Chapitre 5 - Paix et espoir

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Caleb rentra chez lui quelques jours avant les vacances de Noël. Aël et lui passèrent ces deux semaines ensemble. Les parents de Caleb étaient soulagés : leur fils ne sortait plus, il était moins agressif et avait cessé de proférer des horreurs. Il ne venait toujours pas à la messe dominicale, mais son comportement avait tellement évolué positivement qu'ils ne le harcelaient plus à ce propos. Ils accueillaient Aël à bras ouverts, ils étaient sûrs qu'il avait une excellente influence sur ce fils si désespérant. Le sérieux avec lequel il étudiait leur semblaient un miracle. Aël était là pour modérer sa pugnacité sportive en restant à ses côtés lorsqu'il faisait de la musculation ou du footing. Il portait bien son prénom cet enfant : c'était un ange tombé du ciel.

Aël et sa maman furent invités pour le jour de Noël dans la famille de Caleb. À la Saint Sylvestre, Caleb vint tout seul chez son ami. C'était la première fois qu'il dormait chez Aël. Aël était très fier de lui prêter son deuxième futon. Il l'avait choisi pour pouvoir inviter un ami ou peut-être, un jour, un amoureux. Ça serait un ami, et c'était déjà satisfaisant. Caleb allait passer encore deux nuits avant de retourner chez lui. Après ce serait la rentrée. Son état de santé lui permettait de la faire : Aël était vraiment content de retrouver son binôme et surtout son ami.

Le dernier jour des vacances, ils avaient décidé de réviser l'anglais. Mais Caleb était la tête dans les nuages. Il fixait Aël avec intensité :

« Pourquoi tu me regardes ? J'ai un truc sur la tronche? demanda Aël.

  • D'une part, j't'regarde pas, et deuxièmement t'as pleins de taches de rousseur. Alors oui t'en as des trucs sur la tronche et pas qu'un peu mon petit pote!
  • Mais n'empêche que tu me regardes. Tu ferais mieux de finir ta fiche d'anglais.
  • Et si vraiment j't'regardais, qu'est-ce que ça peut bien foutre ? Hein, dis-moi ?
  • Après tout t'as le droit de me regarder et surtout que je suis super beau ! C'est même ta mère qui le dit !
  • T'es vraiment une espèce de prétentieux, le lutin. T'es pas beau t'es correct. Et pis ma mère c'est pas une esthète comme tu dis ! Elle y connait que dalle en beauté. T'as vu la déco chez moi !
  • Correct, je suis correct ! c'est déjà ça. C'est un début.
  • Un début à quoi ? Oh pis tu m'emmerdes, monsieur le raisonneur.
  • Faut pas te vexer, monsieur le beau gosse.
  • T'as pas répondu : un début à quoi ?
  • Si je suis correct, peut-être qu'un jour je vais devenir plus beau que toi ! Na voilà !
  • T'as toujours pas répondu, noyeur de poisson.
  • T'as qu'à deviner ! » répondit Aël avec un petit air mystérieux.

Le mois de janvier se passa sans encombre : Caleb avait retrouvé une grande partie de ses fonctions cardiaques et avait repris la boxe tout en douceur. Tous les deux restaient le binôme de l'autre. Ils étaient de plus en plus proches pour le plus grand bonheur d'Aël qui développait des sentiments qui dépassaient largement le cadre de l'amitié. Comme il ne voulait plus de conflit avec Caleb qu'il appréciait aussi pour son intelligence et sa gentillesse, il s'était promis de faire taire son cœur. Pour lui, il y avait des désirs qui resteraient des rêves, des fantasmes qu'il ne pourrait pas réaliser.

Quelques jours avant la Saint Valentin, Caleb a donné à Aël une enveloppe :

« S'il te plaît lis ça quand tu s'ras rentré chez toi.

  • D'accord ! » répondit-il en glissant le courrier dans sa poche revolver.

Bien sûr n'y tenant plus, Aël profita d'un arrêt aux toilettes pour s'enfermer à double tours et lire la prose de Caleb :

« Très cher Aël,

Je ne suis pas très éloquent, c'est pour ça que cette lettre ne sera pas très longue. Un jour, tu m'as dit que tu aurais aimé naître au siècle dernier ou même avant, pour recevoir des lettres. Alors je me lance dans cet exercice totalement nouveau pour moi. J'espère que ça te fera plaisir. En tout cas moi, rien que d'y penser et maintenant de l'écrire, je suis vraiment content. Tu ne peux même pas imaginer à quel point je suis heureux de te connaître. Parfois quelqu'un apparait dans notre vie pour la transformer, je suis sûr que pour moi cette personne c'est toi, Aël. J'aurais bien voulu ajouter un haïku comme tu sais si bien les écrire maintenant, mais je ne dois pas avoir l'âme d'un poète. Je te laisse ça. Il y a encore quelques mois je n'aurais jamais pensé être comme aujourd'hui. Même si je n'ai pas encore pu te raconter tous mes tourments, sache que je mûris, et que peut-être un jour tu seras fier de moi comme je suis fier et heureux de passer le plus de temps possible à tes côtés.

Avec toute mon amitié. Kenavo. Caleb

PS : t'as vu je t'ai même écrit en breton ! »

C'était une des rares lettres qu'Aël ait reçues. C'était la plus belle lettre qu'on pouvait lui écrire. Elle était sincère, simple, sans chichi inutile. Caleb s'était appliqué sur la formulation et l'écriture. Le contact d'Aël avait débloqué quelque chose en lui. Il pouvait être l'homme qu'il était réellement. Un jeune homme intelligent, affectueux et plein de tendresse réprimée. Cela toucha Aël, il trouva ça très mignon. La gorge serrée et les yeux à marée haute, il ressentait une émotion qui le submergeait. Il était si fier de son ami qui avait tant évolué en quelques mois. Il savait qu'il n'y était pas pour grand-chose. Il avait peut-être soulevé légèrement un morceau de voile, mais celui qui avait failli mourir c'était Caleb. Caleb qui avait fouillé dans les tréfonds de son être pour choisir le bonheur. Car Aël voyait bien la différence entre le Caleb du mois de septembre et celui du mois de février: le premier jouait l'indifférent et le taiseux, les meilleurs menteurs sont ceux qui savent se taire, et le second, souriait à pleines dents, était chaleureux, débordant de vitalité et parfois bavard.

Après le repas de midi, ils sortirent du réfectoire et allèrent s'asseoir sur leur banc. Ils abandonnèrent l'idée : il y avait une bonne couche de givre dessus. Ils discutèrent un peu, puis le rouge aux joues, Aël lui chuchota : " Ta lettre et toi êtes adorables! " Il avait souri à Caleb tout en baissant les yeux. Caleb l'air étonné mais subodorant qu'Aël n'avait pas tenu parole, sentit un frisson glacé parcourir son dos. Au lieu de se reculer de surprise et de se fâcher, il prit la petite main d'Aël et bafouilla un «merci». C'est alors qu'un nouveau sourire gêné éclaira le visage d'Aël. À son tour, il prit l'autre main de Caleb afin de se hisser sur la pointe des pieds et gratifia ses lèvres d'un baiser furtif. Un « je t'aime » à peine audible se déposa au creux des oreilles de Caleb. Il resta figé les mains en l'air, alors qu'Aël les avait déjà lâchées et avait pris ses jambes à son cou. Tous deux avaient le cœur au bord des yeux. Cette suite de gestes maladroits et de mots charmants avait abasourdi l'un et fait fuir l'autre. La brièveté de l'instant ne retirait rien à sa grandeur.

Caleb avait rêvé son premier coup de cœur: il aurait été bien sapé, sous un soleil radieux, sûr de lui et aurait eu le contrôle de la situation, mais surtout il aurait été l'initiateur de cette déclaration d'amour. Aël lui avait volé son moment romantique, mais ce vol était tellement doux et sincère qu'il ne pouvait pas lui en vouloir.

De retour chez lui, Caleb avait du mal à cacher sa fébrilité. Il avait hâte que le repas se finisse. Il voulait être en tête à tête avec lui-même pour mettre de l'ordre dans ses idées. Il venait de se passer un évènement important. Un évènement dont il ne voyait pas encore toute l'étendue. Il avait déjà entrouvert la porte de son "placard" avec le psychologue. Encore une fois, Aël était responsable de ce bouleversement émotionnel. Bouleversement qu'il n'avait jamais connu jusqu'à aujourd'hui. Plus que responsable, Aël était coupable d'avoir chamboulé ses certitudes et pire encore, d'avoir mis à jour des désirs insanes et anormaux comme l'indiquait la Bible et autres livres saints.

Il y a des années de ça, il avait enfoui sa préférence sexuelle et amoureuse. À neuf ans, il avait épinglé des posters de joueurs de foot, de chanteurs et autres hommes connus qu'il trouvait séduisants. C'était discret puisqu'exposé au grand jour comme tous les petits garçons le faisaient, mais pas pour les mêmes raisons que les siennes. Tout ce qu'il s'était efforcé de dissimuler aux yeux de tous et à ses propres yeux, ressurgissaient. Il se souvenait très bien de ses penchants inavoués et inavouables. Qu'auraient pensé ses parents, ses frères, ses copains?

Pour se camoufler et enterrer sa vraie nature, il avait accepté de coucher avec n'importe quelle fille, d'en faire une consommation immodérée. Il s'était comporté comme un salaud. Il avait si bien brouillé les pistes que même lui s'était perdu. Il n'était déjà plus ce garçon. Il avait changé: il ne devait et ne pouvait plus se mentir. Tout était encore confus mais il sentait qu'il se passait quelque chose de considérable dans sa vie. Le « je t'aime » d'Aël avait résonné en lui comme une évidence. Il savait déjà que son ami l'aimait, mais lui était-il dans les mêmes dispositions? Il était à la croisée des chemins, aussi ridicule qu'émerveillé, aussi idiot qu'ébloui et aussi impressionné que fiévreux.

«Tout commence à m'échapper!» se disait-il allongé sur son lit.

Aujourd'hui, Caleb était bien plus brûlant, plus vibrant et heureux que jamais auparavant. Avait-il le droit d'être heureux? Était-il vraiment amoureux? Pouvait-il rendre à Aël son amour? Serait-il à la hauteur de la franchise et du courage d'Aël?

Au point où en étaient les relations avec sa famille et son désintéressement total pour la Religion, il devait avoir le courage d'assumer ses désirs. Il espérait pouvoir faire le chemin vers Aël avec félicité. S'il était heureux à quoi bon d'inutiles hésitations? Il devait discuter avec Aël de tous ses questionnements, lui aussi avait peut-être les mêmes. Il fallait être prudent, ne pas montrer au monde son amour dévoué et dévorant, autant par pudeur et par peur du regard des autres que par respect pour Aël. Aimer un garçon ne semblait pas dans l'ordre des choses pour tant de gens, pourtant c'était maintenant, à ses yeux, dans son cœur, l'amour le plus évident et le plus pur qu'il ait ressenti.

Le lendemain matin, suite à une nuit très courte, remplie de questions, il se leva, se doucha, s'habilla et disparut dans le brouillard. Il ne marchait pas il volait. Il était plein d'allégresse. C'était certainement le plus beau jour de sa vie. Malgré le fait de ne pas être tout à fait sûr de son ressenti, il était heureux. Était-ce ça l'amour?

Arrivé dans la cour, il devint très anxieux car Aël n'était toujours pas là. Quand la sonnerie tinta et que tout monde entra en classe, Aël n'était toujours pas là. Il s'assit à son pupitre et écoutait toutes les voix qui s'attardaient dans le couloir. Il n'osait pas regarder vers la porte. Chaque raclement de chaises sur le sol était un supplice. On l'apostrophait par un « Salut, mec! » ou un « Bonjour » auxquels il répondait sans enthousiasme. Il avait tiré la chaise d'Aël comme pour l'accueillir. L'attente devenait insoutenable. Il fermait les yeux tout en se répétant, tel un mantra « Aël je t'attends, viens vite! » Il repassait en boucle dans sa tête le film des sensations de ce premier bisou car il savait que cela ne pouvait pas s'appeler un baiser. Comment ce petit mec de deux ans son cadet pouvait avoir pris une telle place dans son cœur en si peu de temps? Comment un seul et rapide bisou avait pu l'émouvoir à ce point? Comment une vie pouvait-elle prendre un tel virage en un instant? La porte de la classe se referma sur le prof de maths.

Aël n'était pas venu au lycée. Pourquoi? Était-il malade? Regrettait-il son geste et ses mots ? Était-il juste en retard ? Caleb était maintenant d'humeur maussade. L'amour était-il une succession de montagnes russes ? Émotionnellement épuisé, son grand corps s'affaissa sur sa chaise, son cœur se serra et un long soupir sonore sortit du tréfonds de son désarroi.

« On ne vous gêne pas jeune homme ? Si mon cours est aussi ennuyeux, vous pouvez sortir discuter avec monsieur le Principal qui se fera un plaisir de vous apprendre la politesse.

  • Pardon, m'sieur, répondit-il en se redressant. »

Quelques minutes plus tard, on toquait à la porte:

« Désolé d'être en retard, dit Aël en tendant son cahier de correspondance.

  • Va t'asseoir sans faire de bruit. »

Pour Caleb, c'était comme si Aël était sur une scène de théâtre avec un spot de poursuite braqué sur lui. Autour de Caleb tout était flou, sombre et brouillardeux sauf Aël qui était net, délicat et lumineux. Il était passé du désarroi à la félicité en moins d'une seconde. Encore une montagne russe! Tout était nouveau, euphorisant et excitant. Il avait envie d'être meilleur, plus beau, plus intelligent, plus attentionné. Il voulait changer, épater Aël. Il voulait l'aimer.Il l'aimait.

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