Chapitre 1 - Salah et Dorian - La rencontre

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Dorian avait été découvert par Val. Suite à une bêtise impardonnable, avoir eu un amant sans utiliser de préservatifs, à défaut d'attraper l'amour, Val chopa une saloperie. Ce fut en allant se faire soigner dans un lieu dédié aux personnes LGBTIA+ qu'il rencontra Dorian. C'était un infirmier bénévole qui travaillait deux fois par semaine pour cette association. Le reste du temps, il exerçait à l'hôpital de la ville. Val était certain que ce jeune homme pourrait plaire à ses amis de la communauté, donc il l'invita. Dorian vint avec son amant l'avocat célèbre qui, sur-le-champ, déplut fortement à Sam. Donc Dorian ne pourrait pas vivre dans un des appartements vides, car Sam voulait éviter de rencontrer cet infatué membre du barreau, nommé Franck. Sam préférait perdre de l'argent qu'accueillir des hommes qui ne lui revenaient pas. Dorian venait souvent visiter Val. Ils s'entendaient très bien. Dorian avait besoin d'un confident et Val était un aimable à l'oreille attentive, même s'il pouvait paraître un peu fou fou et superficiel.

Bien sûr que rien n'allait. Bien sûr que quelque chose en lui était détraqué. Bien sûr que tout était trop lourd à supporter. Bien sûr que tout était perturbant, et pourtant aussi si rassurant. Non rien n'allait alors que tout était parfait. Dorian était aimé par un célèbre avocat qui était la coqueluche de certains journalistes et talk-show télévisés. Pourtant, il se sentait de plus en plus mal à l'aise avec Franck, le bel avocat. Ils avaient décidés de prendre une semaine de vacances afin de se retrouver et recoller les morceaux de leur relation effritée.

Sur la route de leur réconciliation de fin d'été, Franck gara le deux-roues américain sur une aire de stationnement, juste devant un homme qui, à demi allongé sur un banc de bois, rêvassait. Dorian se faisait une joie de ses retrouvailles. Tout allait bien.


Salah avait fini de manger et avait réuni ses détritus. Maintenant, à demi allongé et adossé à la table de pique-nique en bois, il regardait en l'air : la brise dévoilait le revers argenté des feuilles des jeunes peupliers, donnant l'impression que d'innombrables petits poissons frétillaient vigoureusement dans le bleu du ciel. Il ferma les yeux et prit son temps : sa dernière livraison était faite et il devait rentrer à vide chez son employeur. Azza, sa jeune sœur de douze ans, était chez sa meilleure amie pour dix jours. Personne n'attendait Salah dans son morne petit deux-pièces. C'était son dernier voyage avec le camion de l'entreprise de transport qui l'avait employé pendant deux ans. Oui, car enfin, il allait pouvoir exercer son vrai métier : dans son pays d'origine, il était professeur de français et d'allemand. Grâce aux contacts d'un ami, il avait trouvé une place dans une association en tant que traducteur et professeur de français pour des locuteurs arabes qui avaient dû émigrer vers la France. Il serait un mieux payé, mais surtout, il pourrait être à la maison chaque soir pour s'occuper de sa jeune sœur. Non pas qu'elle n'eut particulièrement besoin d'aide, elle était très débrouillarde, mais à son âge, même si on est une bonne élève et sage, on avait besoin d'un adulte responsable.

Elle avait mis toute son énergie à l'apprentissage du français avec son frère, mais elle devait rester seule bien trop souvent. Elle ne se plaignait jamais, car elle croyait savoir pourquoi son frère avait tout quitté pour repartir de zéro dans ce pays inconnu : leur père allait se remarier pour la quatrième fois, Salah et Azza n'avaient pas la même mère, et il voulait donner Azza, âgée de neuf ans à l'époque, à un ami pour en faire son épouse. Salah eut vent de l'affaire et prit la décision de partir de leur pays natal sans retour possible. L'argent qu'il avait patiemment mis de côté pour voyager, servit à leur fuite.

Ce qu'Azza ne savait pas, c'était que son frère étouffait là-bas. Il était pressé par leur famille de se marier, car il avait fini ses études et approchait des trente ans. Mais se marier pour rendre une femme malheureuse, n'était pas une chose envisageable pour lui. Il portait bien son prénom qui signifiait « intègre ». Salah était gay et le savait depuis son adolescence. Bien sûr qu'il l'avait caché car cela n'est pas concevable pour beaucoup de gens, et cela dans le monde entier. Il ne savait même pas s'il aurait survécu à vivre ouvertement son homosexualité.

Il avait eu la chance d'avoir eu une très belle histoire d'amour avec Farouk, un autre étudiant de sa faculté. Ils vécurent quatre ans de bonheur intense. Hélas, la coercition familiale qui avait été exercé sur Farouk, le fit craquer : il s'était marié une fois son diplôme en poche. Salah ne lui en avait jamais voulu, il savait que Farouk avait lui aussi le cœur brisé. Ils s'étaient revus en cachette pendant quelques mois, mais ils n'avaient plus de chambre universitaire pour abriter leurs étreintes amoureuses. Ils ne s'écrivaient plus de lettres enflammées.

Farouk décida de ne plus donner de nouvelles le jour où il apprit que son épouse attendait un enfant. Depuis Salah était resté célibataire, un morceau de son cœur était resté auprès de Farouk. Il n'était plus le garçon sociable, de bonne humeur et plein d'humour du temps qu'il était avec son amoureux. Il s'était renfermé sur lui-même et avait mis toute son énergie dans l'enseignement. Arrivé en France, il avait passé son permis poids-lourd et gagnait assez d'argent pour proposer à Azza une vie décente, il n'était pas question pour lui de penser à l'amour. Il lui restait les souvenirs.

Maintenant, les yeux fermés sur cette aire de repos bruyante et polluée pour conducteurs fourbus et affamés, il se remémorait la personnalité et le corps de Farouk qui lui manquaient tant. Il avait souvenance de l'emplacement du moindre de ses grains de beauté, de la courbure de ses reins, des gémissements que Farouk étouffaient dans l'oreiller, de la douceur de velours de ses couilles adorées, du goût sucré de miel de leurs baisers fougueux, et surtout de la bonté de son regard ourlé de longs cils sombres recourbés. Ils avaient tous les deux appris l'amour physique. Salah se rappelait encore de leurs tâtonnements lorsqu'ils voulurent essayer la sodomie : tous les deux avaient si peur de mal faire et de faire mal à l'autre. Ils ne savaient même pas quels plaisirs ils pouvaient donner et recevoir. Ils ne connaissaient que l'autoérotisme. D'ailleurs ils commencèrent par se masturber l'un l'autre, puis vain les fellations, et tout s'enchaîna. Ils aimaient tous les deux les longs baisers où leurs langues se mêlaient, s'emmêlaient, où leurs lèvres se frottaient, s'aspiraient, se suçaient.

Le boxer rempli de désir, Salah sortit de ses réminissences et ouvrit les yeux au bruit caractéristique d'une grosse cylindrée américaine. La moto s'arrêta juste devant lui. Le passager descendit, retira son casque et ses gants, puis sourit au pilote qui lui aussi se mit tête et mains nues. D'un geste possessif, il prit son passager par la taille, le serra contre son corps et l'embrassa à pleine bouche. Cela devait être une attitude naturelle pour eux. Ils se susurrèrent des mots à l'oreille et entrèrent main dans la main dans le restoroute.

Au bout de quelques minutes, le passager ressortit furibond. Il décrocha un sac du porte-bagages de la moto. Le pilote déboula lui aussi dehors et tenta de calmer son passager. Ils se bousculèrent. Le pilote invectiva crûment l'autre et finit par lui crier :

« Mais, va te faire foutre, connard ! Mais allez, casse-toi ! Des salopes dans ton genre, je peux en trouver n'importe où ! »

Le passager ne répondit pas. De grosses larmes coulaient sur ses joues. Il vint s'asseoir à la table de pique-nique jouxtant celle de Salah. Il posa le casque, les gants et le sac puis, mit sa tête entre ses bras croisés : il pleurait assez bruyamment. La moto s'éloigna dans un vacarme assourdissant.

Salah fit glisser un petit paquet de mouchoirs au jeune homme en pleurs : « Tenez ! » La jolie tête bouclée se releva et, entre deux sanglots remercia Salah qui s'éloignait afin de ne pas gêner l'expression de son chagrin. Le jeune homme se moucha abondamment, tamponna ses yeux bouffis et rougis. Tel un enfant qui n'arrivait pas à retrouver son calme, il hoqueta longuement. Toujours sans un mot, Salah lui passa une petite bouteille d'eau qui venait de desceller. Il retourna à sa place en détournant le regard :

« Merci beaucoup monsieur ! prononça le jeune homme entre deux hoquets.

- Avez-vous mangé ? lui demanda Salah.

- Euh non, je n'ai pas eu le temps.

- Tenez ! Salah lui tendait un emballage de sandwich triangle pas encore ouvert et une pomme.

- Je ne voudrais pas vous retirer le pain de la bouche.

- J'ai déjà fini mon repas. J'ai eu plus grands yeux que grand ventre. Ne vous en faites pas, cela ne me manquera pas. Allez-y, mangez ! »

Tous les deux restèrent silencieux le temps de la collation du jeune homme. Son téléphone portable sonna, il le sortit de sa poche révolver et l'éteignit dès qu'il vit qui était l'émetteur de l'appel. Salah repris la pomme, sortit un Opinel et l'éplucha avec dextérité, puis en fit de fins quartiers qu'il posa devant l'affamé :

« Je m'appelle Salah. Je suis chauffeur-routier pour quelques heures encore. Je remonte vers le nord. Si vous allez dans cette direction, si ça vous intéresse, je peux vous déposer.

- Euh, moi c'est Dorian. Je ne veux pas profiter de votre gentillesse, je vais me débrouiller pour rentrer.

- Vous ne profitez de rien puisque je vous le propose. C'est bien aussi d'avoir de la compagnie et, ce n'est pas si souvent.

- À quelle heure partez-vous ?

- Je n'ai pas d'horaire, il faut juste que le camion soit à vingt heures au dépôt.

- Alors, je veux bien que vous m'avanciez. Puis-je aller me rafraîchir aux lavabos, s'il vous plait ?

- Bien sûr. Je vous attends ! »

Sans même penser que Salah pourrait partir en prenant son casque, ses gants et son sac, Dorian se leva et d'un pas lourd, se dirigea vers les sanitaires. Quelques minutes plus tard, un peu requinqué, il revint. Salah avait nettoyé les reliquats de pique-nique et attendait Dorian. Il lui montra le chemin pour rejoindre le trente tonnes rutilant. Il lui ouvrit la portière et la referma sur lui. Il fit le tour et sauta sur le siège-conducteur tapissé de velours bleu. Lorsque Salah démarra le moteur, La flûte enchantée de Mozart se répandit dans l'habitacle.

« Si la musique ne vous convient pas, je peux trouver une station de radio qui ait votre préférence.

- Non c'est très bien. Et même au contraire ça change. Vous êtes mélomane ?

- Oh pas plus que ça, j'aime juste la langue allemande. Je n'ai pas trop l'occasion de la pratiquer depuis que j'ai changé de secteur géographique. Avant je faisais exclusivement l'Europe de l'Est. Maintenant c'est l'ouest et le nord de la France, enfin, c'était, car c'est mon dernier jour.

- Ah mince ! La crise est partout.

- Pas trop dans le transport routier : il manque pas mal de chauffeurs-routiers. J'ai trouvé le poste que j'attendais depuis deux ans que je vis en France, alors je retourne à mon ancien travail : enseignant.

- Je parie que vous enseignez le français, car le vôtre est parfait et même assez littéraire.

- Avant j'enseignais l'allemand et le français. Maintenant, je vais aider des locuteurs arabes à apprendre le français et à remplir la bien trop nombreuse paperasse administrative. Et vous, que faites-vous comme profession ?

- Je suis infirmier dans un hôpital. »

Dorian s'était totalement calmé. Il alimentait la conversation avec entrain. Il souriait à Salah qui lui était soulagé que son compagnon de route aille mieux. Après une heure de route, Dorian lui raconta pourquoi il avait tant pleuré sur l'aire de repos :

« Franck, mon concubin, et moi faisions un voyage de réconciliation ! Bon comme vous avez pu le constater ça a totalement foiré : lorsqu'il est allé aux toilettes, son téléphone a bipé plusieurs fois ; les messages arrivaient très vite, et j'ai eu le malheur d'être trop curieux et de regarder qui les lui envoyait. C'était la femme avec qui il me trompait depuis plus de trois mois : « Tu devais m'appeler à midi, il est 13 heures. Qu'est-ce que tu fous ? », « Alors, ça y est, tu lui as dit que tu le quittais pour moi ! », « Tu pourrais me répondre. », « Je te préviens je ne suis pas une chiffe molle comme ton Dorian ! », « T'as intérêt à me répondre ! » Et j'en passe de pas très aimables pour moi. Je lui avais pardonné ses incartades. Mais là, quand je les ai lus, mon sang n'a fait qu'un tour, j'ai compris qu'il s'était foutu de moi une fois de plus. Depuis trois ans qu'on est ensemble, je ne compte plus les sales tours qu'il m'a joués. Il espérait toujours que je ne le sache pas, car il voulait me garder sous le coude. J'aurais dû partir à la première tromperie, mais je l'aime vraiment. Maintenant, je me dis que mon pote Sam avait raison, il dit : « On ne peut pas faire confiance à un hétéro qui se dit amoureux, il revient toujours vers son penchant premier ! Il y a que dans les séries Boys Love que l'hétéro tombe en amour d'un gay, ce n'est jamais parce qu'il est gay lui-même, mais parce qu'il ne peut aimer que son pote gay ! Quand est-ce que les humains voudront bien admettre qu'ils sont bi ! » Sam exagère toujours, mais hélas, il a aussi souvent raison. Il m'avait prévenu que si je voulais un amour exclusif, il ne fallait pas céder aux excuses bidons et aux « ça ne se reproduira plus ! »

Salah sentait que Dorian était prêt à pleurer à nouveau. Il se pencha, prit la main de Dorian et la serra fermement dans la sienne. Il décida de s'arrêter à la prochaine aire de stationnement. Dès qu'ils furent arrivés, Salah déboucla sa ceinture de sécurité et enlaça fraternellement Dorian, qui à nouveau, pleurait toutes les larmes de son corps. La tête de Dorian resta un bon moment contre la poitrine de Salah qui lui caressait les cheveux tout en lui parlant doucement comme un père à son enfant :

« Ça va aller. Ne pleure plus. »

Le tutoiement était venu naturellement. Après de douces paroles lénifiantes et de compatissantes caresses sur le dos, Dorian se calma, bercé par les bras de Salah. Il imaginait que Dorian pleurait autant de tristesse que de colère. Colère envers ce Franck sans cœur, et en colère contre lui-même qui n'avait pas su le quitter plus tôt. « La chair est faible et le cœur pugnace. » Pensa-t-il.

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