Chapitre 5 - Départ et Voyage

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Je veux que Thor soit heureux. Même loin de moi. Heureux. Il doit vivre son rêve de voyages maritimes. C’est peut-être dans son ADN, qui c’est ? Entre un père marin-pêcheur en Atlantique-Nord et une mère descendante de norvégiens intrépides, a-t-il le choix ? Mon instinct protecteur appréhende son départ. Je le vois comme un homme fragile. Je dois me tromper, car il a une telle volonté de vivre son rêve qu’il a certainement des ressources cachées. Je crains son départ, car, égoïstement, nous nous connaissons depuis si peu de temps. J'ai peur qu'il m'oublie. J'ai peur qu'il rencontre d'autres hommes qui pourraient lui plaire. J'ai peur. Je l'aime et j'ai peur. Lorsque je vois le bonheur dans ses yeux, ça calme mon anxiété.


Mon frère a trouvé un embarquement pour Thor grâce à ses contacts. Il côtoie des marins de tous les continents et de tous styles : pêcheurs, voileux, cap horniers, de la Royale et j’en passe. C’est sur un navire exploration marine qu’il pourra embarquer. Il a fallu se dépêcher car les places sont très recherchées, même pour un travail de mousse. À la fin du mois, Thor partira d’Audierne dans le Finistère vers l’Atlantique-Nord. Arrivé au port de St John’s au Canada, ils embarqueront des chercheurs américains et canadiens puis, navigueront vers l’Amérique du Sud avec plusieurs escales pour des relevés scientifiques : Trois escales aux États-Unis d’Amérique, une en Martinique et les autres en Amérique du Sud. Il leur faudra plusieurs mois avant d’atteindre le Cap Horn. Si tout se passe bien, ils prendront le passage de Drake, au sud du cap Horn. C’est une voie maritime beaucoup plus ouverte, et qui autorise les manœuvres en cas de changements de vents. C’est la route empruntée par la plupart des navires et des bateaux à voiles. L’on peut quand même y rencontrer des vagues extrêmes. Puis, leur navire remontera en cabotage tout le long du continent américain, avec bien entendu, plusieurs escales. La fin du voyage est prévue dans un peu moins d’un an à l’île Kodiak en Alaska. Il n’est pas parti qu’il me manque déjà. Je suis ridicule. Je suis amoureux.

Sam ne fait pas les choses à moitié, dès que l’embarquement est confirmé, il loue un bus afin que tous les amis de Thor puissent lui faire leurs adieux. Les derniers préparatifs me nouent le cœur et l’estomac. J’essaie de ne pas me départir pas de mon flegme naturel, mais je n’en mène pas large. Je ne veux pas gâcher son plaisir. Il va enfin pour vivre son rêve d’être une sorte de viking comme ses ancêtres. Je convaincs Thor d’avoir une conversation par messagerie-vidéo avec son père, afin de lui avouer son voyage au long court. Tudal, son père, a très bien compris le désir de son fils. Thor s’est angoissé pour rien. Puisque la conversation se déroule sous les meilleurs auspices possibles, Thor en profite pour parler de moi :

─ Mon fils, j’ai honte, mais je sais déjà pour Malo. Il m’a appelé, il y a des mois de ça. Il se faisait un sang d’encre parce que tu ne me donnais pas de nouvelles, et surtout il voyait ta culpabilité et ta peur d’être un mauvais fils. J’ai pu le rassurer : tu n’as jamais été un mauvais fils, alors que moi, je ne suis pas le père que tu mérites. J’ai très bien compris qu’il était plus qu’un ami malgré ses dénégations. Tu dois être heureux envers et contre tout. Je t’aime et je t’aimerais toujours. « Soit bon avec autrui et avec toi-même » comme le disait si justement ta maman.

Thor lui fait part de sa honte de partir naviguer et de me laisser en France. Son père a les mots qu’il faut pour apaiser son fils adoré :

─ Supporter de souffrir pour celui à qui l’on tient, c’est aussi ça l’amour ! Malo le supportera car il n’a aucun doute sur son affection pour toi ! Sois assuré qu’il t’aime sans rien attendre de toi ! Tu as certainement rencontré le meilleur homme qui soit. Alors, pars et sois lui fidèle.

Thor explique qui lui sera difficile de communiquer. En cas d’urgence, il donnera les coordonnées radio du bateau. Je le rassure et lui dit que je l’attendrais, que quoi qu’il arrive à terre, je serais là pour m’occuper de ses arrières. À son tour, Sam tranquillise Thor : Tous les amis des Ateliers du Bonheur s’occuperaient bien de moi.

La dernière nuit que nous passons avant longtemps dans notre chambre aux Ateliers du Bonheur, est fougueuse et éperdue. Je retire le pantalon de pyjama de Thor, le saisis par les hanches et je l’attire contre moi. D’un geste brusque, je plaque ma main droite entre ses cuisses velues. Remontant doucement, je prends à pleine main ses bourses. Je les soupèse tendrement en les faisant rouler entre mes doigts. De mon autre main, j’enserre son sexe qui prend de l’ampleur et de la grandeur. Thor se penche et empoigne la balustrade en fer forgé de la fenêtre de notre chambre. Après quelques préparations, je m’introduis délicatement dans son intimité. Nous commençons à faire l’amour lentement, debout devant la fenêtre grande ouverte. Les bruits lointains de la ville s’effacent sous mes premiers ahanements. Mon attention est toute concentrée sur Thor. Il n’a pas protesté, alors que je suis brutal. Il n’émet pas un son ni ne dit un seul mot. C’est à peine si je l’entends respirer. Avec constance et puissance, mes mains accrochées à ses hanches, de ma queue, je cherche son point de plaisir. J’exécute des poussées lentes et régulières ou bien des salves rapides. Toutes mes manœuvres ont raison de ses défenses. Il émet quelques gémissements de contentement qui se transforment en déferlement de râles de jouissance. Je continue mes va-et-vient jusqu’à atteindre le point de non-retour. Nos ébats ne s’arrêtent pas là. Nous continuons longtemps dans la nuit.

─ Thor, je t'aime. Je t'attendrais. Je t'aime.

Nous nous endormons dans les bras l’un de l’autre.

Pendant le trajet d’une demi-journée en bus, nous nous ne sommes pas lâchés la main. À l’arrivée à Audierne, Thor embarque ses deux sacs sur le bateau. Il redescend sur le quai. C’est notre dernière étreinte avant des mois. Le baiser est long et passionné. Même s'il n’a pas de regret, je vois ses mâchoires se crisper lorsqu’il me dit adieu. J'aurais aimé qu'il me dise quelques mots d'amour.

Tous les occupants des Ateliers me font de grands gestes des bras pour saluer mon départ. Seul un homme ne bouge pas. Malo doit être éploré. Il a les bras ballants. Sa beauté s’efface avec la distance. Je laisse mon véritable premier amour sur le quai du port Rhu d’Audierne. Le bateau s’éloigne du quai. Mes yeux me piquent. Il entre dans la baie de Douarnenez. Je ne lui ai pas dit que je l'aimais. Je pleure.

Cela fait un mois que Thor est parti. Je prends l’avion pour rejoindre son père en Islande. Il est grand temps de nous rencontrer face à face. Tudal m’attend de pied ferme à l’aéroport. Son accueil est chaleureux. Il me prend dans ses bras comme si nous nous connaissions depuis toujours. Sur la route du nord, Tudal se fait guide touristique. Nous parlons un peu breton : il le maîtrise mieux que moi. Nous roulons plusieurs heures avant de rejoindre l’épicerie familiale qu’il a fondée avec sa défunte épouse.

Malgré une légère boiterie, Tudal a bon pied bon œil. Il n’est pas aussi grand que son fils, nous faisons la même taille. Il est un peu ventru comme beaucoup d’hommes qui ont passés la cinquantaine. Ses yeux sont délavés, il porte des demi-lunes dorées pour lire. Je me sens bien et en confiance avec ce vieil homme. Thor ne peut pas renier les gênes de son père, ni d’ailleurs ceux de sa mère. Tudal met à ma disposition tous les albums photographiques.

Il y a de nombreux clichés de son épouse accrochés aux murs du logement familial. Elle a toujours l’air de s’excuser d’être sur la photo. Je sais d’où vient la réserve de Thor. Je dors dans son ancienne chambre. Être plongé dans le passé de son amant, est très intimidant. Je feuillète les livres qui sont restés sur les étagères, j’admire des photos de Thor en rugbyman ou en strongman. Plusieurs médailles sont suspendues ensemble à un crochet sur un mur. Il y a de nombreuses affiches de vedettes masculines que cela soit des sportifs, des chanteurs ou des acteurs : que des acteurs coréens. Cela me fait sourire : « On était fait pour se rencontrer ! Alors c’est donc vrai que tu aimes l’exotisme asiatique, espèce de pervers fétichiste ! »

Ce soir, Tudal joue du violon et chante des chansons traditionnelles islandaises, irlandaises ou bretonnes. Il invite des voisins et des amis à voir le « fiancé » de son fils comme il dit fièrement.

Ce matin, Tudal ne se sent pas très en forme :

─ Ça t’ennuie pas si on reste à la maison aujourd’hui ? Je me sens un pas patraque.

─ Voulez-vous que j’appelle un médecin ?

─ Non, ça va aller. Et puis j’ai envie de te parler de mon garçon, parce que je ne pense pas qu’il ait été très prolixe le bougre. Il me ressemble peut-être un peu physiquement mais moralement, c’est sa mère tout craché. Peut-être que ce sont des réservés ces deux-là, mais ils peuvent se mettre dans une colère noire. Tu sais Thorvaldur avait envie de t’emmener ici « pour présenter son meilleur ami français » comme il me l’a dit au téléphone. Il m’a fait bien rire parce que les garçons adultes emmènent rarement de nouveaux copains chez leurs parents, si ce n’est quelqu’un pour qui ils ont des sentiments ou tout au moins avec qui ils couchent ! S’esclaffe-t-il !

Comme ça s’est dit ! Je me sens rougir aux propos du père de Thor. L'homme a compris dès que son fils avait parlé de ce « copain », que j’étais l’amant de son fils. Son acceptation de la situation m’impressionne :

─ Je connais la nature humaine. Tout le monde ne vaut pas le coup d’être connu, mais toi, si. Tu es une belle âme et surtout tu aimes Thor plus que lui-même.

Tudal rallume sa bouffarde en prenant tout son temps et boire un petit verre de Brennivin. Il réfléchit aux mots qu’il doit employer avec moi. Thor est pareil. Ce sont tous les deux des hommes réfléchis et profonds. Ils paraissent rudes et bruts, alors que ce sont des calmes et des tendres :

─ Thor a toujours été timide et réservé. Sa mère est morte à la naissance de sa sœur. Entre un père éploré, une nouvelle arrivante dans la famille et son entrée à l’école primaire, Thor n’a pas pu faire vraiment son deuil, et moi je me suis voilé la face. Il a grandi comme il a pu dans le silence car il avait trop honte de son bégaiement. Les petits camarades à l’école n’ont pas dû être tendres. Je n’ai pas été un bon père attentif. Je me suis laissé déborder par la vie et ses vicissitudes. Un jour, à l’âge de douze ou treize ans, il m’a demandé si c’était normal d’avoir le sentiment de n’appartenir à aucun groupe que cela soit celui des filles ou celui des garçons.

Tudal ressort son briquet tempête antédiluvien de la poche de son pantalon et à nouveau, rallume sa pipe :

─ Il avait l’impression que les autres bougeaient, jouaient, riaient et parlaient entre eux. Il se sentait exclu, pas à sa place. Cette année-là, il a beaucoup grandi. Il a pris quinze centimètres. Ne pouvant pas et ne voulant pas se mêler aux autres, il a décidé de faire de la musculation, et c’est donné comme objectif de devenir l’homme le plus fort d’Islande. Je ne savais pas comment gérer sa solitude organisée. Il cultivait autant son corps que son esprit. Il dévorait autant les livres que la nourriture. Mais en dehors de ça, il vivait avec précaution : ne rien dire, ne rien montrer. Il voulait paraître inaccessible et distant pour que personne ne l’approche, surtout pas les filles. Je ne m’en suis pas vraiment inquiété. Sa mère était elle aussi très timide.

Tudal frappe délicatement le foyer de sa pipe contre le rebord d’un grand cendrier en bois. Puis la cure et la bourre de rechef. Il la garde éteinte au coin des lèvres. Il reprend son monologue en s’essuyant les yeux avec un grand mouchoir à carreaux immaculé :

─ Comme un lâche, moi qui me doutais de ses penchants si l’on peut dire, j’ai fermé les yeux. J’ai pensé que c’était ce qu’il fallait faire. Je n’imaginais pas comme ça devait être difficile pour un si jeune homme d’assumer son homosexualité. Il allait à tous les matchs de foot de son ami Ásgeir. Mais jamais à l’après-match. Il n’osait pas sortir avec son ami et les autres joueurs. Ah, il l'aimait son ami ! Thor avait un cahier rempli des photos de Ásgeir. Je n’y connais pas grand-chose en photographie, mais je peux te dire qu’elles étaient belles, Thor y avait mis toute son affection. Je me souviens avoir pensé : « Ásgeir à la plage », « Ásgeir à la montagne », « Ásgeir au bar », « Ásgeir fait du cheval », « Ásgeir sur un glacier », « Ásgeir joue au foot », « Ásgeir regarde la télé » comme les titres des livres de Martine. T’as peut-être pas connu ça.

─ Oui, j'ai connu ça ! Mes pères m’en ont lu quand j’étais petit. Dis-je pour lui laisser le temps d’allumer sa bouffarde.

─ Il ne devait avoir « Martine torse nu ! » parce qu’il avait plusieurs photos d’Ásgeir torse nu. Dit-il content de son bon mot un peu grivois. Ásgeir était plus grand et plus fort que Thor à cette époque. On sentait l’admiration qu’il avait pour son ami. C’est là que j’ai été sûr, mais c’est aussi là que je me suis tu. Car pour rien te cacher, je ne trouvais pas ça important. Tous les marins n’ont pas toujours qu’une femme dans chaque port, ils ont aussi parfois un homme. Oh, ce n’est pas par modernisme que je pensais comme ça mais par fatalisme : Que pouvais-je y faire ?

Il reste un long moment les yeux dans le vague. Avait-il lui aussi eu un amant ? Je ne sais pas interpréter ses attitudes et ses silences. Une chose est sûre, c’est qu’il est bien plus tolérant et ouvert que bon nombre d’êtres humains plus jeunes. Il s’essuie à nouveau les yeux avec son grand mouchoir et reprend le fil de ses pensées :

─ Et puis, au lycée, il y a eu toutes ses venimeuses railleries dont il a fait l'objet qui ont achevées de le mettre à terre. J'ai eu peur que ça le poursuive, nous sommes un pays de moins de quatre-cent-mille habitants, alors je l'ai poussé à partir faire ses études en France. Je ne sais toujours pas si c'était ce qu'il fallait faire.

Je n'avais jamais entendu parler du harcèlement que Thor avait subit pendant ses années de lycée. J'en suis aussi révolté qu'attristé. Il continue sur un ton plus léger :

─ Que cela soit à Sparte, en Grèce ou en Rome antique, ou bien encore dans le Japon féodal, des hommes ont toujours eu envie d’autres hommes et certains devaient être en amour comme vous deux. J’avais lu dans un article qu’Alexandre le Grand se mariait avec des princesses pour créer des alliances. Il avait un amant qu’il adorait, Héphaestion. C’était l’un de ses amis d’enfance devenu général sous son règne. À la mort de cet amant, il a fait ériger un peu partout dans l'Empire des sanctuaires dédiés à son culte. Achille et Patrocle étaient aussi amants. Alors, pourquoi mon fils ne trouverait-il pas un compagnon ? J’espérais qu’il trouve un homme bien qu’il puisse aimer et qu’il l’aime avec force et courage. Et bien cet homme, il l’a trouvé, je crois bien que c’est toi, Malo.

― J’espère être à la hauteur de vos attentes, affirmé-je avec conviction.

― C'est à la hauteur des attentes de Thor que tu dois être. Il mérite le meilleur. Il saura t’aimer. Peut-être en silence, mais il t’aimera, j’en suis sûr. C’est un brave garçon, courageux et affectueux.

― Je vous le confirme, Thorvaldur est l’homme que j’attendais. Merci Tudal d’accepter notre relation amoureuse. Merci encore.

Sur le chemin du retour, j’ai beaucoup repensé aux propos bienveillants et tendres de Tudal vis à vis de l'homosexualité. C’est le genre d’hommes qui devraient être un exemple pour beaucoup de parents. Oui, il avait été fragile à la mort de sa femme, mais n’avait-il pas une excuse valable ? Le seul regret que j’ai en partant d’Islande, c’est de ne pas avoir rencontré Ölrún. Elle va au lycée à Reykjavik et vit la semaine dans un dortoir. Elle ne rentre pas souvent chez son père. L’adolescence est une période difficile autant pour les parents que pour les enfants. Entre trop ou pas assez de liberté, c’est naviguer à l’aveugle. Courage, Tudal !

De retour en France, je me suis senti rasséréné. J'ai obtenu l'aval de Tudal pour notre relation. Je comprends de mieux en mieux les réactions que j'ai trouvées si enfantines chez Thor : c'est un jeune homme qui a souffert de la mort prématurée de sa mère, du désarroi de son père et de la bêtise de ses condisciples. Il a dû fuir son pays, seul. Thor mérite largement d'être aimé. Je ne remercierais jamais assez Sam d'avoir invité Thor dans notre communauté. Il est indubitable que Sam sait reconnaître les bonnes personnes.

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