Chapitre 2 - Utopie et réalité
À sa grande surprise, Sam se retrouve à la tête d'une fortune évaluée à plusieurs centaines de millions d'euros. Le "pépé-père indigne" comme Sam l'appelle, est mort. Il a désigné comme seule héritière sa fille légitime. Sa maman étant décédée, Sam devient l'unique héritier. En plus d'immeubles en Autriche et en Allemagne, Sam hérite de tout le quartier de la ville où nous habitons, ainsi que deux autres immeubles en centre-ville. Malo a bien aidé Sam avec toute la paperasse. Le notaire a confirmé que son pépé-père connaissait son existence et savait où les trouver lui et sa mère. Avait-il eu peur des représailles judiciaires ou ne voulait-il pas reprendre contact avec ses deux descendants? Sam ne le saurait jamais. Je sais depuis nos années de collège, que son père était le père de sa mère. Il a une façon tellement détachée de raconter son histoire que j'ai longtemps pensé que cela ne l'affectait pas. Mais être le fruit d’un inceste ne doit pas être facile à vivre. Ma vie à ses côtés m'a appris à ne pas me fier aux apparences. Les blessures les plus profondes peuvent être cachées avec méticulosité.
Le quartier qui maintenant, lui appartient, est une ancienne friche industrielle de plusieurs kilomètres carrés où se situent de nombreux ateliers du 19ème et 20ème siècle, en cours de rénovation. Le notaire lui a fait remarquer que ces bâtiments étaient très recherchés et qu'il n'aurait pas de mal à les vendre à un bon prix lorsqu'il aurait ses dix-huit ans. Car oui, Sam vient de fêter ses dix-sept ans. Jibril, son tuteur légal de façon provisoire ne peut que superviser l'entretien de ce faramineux patrimoine. Un compte a été ouvert afin de payer ses études, nous sommes tous les deux en seconde année de fac.
«Qu'avez-vous l'intention de faire de ses immeubles en France? Ainsi que ceux sis en Allemagne et en Autriche? Lui demande le notaire.
― Je sais déjà ce que je vais en faire. Mais je ne suis pas sûr que ça vous plaise, répond Sam avec son air de ne pas y toucher.
― Quoi que vous décidiez, je serais à votre service. J'ai nommé un mandataire pour l'entretien des immeubles à l'étranger. Les certains avoirs qui se situent dans des banques allemandes et autrichiennes servent à cet entretien et les autres vont être rapatriées sauf certains comptes en actions et en obligations, vous déciderez vous-même à votre majorité si vous rapatrierez ses comptes. Si vous avez la moindre question, n'hésitez pas à revenir vers nous par courrier, téléphone, courriel ou physiquement.»
Lorsqu'ils étaient au lycée, Sam et moi rêvions d'un endroit où l'on pourrait être libre d'être qui on était. On développerait une communauté LGBTQIA+. Un endroit protégé du monde extérieur, où il faudrait montrer patte blanche pour entrer. Cette utopie de jeunes hommes stigmatisés dans un monde cis non inclusif et violent envers ce qu'il n'essaie même pas de comprendre, allait pouvoir se réaliser. Sam me raconte ses projets. Il me demande mon avis ainsi qu'à Jibril et Fouad. Tous les deux trouvent les idées de Sam, merveilleuses. La rénovation continue afin que tous les bâtiments soient hors d'air et hors d'eau. Sam attend ses dix-huit ans pour afin de mettre œuvre ses idées. Toute cette agitation et ces changements n'ont que peu d'emprise sur sa personnalité. Il reste le même, toujours aussi distant avec les étrangers et peu enclin à faire des concessions avec eux. Depuis que je le connais, les seuls contacts qu'il cherche se sont ses amis proches et avec les personnes qui peuvent le captiver intellectuellement et émotionnellement. Tous les autres rapports humains superficiels mais essentiels comme échanger des banalités avec le boulanger ou les profs de peu d'envergure, il les évite car il sait pertinemment qu'il peut être facilement blessant. Combien de fois l'ai-je vu partir sans prévenir d'un cours ou prendre la tangente lors d'une conversation de tous les jours. S'il ne tire rien d'intéressant, de brillant ou de touchant, il ne se force pas à rester pour être poli. Sa façon de se comporter est aussi dérangeante que naturelle. Cette attitude n'est jamais une agression gratuite ou une volonté de faire du mal. Jibril pense que Sam fait partie des personnes atteintes de trouble du spectre autistique.
À ses dix-huit ans, le premier geste de Sam a été de passer son permis-moto et de trouver des entrepreneurs qui puissent prendre en charge le reste des travaux de la friche industrielle. Il a exposé clairement au notaire son projet: construire une communauté LGBTQIA+ soit sous forme d'association ou autres. Il lui donne carte blanche pour trouver le meilleur statut à son idée. Les immeubles du centre-ville sont prêtés à des associations qui s'occupent de la protection des femmes battues avec ou sans enfant, ainsi qu'une part de ceux situés en Allemagne et en Autriche. Le reste est vendu aux plus offrants. Il donne comme mission à son notaire de trouver un lieu isolé et préservé en Bretagne. Cet endroit doit absolument être à moins de trente kilomètres d'un hôpital et posséder plusieurs bâtiments, des bois et peut-être des terres agricoles. Il veut monter une autre communauté à la campagne. La vente d'un grand immeuble de bureaux permet d'attaquer les travaux en Bretagne et ceux dans notre ville. Le notaire a trouvé un couple d'entrepreneurs, un électricien et un plombier-chauffagiste ouvertement en couple qui eux-mêmes, ont trouvé un menuisier gay. Les travaux en Bretagne se font sous la houlette d'entreprises locales. Il faut trouver un maître d'œuvre qui chapeaute les travaux de la friche, un architecte serait l'idéal. C'est à ce moment que nous avons eu la chance de rencontrer Malo.
Comme tous les ans depuis ma première année de faculté d’architecture, à la fin de la troisième semaine de septembre, j'aide à l'organisation de la Journée des Clubs de Sports de Combat et de Musculation. Je suis arrivé très tôt au gymnase, il y a toujours des trucs de dernière minute à fignoler. Pour moi et mes amis combattants, ce n'est pas un samedi ordinaire: plusieurs dojos, salles de boxe et autres centres d'entrainements aux arts martiaux ou aux sports de combat s'associent afin de proposer des démonstrations et peut-être donner des cours à des prix compétitifs aux collégiens, lycéens et étudiants de la région. En ayant un panel de différentes pratiques, chacun peut choisir ce qui lui semble le plus approprié à ses attentes et à ses possibilités. Les clubs ont fait venir le haut du panier de leur spécialité pour les démonstrations. C'est une sacrée organisation. Un des autres organisateurs m'apostrophe:
« Malo, tu peux vérifier si tous les bénévoles sont arrivés. Je trouve qu'on est un peu submergé alors que ce n'est même pas encore ouvert.
― OK! N'angoisse pas. Je fais le tour une fois avant d'ouvrir les portes. »
Ma passion depuis mes six ans, c'est le taekwondo. J'aime la partager, c'est pour ça que je me suis lancé dans l'organisation de cette manifestation. Au fur et à mesure, les sports de combat autres que les arts martiaux se sont greffés, ce qui donne encore plus de travail, mais c’est aussi bien plus passionnant. J'ai hâte de voir les athlètes en action. Il y a un nouveau sport qui se produit aujourd’hui: Le Muay Thaï ou boxe thaïe. Je veux absolument assister à la démonstration. En tant qu'organisateur, je me fais un point d'honneur à ce que tout soit une réussite.
À huit heures pétantes, j'ai eu l'honneur d'ouvrir les portes sur un flot d'étudiants curieux et d'athlètes accomplis. À l'entrée, l'on distribue aux organisateurs et aux compétiteurs un badge ainsi qu'une fiche leur indiquant leur vestiaire et leur heure de passage. Le gymnase se remplit à vue d'œil: cela ressemble déjà à un succès.
Je suis sorti sur le haut des marches pour profiter du doux soleil de septembre. L'air est frais et limpide, le ciel bleu pâle et les arbres se teintent légèrement aux couleurs de l'automne. Le son rauque et cliquetant d'une moto se fait entendre. Il supplante les bruits de discussion et des rires de ceux qui attendent de pouvoir entrer. C'est une célèbre anglaise très sobre. Elle est munie d'un arceau d'acier au niveau du porte-bagages qui supporte un grand sac de sport en cuir noir ainsi que deux énormes caissons de métal en guise de sacoches. Un tube lui aussi en métal est fixé à l'arceau.
Le passager descend de l'engin et retire son casque. Il est très mince, son visage fin est planté d'un nez un peu épaté. Il a une jolie coupe afro. Le conducteur met la béquille et descend à son tour. Il parle au passager en lui tendant les deux casques. Il est un plus grand, peut-être 1 m 75, et bien plus musclé. Son crâne est presque rasé, il n'a pas plus quelques millimètres de cheveux sombres. Ses larges épaule sont cintrées dans un tee-shirt noir sur lequel il a enfilé un gilet de reporter beige aux poches bien remplies. Il est toujours de dos. Je vois les muscles de ses jambes car il porte un short en gabardine camel et une paire de pataugas beige. C'est un drôle d'accoutrement ! Est-ce un photographe ou un compétiteur? On voit bien que la question vestimentaire n'est pas une priorité pour lui au contraire de son passager qui est très élégant.
Il porte un pantalon patte d'éléphant bleu marine et des bottines noires à petits talons. Son chemisier blanc à jabot froufroutant lui donne un air suranné de dandy victorien. Un blouson de cuir turquoise finit sa vêture. Le conducteur sort un trépied photo du tube en acier, détache le sac de sport, sort deux sacs photo des caissons et porte le tout. Il est chargé comme un baudet, pourtant on n'a pas la sensation que tout ce barda lui pèse. Il dégage une puissance étonnante pour sa taille. L'autre jeune homme marche devant de façon maniérée en roulant des hanches, cela contraste avec les pas tranquilles et fermes du rasé qui s'avance vers moi qui n'ai pas perdu une miette de cette étonnante scène.
Arrivé à ma hauteur, le rasé ralentit le pas et me fait un petit sourire en coin. Je reste figé un bon moment: soit c'est un garçon avec des traits fins ou soit c'est une jeune fille avec un corps impressionnant de force. Je décide de le ou la suivre. L’élégant récupère trois badges auprès des organisateurs, pendant que dans la salle du gymnase qu'ille dépose le matériel photographique, monte le trépied et fixe un des appareils dessus. L’élégant revient, sort un autre appareil et commence à mitrailler les gradins qui se remplissent. Ille prend la direction des vestiaires avec le grand sac de sport. Je demande des renseignements sur ce drôle d'équipage:
«Ce sont les photographes envoyés par le département universitaire d'arts plastiques. L'un d'eux va entrer sur le tatami dans quelques minutes.
- Comment s'appellent-ils?
- Sam et l'autre, c'est Valérian. Sam va commencer une démonstration de jujitsu dans un premier temps.
- Ok, merci!»
Sans attendre, j'entre dans les vestiaires et vois Sam. À côté de lui, un garçon d'une vingtaine d'années vocifère en regardant ostensiblement vers Sam qui s'étire consciencieusement:
«Non mais ça va pas la tête! Tu m'as vu! Je ne vais pas me battre contre une tapette! De quoi je vais avoir l'air?» Gueule le type très énervé.
«Une tapette? Me dis-je. Je ne sais plus vraiment ce qu'il faut en penser. De toute façon, ça ne retire rien au charme de ce mec.»
«Anthony, tu ferais mieux d'y aller, car si tu déclares forfait devant un mec qui ressemble à une fille, on risque de bien se foutre de ta gueule mon gaillard. Surtout que le mec n'a aucune préférence de poids, de taille ou de sexe. Alors tu ferais mieux de te calmer et de te concentrer.»
L'entraîneur commence à s'impatienter face à la mauvaise humeur de son poulain qui fait toute une histoire pour pas grand-chose:
«Il abandonnera certainement pendant la première partie du combat. Allez, vas-y! Il n'y a pas de quoi en faire un plat. Ça va être une promenade de santé.
― Je te préviens je ne lui ferai pas de cadeau à cette mauviette!»
Je me mets à sourire et je me dis qu'il risque d'être surpris en voyant la «mauviette» ou la «tapette» qui est aussi grande et musclée que lui, si ce n'est plus. Sam, la mauviette continue à chauffer ses muscles sans se départir de son calme, tout en lançant des regards assassins à son adversaire. Donc c'est bien un garçon puisqu'il combat contre un autre garçon.
Déjà le commentateur décrit ce qu'il va se passer sur le tatami:
«Le jujitsu regroupe des techniques de combat de l'époque Edo. Littéralement "art de la souplesse", le jujitsu...»
Quelques minutes plus tard, après les saluts de rigueur et le HAJIME de l'arbitre, le combat s'engage. Alors là, les choses commencent à vite se gâter pour Anthony qui n'a jamais le dessus. En fond sonore, derrière les bruits des combattants, les explications du commentateur continue. Je suis admiratif de l'efficacité de ce Sam. Sa rapidité, sa précision et sa concentration en fait un grand combattant. Les trois parties du combat se découpent avec un HIKIASHI et un IPPON pour Sam. La deuxième partie est enquillée dans la foulée et finit par la soumission de base, un KIMURA. L'arbitre central annonça IPPON, en concertation avec les arbitres latéraux et après consultation de l'arbitre de table, tous décident d'accorder sans conteste un FULL IPPON pour Sam, alors que la dernière action a eu lieu avant la fin du temps réglementaire. En moins de trois minutes, le tour était joué. Victoire écrasante de Sam qui n'a laissé aucune chance à l'énervé qui repart en direction des vestiaires, fou de rage.
Vingt minutes plus tard, fraîchement douché, Sam est derrière ses objectifs. À son tour, il mitraille les aires de combat. Je prends place sur le tatami car c'est l'heure des démonstrations de taekwondo. Motivé par ce que j'ai vu, j'exécute un très beau combat avec un adversaire que je connais déjà. L'issue est sans grande surprise pour les amateurs de ce sport: un champion international comme moi ne pouvait pas perdre, à priori, enfin il y a parfois des surprises. Après ma victoire et mon retour des douches, je suis un peu déçu de ne plus voir Sam, alors que Val est fidèle au poste. Après la boxe anglaise, le ring accueille le muay thaï ou boxe thaïe. Je ne veux pas rater cette discipline. Le commentateur donne de nouvelles explications:
«Surnommé l' "art des huit membres" en référence aux huit parties utilisées des bras et des jambes, le muay thaï est un sport de combat et un art martial thaïlandais très ancien. Les pratiquants sont appelés nak muays...»
Je vois Sam monter sur le ring, tout de noir vêtu. Il attend son adversaire, un jeune homme d'une petite trentaine d'années de même gabarit que Sam. Le regard inquiet de l'adversaire de Sam m'étonne: «Ils doivent se connaître et connaissent la valeur de l'autre.» Sam jauge l'autre avec une sorte de sourire en coin, le même qu'il m'a fait à l'entrée du gymnase. Cette fois, le combat est plus âpre qu'au jujitsu. Aucun ne laisse d'ouverture à l'autre. Tout d'un coup, un léger ralentissement de déplacement de Sam et son adversaire croit à une faiblesse, alors que bien au contraire, tout s'accélère. C'est fatal pour le trentenaire qui subit une avalanche de coups de pied et coups de poing. Le deuxième coup de pied circulaire en est l'apothéose. Il me semble que Sam n'a pas de bras ni de jambe dominants. Chaque coup donné est à un coup à bout touchant. L'adversaire est bien sonné, il titube, après s'être accroché aux cordes, l'arbitre arrête le combat. Sam salue et descend du ring sans attendre la fin des applaudissements. Toujours aussi flegmatique, il rejoint les vestiaires. Je m'approche de Val et tente de lier connaissance:
« Bonjour! Je m'appelle Malo et je suis un des organisateurs. Je voulais savoir si tout allait bien, si vous aviez besoin de quelque chose.
― Pardon? Moi, c'est Valérian. Tu n'es pas plutôt là pour parler avec Sam?
― Euh!...Non!
― Je t’ai vu dans mon objectif, d'ailleurs tu rends très bien au téléobjectif, me rétorque Val avec un petit air amusé.
― Enfin, euh... oui, mais non...
― Ne t'en fais pas, il va bientôt arriver après la douche car on a encore quelques heures de boulot.»
Val me confirme le genre de Sam avec ce "il". Sam est de plus en plus attrayant pour moi.
«D'ailleurs, je suis étonné que tu ne l'aies pas reconnu.
― Non, je ne l'ai jamais vu avant aujourd'hui.
― Tu n'es pas amateur de photographies et de reportages ni de jujitsu ni même de Muay thaï. Remarque, il ne signe pas toujours ses œuvres et n'a plus le temps pour combattre en compétition. Enfin si tu veux lui parler, il faudra attendre que le travail soit fini. Il est très pointilleux et concentré sur tout ce qu'il fait.
― J'ai bien remarqué lors des combats. Bien, je vous remercie et vous souhaite bon courage.
― Au fait, tu peux me tutoyer.
― D'accord!»
Nous nous saluons d'un geste de la main. Je m'éloigne et je reste à l'affût. Ce Sam m'intrigue en plus de me charmer. Je lui trouve un côté farouche fascinant, mais maintenant la curiosité est un nouvel élément qui me pousse vers cet homme. Je retourne aux vestiaires et vois Sam qui discute avec un homme trapu d'une petite quarantaine d'années qui lui masse énergiquement les épaules. Il lui parle de façon volubile et chaleureuse. Sam penche la tête en avant régulièrement en guise d'acquiescement. On sent du respect et une sorte de tendresse entre eux:
«Bon, mon grand, je te laisse. Je vais voir les autres combats. Fais attention sur la route avec ton engin. Je compte sur toi mercredi prochain pour l'entrainement des petits.
― Tu passeras le bonjour à Sarah. Au revoir, Sensei Jibril.
― T'inquiète pas qu'elle va savoir que tu as mis au tapis un de ses élèves et amis, espèce de sans-pitié! Bon, allez, j'y vais. Bisous mon grand. Je t'aime.»
Ils se prennent dans les bras quelques secondes comme père et fils. Le sensei Jibril prend la direction des tatamis.
Je suis hésitant: comment amorcer la conversation? Je me sens intimidé.
«T'as un truc à me dire? M'interpelle Sam sans même me regarder.
― Euh, non. Enfin oui. Beaux combats! C'était impressionnant.
― Merci. Il y a autre chose? J'ai encore du boulot, alors fais vite!
― Euh oui. Puis-je t'appeler? Peut-on se revoir? As-tu un numéro de portable?
― Pas de portable mais j'ai un téléphone fixe.
― S'il te plaît, puis-je l'avoir?»
Sam farfouille dans son sac de sport, sort un feutre et prend d'office mon avant-bras, puis écrit son numéro dessus.
« Voilà! C'est fait! À plus!
― Tu ne veux pas savoir mon nom?»
Sam s'est déjà éloigné à grands pas et me répond d'une main en l'air en guise de salut.
Je lui crie «Je m'appelle Malo!». Il n'a pas dû m'entendre. Tant pis. Je regarde mon avant-bras et je me demande si je vais l’appeler ou pas. C'est une des personnes les moins loquaces que j'ai eu le loisir de rencontrer. Ma curiosité est-elle plus forte que mon dépit? Sam exerce une fascination sur moi. J'aime son côté androgyne qui pique mon désir d'homme bisexuel.
Je continue toute la journée à «espionner» les deux photographes. Je les vois manger des bento faits maison et travailler tout l'après-midi. Les gradins sont vidés. Avec prolixité, Valérian discute avec d'autres étudiants pendant que Sam range le matériel. Il est toujours aussi calme que pendant ses combats ou ses prises de vue. Il sort avec son barda, il commence à le sangler sur la moto, puis s'assied sur le biplace en attendant patiemment son comparse qui n'est toujours pas sorti. Valérian arrive sur le haut des marches et continue de discuter avec force de gestes et de petits cris aigus. Sam enfile son casque et fait démarrer la moto: cela doit être le signal de départ, car Val se précipite et s'assied à califourchon sans que Sam n'ait à se lever. Je regarde l'engin s'éloigner. Je remarque qu'une main gantée me fait un signe d'adieu.
J'ai recopié le numéro de Sam. Je suis assez excité. À ce moment-là, je ne sais pas encore que cette rencontre va être le tournant le plus important de ma vie future, si ce n'est d'ailleurs, le plus radical.
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