer, Luca répondit d’une voix fébrile :

— Notre cher condisciple ici présent ne trouvait rien de mieux à faire que d’aider ceux que l’on soupçonne d’être des sorciers ou des démons. Il a aidé cette maudite engeance à quitter la cité et à continuer ses actions méprisables au delà des murs.

A peine termina t-il sa phrase qu’il poussa violemment ce dernier contre le mur de pierres glacée. Lucian avait frissonné en entendant un craquement d’os épouvantable, suivit d’une plainte douloureuse rapidement stoppée par un ordre de son tourmenteur. Le silence était revenu, et les seuls les bruits de pas pouvaient se faire entendre. Au détour d’un couloir, Dagan de Virto les attendait devant le grands escaliers qui menait dans les sous-sols. Les bras croisés sur une simple armure de cuir recouverte de la tunique reconnaissable de l’Ordre, ses yeux vert scrutaient les nouveau venus. Son visage dur, parsemés de rides et de cicatrices, ne laissait paraître aucune émotion. Sa longue chevelure qui devait autrefois être aussi noir que le plumage d’un corbeau et parsemée de cheveux blancs était ramené en queue de cheval. Ses fils l’avait salué une fois arrivé à sa hauteur, et il leur avait rendu leur salut silencieusement avant d’ouvrir la marche, descendant les escaliers de pierre. Une fois arrivé au bas de celui-ci, Dagan avait poussé la lourde porte qui grinça lugubrement. Le petit groupe s’était alors faufilé dans le couloir qui se trouvait devant eux. Couloir encore plus sinistres que ceux qui se trouvaient à l’étage. Lucian avait avalé sa salive, essayant de ne pas montrer que l’angoisse prenait peu à peu possession de son être. Suivant ses pairs, il évitait de tourner les yeux vers les grilles de fer. Derrière ces dernières se trouvaient des personnes qui seraient, à court terme, mise à mort. Quelques insultes s’étaient faite entendre, mais aucun des Chevalier de l’Ordre n’avait relevé ce que pouvaient piaillier ces misérables oiseaux en cage. Il n’y avait pas que des perturbateurs. Certains clamaient haut et fort leurs innocence. D’autres pleuraient en suppliant qu’ils n’étaient pas ce dont on les accusait. Certains dormaient à même le sol, attendant simplement que leur existence se termine sans même se rebeller. Et au bout de ce couloir se trouvait la salle que bon nombre ne voulait pas voir de plus près.

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