Chapitre 7 - Départs et Voyages

10 minutes de lecture

Malo trouva un embarquement pour Thor. Il fallait se dépêcher car les places étaient très recherchées, même pour un travail de mousse. À la fin du mois, Thor partirait d'Audierne dans le Finistère sur un navire d'exploration marine vers l'Atlantique-Nord. Arrivé au port de St John's au Canada, ils embarqueraient des chercheurs américains et canadiens puis, navigueraient vers l'Amérique du Sud avec plusieurs escales pour des relevés scientifiques: trois escales aux États-Unis d'Amérique, une en Martinique et les autres en Amérique du Sud. Il faudrait plusieurs mois avant d'atteindre le Cap Horn. Si tout se passait bien, il prendrait le passage de Drake, au sud du cap Horn, qui est une voie beaucoup plus ouverte et qui autorisait les manœuvres en cas de changements de vents. C'était la route empruntée par la plupart des navires et des bateaux à voiles. L'on pouvait quand même y rencontrer des vagues extrêmes. Leur navire remontrait vers le nord en cabotage le long de l'est du continent américain, avec bien entendu, plusieurs escales. La fin du voyage était prévue dans un peu moins d'un an à l'île Kodiak en Alaska.


Malo appréhendait le départ de Thor, mais lorsqu'il voyait le bonheur dans ses yeux, ça calmait son anxiété. Sam ne fit pas les choses à moitié, dès que l'embarquement fut confirmé, il loua un bus afin que tous les amis de Thor puissent lui faire leurs adieux. Les derniers préparatifs nouèrent le cœur et l'estomac de Malo qui ne se départit pas de son flegme naturel. Il ne voulait pas gâcher le plaisir de Thor qui allait vivre son rêve d'être une sorte de viking comme ses ancêtres. Il avait toujours voulu naviguer mais son père avait tout fait pour l'en dissuader. Malo convainquit Thor d'avoir une conversation par messagerie-vidéo avec son père, afin de lui avouer son voyage au long court. Tudal, son père, avait très bien compris le désir de son fils. Thor s'était angoissé pour rien. Puisque la conversation se déroulait sous les meilleurs auspices possibles, Thor en profita pour parler de son amoureux:

«Mon fils, j'ai honte, mais je sais déjà pour Malo. Il m'a appelé, il y a des mois de ça. Il se faisait un sang d'encre parce que tu ne me donnais pas de nouvelles, et surtout il voyait ta culpabilité et ta peur d'être un mauvais fils. J'ai pu le rassurer: tu n'as jamais été un mauvais fils, alors que moi, je ne suis pas le père que tu mériterais. J'ai très bien compris qu'il était plus qu'un ami malgré ses dénégations. Tu dois être heureux envers et contre tout. Je t'aime et je t'aimerais toujours. Soit bon avec autrui et avec toi-même.»

Thor lui fit part de sa honte de partir naviguer et de laisser Malo en France. Son père eut les mots qu'il fallait pour apaiser son fils adoré:

«Supporter de souffrir pour celui à qui l'on tient, c'est aussi ça l'amour! Malo le supportera car il n'a aucun doute sur son affection pour toi! Mais soies assuré qu'il t'aime sans rien attendre de toi! Tu as certainement rencontré le meilleur homme qui soit. Alors, pars, et sois lui fidèle. Tu vas devenir cap-hornier, et ça c'est pas donné à tout le monde! Je suis fier de toi! Adieu et bon vent, mon fils!»

Il leur serait difficile de communiquer. Malo le rassura et lui dit qu'il l'attendrait, que quoi qu'il arriva à terre, il serait là pour s'occuper de ses arrières. Sam tranquillisa Thor: tous les amis des Ateliers du Bonheur s'occuperaient bien de Malo.

La dernière nuit qu'ils passèrent dans leur chambre aux Ateliers du Bonheur, fut fougueuse et éperdue: Malo retira son pantalon de pyjama et saisissant les hanches de Thor, il l'attira contre lui. D'un geste brusque, il descendit son boxer et plaqua sa main droite entre les cuisses velues de Thor. Remontant doucement, il prit à pleine main ses bourses, les soupesa tendrement en les faisant rouler entre ses doigts agiles. De son autre main, il prit le sexe de Thor qui prenait de l'ampleur et de la grandeur. Thor se pencha et empoigna la balustrade en fer forgé de la fenêtre de leur chambre. Après quelques préparatifs, Malo introduisit délicatement l'intimité de Thor. Ils commencèrent à faire l'amour lentement debout devant la fenêtre grande ouverte. Les bruits lointains de la ville s'effaçaient sous les premiers ahanements de Malo. Thor n'avait pas protesté et n'avait pas dit un seul mot, c'est à peine si Malo l'entendait respirer. Avec constance et puissance, les mains accrochées aux hanches de Thor, Malo cherchait son point de plaisir en exécutant des poussées lentes et régulières ou bien alors en salves rapides. Toutes ces manœuvres eurent raison des défenses de Thor: il émit quelques gémissements de contentement qui se transformèrent en déferlement de râles de jouissance. Malo continua ses va-et-vient jusqu'à atteindre le point de non-retour. Leurs ébats ne s'arrêtèrent pas là, ils continuèrent longtemps dans la nuit. Ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre.


Après une demi-journée de bus, ils arrivèrent à Audierne. Thor embarqua ses deux sacs. Il redescendit sur le quai et ce fut leur dernière étreinte avant des mois. Le baiser fut long et passionné. Même si Thor n'avait pas de regret, il eut le cœur serré lorsque le bateau s'éloigna vers la baie de Douarnenez. Tous les occupants des Ateliers faisaient de grands gestes des bras et criaient des encouragements pour saluer son départ. Seul un homme ne bougeait pas: éploré, les bras ballants, Malo sentait son cœur être écrasé par une main invisible. Son amour partait. Thor laissait son véritable premier amour sur le quai du port Rhu d'Audierne.


Le mois qui suivit, Malo prit l'avion pour rejoindre le père de Thor en Islande. Il était temps pour les deux hommes de se rencontrer de visu. Tudal attendait Malo de pied ferme à l'aéroport. Sur la route du nord, Tudal se fit guide touristique. Ils se parlaient de temps à autre en breton: Tudal le maîtrisait mieux que Malo. Ils roulèrent plusieurs heures avant de rejoindre l'épicerie familiale.

Malgré une légère boiterie, Tudal avait bon pied bon œil. Il n'était pas aussi grand que son fils, il avait la même taille que Malo. Il était plus ventru comme beaucoup d'hommes qui ont passés la soixantaine. Ses yeux étaient délavés, il portait des demi-lunes dorées pour lire. Malo se sentait en confiance avec le vieil homme. Thor ne pouvait pas renier les gênes de son père, ni d'ailleurs ceux de sa mère, car Malo avait à sa disposition tous les albums photographiques familiaux. Il y avait de nombreux clichés de son épouse décédée accrochés aux murs de son logement. Fridthóra, son épouse avait toujours l'air de s'excuser d'être sur les photos. Malo savait maintenant d'où venait sa réserve de Thorvaldur. Il dormait dans son ancienne chambre. Être plongé dans le passé de son amant, était très intimidant. Il feuilleta les livres qu'il restait sur les étagères, admira les photos de Thor en rugbyman ou en strongman. Plusieurs médailles étaient suspendues ensemble à un crochet sur un mur. Il y avait de nombreuses affiches de vedettes masculines que cela soit des sportifs, des chanteurs ou des acteurs: que des acteurs coréens. Cela fit beaucoup sourire Malo: «On était fait pour se rencontrer! Alors c'est donc vrai que tu aimes l'exotisme asiatique, espèce de pervers obsessionnel!»

Le soir, Tudal jouait du violon et chantait des chansons traditionnelles islandaises, irlandaises ou bretonnes. Il invitait des voisins et des amis à voir le «fiancé» de son fils comme il disait fièrement. Un matin, Tudal ne se sentit pas très en forme:

«Ça t'ennuie pas si on reste à la maison aujourd'hui? Je me sens un peu patraque.

- Voulez-vous que j'appelle un médecin?

- Non, ça va aller. Et puis j'avais envie de te parler de mon garçon, parce que je ne pense pas qu'il ait été très prolixe le bougre. Il me ressemble peut-être un peu physiquement mais moralement, c'est sa mère tout craché. Peut-être étaient-ils réservés ces deux-là, mais ils pouvaient aussi se mettre dans une colère noire. Tu sais Thorvaldur avait envie de t'emmener ici « pour présenter son meilleur ami français » comme il me l'a dit au téléphone. Il m'a fait bien rire parce que les garçons adultes emmènent rarement de nouveaux copains chez leurs parents, si ce n'est quelqu'un pour qui ils ont des sentiments ou tout au moins avec qui ils couchent!» s'esclaffa Tudal.

Comme ça c'était dit! Malo rougit aux propos du père de Thor. Le vieil homme avait compris dès que son fils avait parlé de ce «copain», que Malo était l'amant de Thor:

«Je connais la nature humaine. Tout le monde ne vaut pas le coup d'être connu. Mais toi, si. Tu es une belle âme et surtout tu aimes Thor plus que lui-même.»

Tudal ralluma sa bouffarde en prenant tout son temps. Il réfléchissait aux mots qu'il devait employer avec Malo:

«Thor a toujours été timide et réservé. Sa mère est morte à la naissance de sa sœur. Entre un père éploré, une nouvelle née dans la famille et son entrée à l'école primaire, Thor n'a pas pu faire vraiment son deuil et moi je me suis voilé la face. Il a grandi comme il a pu dans le silence car il avait trop honte de son bégaiement. Les petits camarades à l'école n'ont pas dû être tendres. Je n'ai pas été un bon père attentif. Je me suis laissé déborder par la vie et ses vicissitudes. Un jour, à l'âge de douze ou treize ans, il m'a demandé si c'était normal d'avoir le sentiment de n'appartenir à aucun groupe que cela soit celui des filles ou celui des garçons. Il avait l'impression que les autres bougeaient, jouaient, riaient et parlaient entre eux. Il se sentait exclu, pas à sa place. Cette année-là, il a beaucoup grandi: il a pris quinze centimètres. Ne pouvant pas et ne voulant pas se mêler aux autres, il a décidé de faire de la musculation. Il s'était donné comme objectif de devenir l'homme le plus fort d'Islande. Cette étrange ambition n'a duré que quelques années. Je ne savais pas comment gérer sa solitude organisée. Il cultivait autant son corps que son esprit. Il dévorait autant les livres que la nourriture. Mais en dehors de ça, il vivait avec précaution: ne rien dire, ne rien montrer. Il voulait paraître inaccessible et distant pour que personne ne l'approche, surtout pas les filles. Je ne m'en suis pas vraiment inquiété.»

Tudal fit une nouvelle pause pour rallumer sa pipe et boire un petit verre de Brennivin. Il reprit son monologue:

«Comme un lâche, moi qui me doutais de ses penchants si l'on peut dire, j'ai fermé les yeux. J'ai pensé que c'était ce qu'il fallait faire. Je n'imaginais pas comme ça devait être difficile pour un si jeune homme d'assumer son homosexualité. Il allait à tous les matchs de foot de son ami Ásgeir, mais à l'après-match, il n'osait pas sortir avec son ami et les autres joueurs. Thor avait un cahier rempli des photos d'Ásgeir. Je n'y connais pas grand-chose en photographie, mais je peux te dire qu'elles étaient belles. Thor y avait mis toute son affection. Je me souviens avoir pensé, «Ásgeir à la plage», «Ásgeir à la montagne», «Ásgeir au bar», «Ásgeir fait du cheval», «Ásgeir sur un glacier», «Ásgeir joue au foot», «Ásgeir regarde la télé» comme les livres de Martine. Il y en avait plusieurs d'Ásgeir torse nu. Il était plus grand et plus fort que Thor à cette époque. On sentait l'admiration qu'il avait pour son ami. C'est là que j'ai été sûr, mais c'est aussi là que je me suis tu. Et puis, au lycée, il y a eu toutes ses venimeuses railleries dont il a fait l'objet qui ont achevées de le mettre à terre. J'ai eu peur que ça le poursuive, nous sommes un pays de moins de quatre-cent-mille habitants, alors je l'ai poussé à partir faire ses études en France. Je ne sais toujours pas si c'était ce qu'il fallait faire.»

Malo n'avait jamais entendu parler du harcèlement que Thor avait subit pendant ses années de lycée. Il en fut aussi révolté qu'attristé. Tudal continua sur un ton plus léger:

«Les marins n'ont pas toujours qu'une femme dans chaque port, ils ont aussi parfois des hommes. Oh, ce n'est pas par modernisme que je pensais comme ça, mais par fatalisme: que pouvais-je y faire? Que cela soit à Sparte, en Grèce ou en Rome antique, ou bien encore dans le Japon féodal, les hommes avaient envie d'autres hommes et certains devaient être en amour. J'avais lu dans un article qu'Alexandre le Grand se mariait avec des princesses pour créer des alliances et qu'il avait comme amant, Héphaestion, l'un de ses amis d'enfance devenu général sous son règne. À la mort de cet amant, il a même fait ériger un peu partout dans l'Empire des sanctuaires dédiés au culte de son amant. Achille et Patrocle étaient aussi amants. Alors, pourquoi mon fils ne trouverait-il pas un compagnon? J'espérais qu'il trouve un homme bien qu'il puisse aimer et qu'il l'aime avec force et courage. Et bien cet homme, il l'a trouvé, je crois bien que c'est toi Malo.»

Malo rentra en France rasséréné. Il avait obtenu l'aval du père de Thor pour leur relation. Il comprenait plus les réactions qu'il avait trouvées si enfantines chez Thor: c'était un jeune homme qui avait souffert de la mort prématurée de sa mère, du désarroi de son père et de la bêtise de ses condisciples. Il avait dû fuir son pays, seul. Thor méritait largement tout l'amour que Malo lui donnait. Malo ne remercierait jamais assez Sam pour avoir invité Thor dans leur communauté.

Annotations

Vous aimez lire Tudalenn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0