Chapitre 1 - Thorvaldur et Malo - La rencontre

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Quelques jours après mon arrivée aux Ateliers, Sam me demande de lui rendre un service : Aller chercher son ami Malo à la gare. Sam me confectionne un panonceau avec le nom complet de Malo. N'ayant pas le permis de conduire, Val m’accompagne. Il m'attendra dans sa camionnette jaune. Sam, tout sourire, glisse quelques mots dans l’oreille de son ami qui soupire en le regardant. Val lui lance en rejoignant le véhicule :

─ Tu peux pas t'occuper de tes affaires de cœur et tenter d'être heureux au lieu d'aider les autres, qui au passage, ne t'ont rien demandé, monsieur Je-me-mêle-de-tout ! Tu me désespères ! Bon, d'accord, je ferai ce que tu m’as demandé.

─ Qu’est-ce qui se passe ? Je demande à Val qui a l’air chagriné.

─ T’inquiète, Thor, rien de grave. Un truc que tu apprendras avec le temps : il ne faut pas contrarier Sam. Non pas que tu risques de le fâcher, mais que bien souvent, tu te rendras compte qu’il avait raison. C’est très chiant. Il a des tas de choses qu’il voit que le commun des mortels ne voit pas. C’est certainement un peu obscur ce que je te dis, mais un de ses quatre, tu comprendras où je veux en venir.

─ Je comprends déjà ce que tu dis. La première fois où l’on s’est rencontré, il a lu en moi en moins de dix minutes.

― Ça ne m’étonne pas. Jibril, son entraîneur, dit que c’est parce qu’il est observateur et qu’il sait mettre ses observations en corrélation. Ça aide d’être intelligent.

Je suis entré dans la gare et me suis installé au bout du quai avec mon panneau. Un flux régulier sort d'un train à gauche et à droite. Sam ne m'a rien dit sur l'allure de son ami : « Tu verras bien sur place ! Et puis, lui te reconnaitra ! » Je remarque un grand type habillé très élégamment qui descend du train. Il avance d'un pas sûr et tranquille entouré de deux jeunes femmes volubiles montées sur des stilettos bruyants. Il hoche la tête poliment sans prononcer un seul mot. Mon cœur s’arrête, puis redémarre en s’emballant à la vue de cet homme. Contre ma volonté et hors de mon contrôle, il bat à tout rompre dans ma poitrine : « Est-ce ça le coup de foudre ? » Me demandé-je. Je sens mon visage rougir jusqu'à mes oreilles. J’espère que personne ne se rend compte de mon intense trouble. Ma véritable inclinaison que je veux cacher en société, me remonte aux joues et aux tripes à la seule vue de cet inconnu d’une beauté saisissante.

Je me retrouve nez à nez avec mon fantasme vivant. J'ai honte de fétichiser un humain, mais je ne peux pas m'empêcher de penser « Il est aussi beau qu'un acteur coréen ! » Je dévore les séries et les films coréens pour leurs acteurs. J’ai un faible pour Lee Sun-kyun et son cheveu sur la langue, il a joué dans Parasite. Aussi pour Lee Byung-hun qui avait joué dans Mr Sunshine. J’aime les hommes plus âgés que moi. Ce beau coréen, qui ne l'est peut-être pas (est-il chinois, japonais ou même thaïlandais ?) porte une chemise blanche sans col avec un gilet bleu cobalt représentant deux dragons aux gueules ouvertes se faisant face. Une chaîne en or pend entre deux de ses poches à gousset sur son abdomen plat. Il traîne avec sa main gauche une valise à roulettes bleu marine semi rigide d'un maroquinier connu, sur laquelle est posé un grand sac de sport en cuir bleu ardoise. Son avant-bras droit supporte sa veste de costume en lainage uni bleu nuit. Un étonnant pantalon à pont de marin bleu comme l’on voit dans les vieux films des années 1930, finit sa tenue. À force de paraître suranné, cet ensemble fait de pièces de vêtement n'ayant à priori rien à faire ensemble, devient intemporel, élégant et tellement original dans mes yeux de garçon venu du fin fond d'un fjord du nord de l'Islande. Je suis subjugué.

L'homme s'arrête à quelques mètres de moi. Je suis comme hypnotisé. Je continue de le détailler avec minutie. Je ne veux rien perdre de ce moment magique. Mon regard est absorbé par la vision de ce corps athlétique. Il doit faire 1 mètre 85 ou plus et peut-être 75 kilos. Sa large carrure est surmontée d'un long cou doté d'une pomme d'Adam proéminente. Son visage est celui d'un asiatique au teint assez pâle. Le sourire éclatant qu'il offre, fait plisser ses yeux bridés les faisant disparaître en deux lignes sombres. Ses lèvres sont charnues et sa bouche assez large. Ses pommettes hautes et marquées sont séparées par un nez aquilin aux fines narines. Il a une légère ressemblance avec Sam.

Je n'ai jamais vu en chair et en os un homme d'aussi parfaite apparence. Il est difficile d'échapper aux clichés et aux idées inculquées depuis l'enfance : j’ai toujours entendu dire qu'il n'est dans la Nature, plus grande beauté que celle d'une femme. Et bien non ! C’est un homme qui me trouble. J’en oublie le panonceau que je tiens entre mes mains. Je le lève afin qu’il puisse être lu par tous les voyageurs. Ce n’est hélas pas ce coup de foudre que j’attends mais Malo Abgrall de Juhel.

L'homme s'est à nouveau avancé d'un mètre, ce qui me permet de le dévisager plus en détail : sous son œil gauche, quelques grains de beauté discrets rejoignent sa joue rasée de près ; aux lobes de ses oreilles assez petites, pendent de fins anneaux dorés ornés d’une petite perle fine ; son cou est entouré d’un collier de perles fines lui aussi ; il porte des bracelets en pierres multicolores aux deux poignets ; ses grandes mains pourvues de longs doigts sont bagués d'or. Il est non seulement beau, mais d’une virilité époustouflante. Ça s’est un homme qui a de l’allure, de la classe et de l’élégance. J’ai encore totalement oublié pourquoi je suis sur ce quai de gare. Je replace mon panneau de façon à ce qu’il soit visible.

L'homme remercie les deux jeunes femmes en les saluant poliment. L'une d'elle lui tend son téléphone cellulaire pour récupérer ses coordonnées, mais d'un geste ferme et toujours le sourire aux lèvres, il refuse la proposition. Elles tournent les talons et partent quelque peu vexées. À son passage, beaucoup de regards essentiellement féminins sont braqués sur lui. Ses prunelles sombres et lumineuses font le tour des badauds, qui comme moi, attendent un passager. Le quai s'est vidé. J’ai peur d'avoir raté Malo à cause de mon admiration pour cet homme magnifique qui maintenant sourit à pleines dents en regardant dans ma direction. Je me retourne, mais il n'y a personne derrière moi :

─ Je crois que c'est moi que vous attendez ! Dit mon coup de cœur avec son sourire qui me coupe le souffle.

─ Euh, bien, je ne sais pas. Êtes-vous Malo ? Demandé-je en bégayant : Que va-t-il penser de moi ?

─ Et oui ! Je suis désolé de vous décevoir.

─ Euh, non ! Je ne suis pas déçu, pas du tout, au contraire. Enfin, non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Euh ! Je m'appelle Thorvaldur. Sam m'a demandé de venir vous accueillir.

─ Ne vous faites aucun souci, je vous taquinais. Vous êtes venu en voiture ?

─ Euh, oui ! Avec Val qui attend à l'extérieur.

─ Et bien, allons-y ! Me répond Malo en enfilant sa veste de costume.

Amicalement et chaleureusement, il passe son bras autour de ma taille, tout en m'entraînant vers la sortie.

─ Euh, vous voulez que je porte votre valise ? Demandé-je maladroitement.

─ Non ça va aller. C'est très aimable de votre part, Thorvaldur, me répond-il en me lançant un clin d'œil souriant et en me collant un peu plus à son corps.

Il n'est pas timide ! Il sent bon les agrumes. Je suis prêt à défaillir.

Une fois rentrés, Val et Thor préparent du thé dans mon atelier. Malo rentre chez lui pour se rafraîchir. Je lui emboîte le pas. Il défait sa valise :

─ Alors comment tu trouves notre nouvel ami, Thorvaldur ? Il ne manque que ton approbation pour qu'il puisse entrer dans notre cercle, dis-je à Malo qui est déjà en kimono d’intérieur.

─ Bien, je vais être trivial : pour le physique 20 sur 20. Après j'avoue que pour le reste, je te fais confiance. Il a l'air un peu effarouchable et emprunté avec moi.

─ C'est parce que tu es un bel homme majestueux ! Tu l’impressionnes.

─ Arrête de dire des bêtises ! En tout cas, j'en ferais bien mon quatre heures de ton viking.

─ Il te faudra être plus fin que ça : il n'a que vingt ans et pas bien à l'aise avec son grand corps. Si tu lui rentres dedans comme ça, j'ai bien peur qu'il ne se renferme dans sa coquille. Sinon tu peux le prendre avec toi dans ton appart ?

─ Tu me demandes ça, alors qu’il s’est déjà excuser plusieurs fois dans la camionnette de s’être déjà installé ! Tu ne manques pas d’air !

─ Je savais qu’il te plairait et que tu ne verrais aucun inconvénient à le garder par devers toi. Tu me promets d’être gentil, poli et sage avec lui ?

─ Je te le jure ! Et surtout, je ne tenterai rien, Monsieur le protecteur.

─ Je sais bien que ton savoir-vivre est irréprochable. Je te fais entièrement confiance. Quand tu as fini, rejoins-nous pour manger.

─ On mange quoi ce midi ?

─ Du rôti avec des haricots verts. Magne-toi, le rôti est prêt dans une demi-heure ! Lui dis-je en refermant la porte.

Une demi-heure plus tard, je les rejoins vêtu d'un hakama bleu nuit et d'une veste de kimono au motif seigaiha. Je me suis douché et parfumé. Ça fait du bien de revenir chez soi :

─ Ouah ! T'es toujours aussi élégant même en pyjama ! S'exclame Val en riant.

─ Ce n’est pas un pyjama ! Espèce d’inculte ! Répond Sam.

Thor baisse la tête et se pince les lèvres. De temps à autre, je le surprends en train de me jeter des regards furtifs. Je me suis assis juste en face de lui. Je lui souris le plus gentiment possible. Il est vraiment timide cet islandais. Je crois bien qu’il est déjà tombé sous mon charme. Thor a un visage d'enfant à l'air sauvage et apeuré. Je m'imagine déjà embrasser le duvet de ses joues et découvrir la géographie de son corps puissant. Je ne sens aucune velléité chez Thor à être une personne dominante, bien au contraire, j’ai devant moi un enfant sage. Je fais confiance à l'instinct de Sam : s'il dit qu'il faut y aller en douceur, et bien je suivrais ce conseil.

Je dois arrêter d’avoir des pensées libidineuses. J’ai mon rapport à faire sur mon tour des entreprises de récupération de matériaux anciens.

― J’ai trouvé plusieurs poêles à bois en fonte, des vasques de salle de bain et des baignoires. J’ai dépassé le budget pour prendre une fontaine en pierre très dépouillée et des bancs en pierre pour agrémenter le futur jardin potager et ornemental devant la maison des directeurs.

― Je te fais confiance pour le dépassement de budget, me dit Sam d’un air détaché.

― Au fait où est Bosco ? Il ne mange pas avec nous ?

― Il sature. Il est allé chercher des ouvriers qualifiés. Les travaux paysagers sont trop importants en termes de temps et de masse de travail.

― J’ai vu que les bordures du parterre de la cour principale sont finies. C’est vraiment joli. Dis-je en regardant Thor qui est aussi très joli.

― Il reste du terrassement à faire. Les analyses chimiques et biologiques des sols sont toutes revenues négatives donc il faut attaquer les potagers et les autres jardins. Le projet de poulailler de Victor est bien parti.

Sam a toujours rêvé d'une certaine autonomie alimentaire. Il est content de l'avancée des travaux. Il a l’air plus heureux qu’avant mon départ. Il y a dû se passer quelque chose de chouette. Je ne sais pas quoi et je ne lui demanderais pas. Rentrer dans son intimité n’est pas un truc à faire. Il conclut notre réunion sur le pouce en louant « le fait d’avoir de l’argent qui ne fait peut-être pas le bonheur mais qui y contribue largement, et accélère les choses. »

Je vais devoir prendre sur moi. Thor me plaît beaucoup. J’espère que nous avons des points communs, des envies partagées et peut-être aussi une bonne alchimie érotique. Il y a longtemps que mon intérêt émotionnel n’avait pas été titillé de la sorte.

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